Monsieur le Premier ministre,
La crise sanitaire résultant de l’épidémie de SARS-CoV-2, que nous traversons, ébranle notre société, notre système de santé et met au défi notre démocratie. Les mesures de confinement et de distanciations sociales, indispensables pour lutter contre l’épidémie, ne sont pas neutres socialement.
Le Défenseur des Droits a ainsi pointé combien cette situation de crise exacerbe les inégalités sociales et touche plus durement les populations les plus fragiles et les plus précaires ; celles qui ne peuvent accéder à la protection sociale, aux droits sociaux ou aux autres dispositifs de solidarité nationale. Les travailleur.se.s du sexe font partie de ces populations particulièrement fragiles et font face, depuis le début de cette crise sanitaire, à des conditions de vie fortement dégradées mettant en danger leur santé. En effet, la mesure de confinement a signifié un arrêt brutal de leur activité entraînant de fait une baisse drastique de leurs revenus.
Les dispositifs de compensation d’urgence ou de droit commun (maintien des prestations sociales, prolongation des titres de séjour, versement d’une aide exceptionnelle de la CAF, prolongation de la trêve hivernale et ouverture de places d’hébergement) ou les réponses plus spécifiquement destinées aux personnes exerçant le travail du sexe (protocole départemental de mise à l’abri des victimes, remise en route des commissions départementales pour l’examen de parcours de sortie de prostitution et information à destination des travailleuses du sexe) ne permettent actuellement pas de limiter ces dommages car la plupart ne peut y accéder, ne répondant pas aux critères exigés.
Cela les condamne, pour les plus précaires, à un basculement dans la grande pauvreté. Un grand nombre d’entre elles et eux ne parviennent ainsi aujourd’hui plus à subvenir à leurs besoins primaires : se nourrir, se loger, se laver, se soigner. Pour leur venir en aide, des associations communautaires et/ou de santé communautaire se sont adaptées pour poursuivre des actions de terrain (maraudes, etc.) et maintenir un accueil physique, qu’elles couplent maintenant à des distributions alimentaires et de produits de première nécessité. Ces actions sont souvent réalisées sur leurs fonds propres, ou grâce à la générosité citoyenne, notamment par le biais de cagnottes solidaires.
Cette grande précarité risque de contraindre certain.e.s travailleu.r.se.s du sexe à reprendre leur activité dans une clandestinité renforcée. Ce risque nous inquiète tout particulièrement, nous associations de santé, puisque qu’il conduira à une plus grande exposition des travailleur.se.s du sexe au SARS-CoV-2, mais également au VIH et aux autres IST.
Si le travail du sexe n’est pas en soi un facteur de risque d’infection au VIH, ni d’exposition aux violences, les conditions d’exercice et les vulnérabilités actuelles des travailleur.se.s du sexe en France le sont. Celles et ceux qui n’ont d’autres choix que de reprendre une activité pour survivre risquent de le faire dans un contexte de vulnérabilités accrues, où elles et ils ne seront que peu en capacité de négocier leurs conditions d’activité. Le droit à la sécurité et le droit à la santé des travailleur.se.s du sexe sont aujourd’hui profondément remis en cause. Il y a nécessité à agir pour éviter le pire.
Associations de santé et de la lutte contre le VIH-sida, notre approche se veut pragmatique. 35 années de lutte contre le VIH-sida nous ont notamment appris qu’une épidémie ne peut se gagner sans mettre au centre de l’action publique la protection des droits. Nous avons appris qu’il était indispensable de donner aux personnes les moyens de prendre en charge leur propre santé (prévention, dépistage, accès aux soins et aux droits), à la fois à un niveau individuel et à un niveau collectif. Nous avons appris qu’une approche de réduction des risques partant des besoins des personnes, de leurs conditions de vie, de leurs capacités était bien plus efficiente qu’une approche répressive qui n’aboutit qu’à un renforcement des stigmatisations, des discriminations, des violences, et in-fine à la prolongation des épidémies.
Nous sommes unanimes sur la nécessité pour le gouvernement de prendre sans délai des mesures interministérielles qui protègent les travailleur.se.s du sexe les plus fragiles :
- mise à l’abri ou maintien dans le logement,
- accès à un soutien financier spécifique pour compenser l’inéligibilité aux aides sociales et mécanismes exceptionnels mis en place.
Demandée par les associations qui fournissent actuellement un appui matériel sur le terrain et accompagnent les personnes les plus éloignées du droit commun, nous appuyons la création rapide d’un fonds qui permettrait d’octroyer aux travailleur.se.s du sexe les plus fragiles une aide d’urgence quel que soit leur statut au regard de l’administration.
Cette aide financière doit s’inscrire au-delà du confinement, tant que la crise sanitaire et les règles induites persistent.
Nous comptons sur votre gouvernement pour s’assurer que personne ne soit laissé de côté dans cette crise sanitaire et sommes prêts à participer à la mise en oeuvre de ce fonds.
Nous nous tenons à votre disposition et vous prions d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre sincère considération.
Aurélien Beaucamp Président Aides
Christine Rouzioux Présidente Arcat
Philippe de Botton Président Médecins du Monde
Sarah Durocher Co-Présidente Planning familial
Florence Thune Directrice Sidaction
Copies à :
- Monsieur Olivier Véran, Ministre des solidarités et de la santé.
- Monsieur Julien Denormandie, Ministre auprès de la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, chargé de la Ville et du Logement