vih 30 ans de traitements… et de résistance

25.03.19
Anne Lepennec
8 min
Visuel 30 ans de traitements… et de résistance

Flash-back. 1985. Quatre ans se sont écoulés depuis la découverte du premier cas de sida aux États-Unis, puis en France ; deux ans depuis l’isolation du virus responsable, le VIH-1. Les premiers antirétroviraux (ARV), des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse, arrivent sur le marché. L’un d’eux, la zidovudine ou AZT, sort du lot et s’impose rapidement comme le traitement de référence, et ce, malgré des effets secondaires et une toxicité importants. « On ne peut être pour ou contre le Retrovir® [ou AZT, NDLR], peut-on lire à l’époque. On ne peut pas mettre le médicament aux oubliettes, car personne n’a prouvé qu’il y a mieux. » De fait, pendant près de dix ans et malgré plusieurs tentatives pour développer d’autres traitements en mono ou bithérapies, les patients ne voient rien d’autre venir. « Ce fut une période de grosse déprime, au cours de laquelle les cas de résistance se multipliaient sans que l’on dispose d’alternative thérapeutique », raconte Constance Delaugerre, professeure de virologie à l’hôpital Saint-Louis (Paris).

 Trois en un

L’espoir naît en 1996. Grâce aux antiprotéases, la mortalité et la morbidité liées au VIH commencent à diminuer. Par ailleurs, la mesure de la quantité de virus dans le sang [charge virale] devient accessible. La faiblesse des monothérapies nucléosidiques apparaît alors au grand jour : elles n’empêchent pas assez la réplication du virus. Les antiprotéases, elles, y parviennent et sauvent des vies, surtout lorsqu’elles sont combinées entre elles et à d’autres molécules, comme l’AZT.

S’ouvre alors l’ère de la trithérapie, dont les effets sur le contrôle de la charge virale sont indéniables, mais qui requiert une organisation logistique sans faille puisqu’il faut prendre plus d’une douzaine de comprimés par jour en plusieurs prises, parfois à jeun, en même temps ou isolément… La toxicité reste importante et pousse à faire des écarts, lesquels entraînent des échecs thérapeutiques.

Nouveau tournant en 2008 avec l’arrivée de deux nouvelles classes d’antirétroviraux : les anti-intégrases et les inhibiteurs d’entrée, qui entrent dans la composition de trithérapies plus faciles à prendre et, surtout, mieux tolérées. La formulation et la galénique des médicaments ont aussi évolué, de sorte que le nombre de cachets et de prises quotidiennes diminuent, et que la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) augmente.

La résistance s’organise

En 2019, antiprotéases et anti-intégrases sont toujours là. « Les secondes sont même devenues incontournables dans les traitements de première, deuxième ou troisième ligne », pointe la virologue. Le vaste arsenal des trithérapies disponibles permet, chez une très grande majorité de personnes, de maintenir la charge virale à un niveau indétectable, c’est-à-dire sous le seuil de 50 copies/mL de sang. L’infection par le VIH est devenue une maladie chronique, qui n’entame plus l’espérance de vie. La proportion de PVVIH ayant accès aux ARV à travers le monde n’a jamais été aussi élevée (53 %)

Cela étant, les résistances aux traitements demeurent. Et inquiètent. Le phénomène est certes relativement contenu dans les pays du Nord, mais dans certains pays d’Afrique de l’Ouest et centrale, la proportion de personnes séropositives en situation d’échec thérapeutique ne cesse d’augmenter. « Il existe deux types de résistances, explique le Pr Olivier Bouchaud, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales au CHU Avicenne (Paris). Les résistances primaires, relativement rares, repérables tôt par génotypage de la souche virale et celles consécutives à la prise irrégulière du traitement. Leur apparition est à la fois un phénomène inévitable et mécanique, propre à l’évolution du vivant et le résultat de la pression des médicaments sur le virus. »

Dès lors que cette pression cesse, à l’occasion d’une rupture de traitement, les souches résistantes se développent et les trithérapies perdent de leur efficacité. C’est ce qui se passe dans les zones où les conditions socio-économiques défavorables compliquent l’accès aux soins. « Les patients ne sont pas moins observants, insiste le Pr Bouchaud. Les obstacles sont plutôt d’ordre structurel, liés aux déplacements, à l’accès et au coût des soins. » Sur le papier, des solutions existent pour contenir le phénomène. Recourir aux molécules les moins sujettes aux mutations par exemple, dites aussi à barrière génétique faible. « Elles sont certes moins puissantes que d’autres, comme l’efavirenz, mais plus tolérantes en cas d’écart d’observance », confirme le Pr Bouchaud. Améliorer la prise en charge au sens large et éviter les ruptures de stock de médicaments favorisent également l’observance. « En facilitant l’accès à la mesure de la charge virale, on repère les résistances plus tôt, ajoute-t-il. Pour les patients qui doutent de l’efficacité des traitements, c’est aussi un outil de soutien à l’observance. »

Quid de l’augmentation du nombre d’adolescents en situation d’échec thérapeutique ? « Des souches multirésistantes qui jusqu’à présent se développaient plus tard commencent à apparaître à cet âge, car ces jeunes contaminés par leur mère à la naissance ressentent un sentiment d’injustice et ont tendance à interrompre leur traitement », confirme le Pr Olivier Bouchaud.

Vers des traitements allégés

Continuer à mettre au point de nouvelles molécules demeure nécessaire pour conserver l’avantage thérapeutique sur le virus. À ce défi, soignants et chercheurs en ajoutent un autre : alléger les traitements. Moins de produits, moins souvent. Il en va bien sûr de la qualité de vie des personnes, mais aussi de la toxicité des médicaments à long terme, deux facteurs déterminants de l’observance.

Une première stratégie d’allègement consiste à entretenir avec deux ARV le succès thérapeutique obtenu avec trois. De nombreuses combinaisons de ces bithérapies sont à l’étude. Une deuxième piste envisage de réduire les doses de médicaments, tout en maintenant la charge virale au plus bas. L’essai Darulight confirme que c’est possible pendant 48 semaines pour 92 % des patients traités avec moitié moins de darunavir que d’habitude. Autre option : allonger la durée de vie des médicaments pour pouvoir espacer les prises. Les résultats préliminaires de l’étude Latte-2, qui teste une bithérapie administrée sous forme injectable toutes les quatre à huit semaines, sont concluants. « L’association rilpivirine-cabotégravir semble à la fois bien tolérée et aussi efficace qu’une trithérapie quotidienne », commente la Pr Constance Delaugerre. Quant à la trithérapie intermittente, qui consiste à prendre son traitement seulement quatre jours sur sept, elle suscite depuis quelques années beaucoup d’espoirs. Encore faut-il s’assurer qu’elle est aussi efficace que son équivalent administré en continu. Les premiers travaux menés pour le démontrer sont encourageants. Un essai de grande ampleur baptisé « Quatuor », lancé en 2017 auprès de 640 patients pour une durée de 51 mois, devrait bientôt nous en apprendre plus.

Selon une enquête menée au Sénégal en 2015, 64 % des enfants sous ARV depuis plus de six mois sont en situation d’échec thérapeutique. Chez près d’un tiers d’entre eux, aucune des trois molécules du traitement n’est active. « Les dernières données dont nous disposons montrent que ce chiffre est encore plus élevé aujourd’hui, autour de 69 %, alors que le programme mondial de lutte contre le sida est passé par là », rapporte Bernard Taverne, anthropologue et médecin à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

Voilà deux ans que ce chercheur alerte la communauté internationale sur ce qui prend des allures de quatrième épidémie liée au VIH. Un terme qui fait écho aux propos tenus en 1987 par Jonathan Mann, alors directeur du Special programme on AIDS de l’OMS, qui en décrivait trois autres : celle de la diffusion du virus à l’échelle planétaire dans les années 1980, puis celle de la maladie sida dans son sillage et, enfin, l’épidémie de stigmatisation et discrimination à l’égard des personnes infectées, toujours en cours. « Les résistances ne datent pas d’hier, précise Bernard Taverne. Ce qui est problématique et dont les cliniciens et les acteurs de santé publique doivent prendre conscience, c’est la proportion d’individus concernés et son augmentation rapide qui menacent l’avance acquise sur le virus. Le phénomène n’est plus marginal. C’est comme une vague qui enfle et prend trop d’ampleur par rapport à la courbe des traitements par ARV. » Et le lanceur d’alerte d’appeler à nouveau de ses vœux la gratuité des soins, et pas seulement des médicaments, et des moyens sur place afin de soutenir durablement les PVVIH en Afrique de l’Ouest.

La vague des résistances aux ARV

Agissez
Pour lutter contre le VIH/sida
Je donne
45€

Pour informer
24 personnes
sur le dépistage.

Faire un don
hearts

Pour contribuer à lutter contre le VIH

Nos actus

Toutes les actus
Restez informés En vous inscrivant à la newsletter
Vous acceptez que cette adresse de messagerie soit utilisée par Sidaction uniquement pour vous envoyer nos lettres d’information et nos appels à la générosité. En savoir plus sur la gestion de vos données et vos droits.
Partagez,
likez,
tweetez
Et plus si affinités