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Né de la nécessité de lutter efficacement contre des épidémies telles que le VIH, le concept de la santé communautaire a transformé le paysage médical en mettant l’accent sur l’empowerment et l’émancipation des individus. Exemple concret avec La Place Santé, à Saint-Denis.
Situé à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), La Place Santé est un centre qui incarne parfaitement les principes de la santé communautaire : il offre une gamme complète de services de santé tout en favorisant l’implication active des patients. Dès l’entrée, l’atmosphère chaleureuse et accueillante contraste avec l’anonymat souvent ressenti dans les structures traditionnelles. « Nous encourageons nos patients à devenir des acteurs de leurs soins, explique Julie, médecin généraliste au centre. C’est essentiel qu’ils se sentent impliqués et écoutés. »
Un rapport soigné-soignant transformé
À l’instar de la lutte contre le sida, la santé communautaire repose sur le partage de savoirs et l’engagement des patients. Au début de l’épidémie de VIH, les patients et les médecins se trouvaient sur un pied d’égalité face à l’ignorance générale entourant la maladie. Cette situation a favorisé une collaboration étroite et a transformé le rapport soigné-soignant.
Cette approche se manifeste par des ateliers d’éducation à la santé, des groupes de soutien et des activités communautaires qui permettent aux personnes concernées de partager leurs expériences et de s’entraider. Charlotte, infirmière de pratique avancée, met en lumière l’effet de cette démarche sur les soins quotidiens : « Participer à ces ateliers m’a permis de voir l’impact réel de notre travail sur la vie des patients. C’est très gratifiant de les voir devenir plus autonomes et plus confiants dans la gestion de leur santé. »
Salimata, coordinatrice du centre, souligne, quant à elle, l’importance du soutien communautaire : « La solidarité entre les patients est incroyable. Ils se comprennent et se soutiennent. Ce n’est pas juste un centre de santé, c’est une famille. »
Aurore, une patiente suivie depuis l’été 2013, a découvert La Place Santé lors d’un besoin urgent de consultation médicale. « En plein creux estival, c’était compliqué de trouver un médecin disponible jusqu’à ce qu’une secrétaire médicale avisée me dise d’essayer à La Place Santé, raconte-t-elle. Ils ont pu me recevoir rapidement. C’était presque providentiel. »
Elle souligne également l’importance de l’accueil et de l’écoute dans le centre : « Pour moi, la qualité de l’écoute et de l’accueil est essentielle. On ne se sent pas juste atteint d’une pathologie, on se sent considéré vraiment comme un être humain à part entière. »
Les droits des patients
L’héritage de la lutte contre le sida se traduit également dans les avancées des droits des patients. La charte du patient hospitalisé, adoptée en 1995, et la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des patients, dite loi Kouchner, sont des acquis majeurs. Ces mesures visent à considérer le patient non seulement par son parcours de soins, mais aussi par son parcours de vie. « Nous construisons ensemble des parcours de soin adaptés à chaque individu, ajoute Julie, en respectant leur autonomie, leur culture, leurs traditions et leurs choix personnels. »
La loi Kouchner représente un tournant décisif, car elle a officialisé le principe du consentement éclairé et affirmé les droits des patients à participer activement à leurs propres soins. « C’est cette combinaison de savoir médical et d’expérience vécue par les patients qui crée un parcours thérapeutique réellement efficace, expliquent de concert Charlotte et Julie. Nous ne pouvons plus imaginer de soigner autrement. » La dimension communautaire et participative est aussi un aspect crucial pour Aurore : « Ce qui m’a beaucoup plu, c’est le côté “atelier collectif”, qui permet de faire des connaissances, de nouer des amitiés, parfois même avec des personnes qu’on n’aurait pas forcément rencontrées autrement. Il y a vraiment un esprit de solidarité et d’entraide. »
Enfin, Aurore témoigne de l’efficacité des soins intégrés et de la concertation entre les différents professionnels de santé. « Le fait qu’il y ait plusieurs praticiens permet une concertation entre eux, affirme-t-elle. Parfois, ils peuvent avoir besoin de prendre du recul et de solliciter un confrère pour un avis supplémentaire. C’est vraiment une approche où l’humain prime, indépendamment de toute confession ou de tout statut social. »
Une dimension politique
La réappropriation du savoir et la dimension politique sont au cœur de la santé communautaire. « La santé communautaire ne se limite pas aux soins médicaux. Elle englobe aussi la lutte contre les inégalités et la promotion de la justice sociale, souligne Salimata. Nous travaillons avec des populations souvent marginalisées, et notre approche vise à leur redonner du pouvoir sur leur propre vie. »
À La Place Santé, cette approche holistique se traduit par une multitude de services et d’activités destinés à répondre aux différents besoins des patients. « Nous ne nous contentons pas de traiter les symptômes, explique Charlotte. Nous nous intéressons à l’ensemble de la personne, à son bien-être global. »
Aurore témoigne de l’effet positif de cette approche sur sa vie : « Je participe à des ateliers où j’apprends comment mieux gérer ma maladie et cela m’a donné une nouvelle perspective sur ma santé. » Les personnes suivies dans ce cadre développent une meilleure compréhension de leur santé, deviennent plus autonomes et sont mieux équipées pour gérer leur condition au quotidien.
En outre, cette approche renforce la cohésion sociale et crée un sentiment de solidarité au sein de la communauté. Les patients ne se sentent plus isolés, mais intégrés dans un réseau de soutien mutuel. Cela a des effets positifs non seulement sur leur santé mentale et physique, mais aussi sur leur qualité de vie globale.
Les défis de financement
Les financements qui permettent de faire fonctionner les centres de santé communautaire sont souvent instables et dépendants de la réussite d’appels à projets. « Nous devons constamment répondre à des appels à projets pour obtenir des financements, explique Salimata. C’est une tâche chronophage qui nécessite une veille permanente et une grande réactivité. » Cette situation crée une pression constante sur les équipes administratives et médicales, qui doivent se concentrer tant sur leur mission de soins que sur la recherche de financements.
« L’incertitude financière est un véritable défi. Elle limite notre capacité à planifier à long terme et à offrir une continuité de services à nos patients », souligne Julie. « Les financements ponctuels ne permettent pas de stabiliser les équipes ni de développer des projets pérennes, renchérit Charlotte. Nous avons besoin de financements stables pour garantir la qualité des soins et la continuité des services pour nos patients, ajoute Salimata. Nous espérons que les modèles de financement comme Steps [Soutien aux territoires pour la promotion de la santé] et Peps [Programmes d’expérimentations en prévention et santé] seront bientôt pérennisés et intégrés dans les textes de loi, ce qui sécuriserait nos opérations et nous permettrait de nous concentrer pleinement sur notre mission de soin. »
La lutte contre le VIH/sida a montré la voie en démontrant que les patients peuvent et doivent être des partenaires actifs dans leur parcours de soins. En adoptant cette approche, La Place Santé illustre comment la santé communautaire peut rendre le système de santé plus juste et plus efficace pour tous. « Ce n’est qu’en travaillant ensemble, patients et soignants, que nous pouvons vraiment faire une différence durable », conclut Julie.