En réponse à la pandémie de Covid-19, la plupart des États, dont la France, ont décrété un état d’urgence sanitaire qui s’est traduit par des mesures de distanciation sociale et le confinement de la population. Mais comment se conformer à ces mesures quand on ne dispose ni d’un toit ni d’un espace suffisant ?
L’expérience acquise dans la lutte contre le VIH nous avertit : l’urgence sanitaire est avant tout une urgence sociale. Contenir une épidémie signifie donc mettre au centre de l’action publique la protection des droits humains et ne laisser personne à la marge. Car l’exclusion sociale est le pire fléau de nos sociétés, celui qui empêche les plus vulnérables de se protéger, de se soigner et celui qui les rend invisibles. La crise sanitaire actuelle est devenue une crise économique et sociale. Et si ce nouveau coronavirus ne fait pas de distinction sociale, la gestion de cette crise aggrave la précarité et l’invisibilité de certaines populations, notamment les travailleur·euse·s du sexe et les personnes détenues.
Retour à la clandestinité
Les travailleur·euse·s du sexe ont habituellement peu recours aux aides sociales, elles.ils peuvent ne pas y être éligibles comme ne pas faire valoir leurs droits. Elles.Ils se battent quotidiennement pour maintenir une autonomie financière déjà dégradée par la loi sur la prostitution de 2016. En pénalisant les clients, cette loi a entraîné une atomisation des travailleur·euse·s du sexe, voué.e.s à se cacher pour ne pas s’exposer. Isolé.e.s, elles.ils encourent de plus en plus de violences. Quelle belle avancée dans la lutte contre les violences faites aux femmes ! Est-ce ce qu’il nous faut accepter au nom d’une politique anti-prostitutionnelle qui ne s’intéresse ni aux problématiques ni aux conditions de vie des personnes qu’elle voudrait protéger ?
Parallèlement, la loi va jusqu’à empêcher toute solidarité avec et entre les travailleur·euse·s du sexe, mettant en péril l’accès au logement. Car comment louer un appartement sans que cela ne présente un danger pour le propriétaire ? Les marchands de sommeil le savent et exploitent cette situation. Ce sont les travailleur·euse·s du sexe indépendants qui paient le plus lourd tribut de ces lois et qui sont aujourd’hui les plus exposé·e·s aux risques : risque d’être infecté·e·s par l’obligation de retourner clandestinement travailler pour survivre, risque de subir une plus forte discrimination ou plus de violences et, enfin, risque de tomber dans la grande précarité et de se retrouver à la rue…
La surexposition carcérale
Autre population « invisible » frappée de plein fouet par la crise sanitaire actuelle, les détenu.e.s. La Covid-19 a pour elles.eux l’effet d’une double peine : à la privation de liberté dans des conditions de violence physique et psychique, de misère affective, elles.ils découvrent la privation de tout lien social avec l’extérieur.
Une situation rendue encore plus anxiogène par la diffusion d’informations tronquées ou contradictoires et par la présence de surveillant.e.s ou de soignant.e.s équipé.e.s alors que le matériel de protection (masques, gel hydroalcoolique, test de dépistage, etc.) leur est inaccessible. Sans omettre une distanciation sociale rendue impossible dans un contexte carcéral de surpopulation et de promiscuité décrié depuis des années.
Face au risque d’une propagation de l’épidémie de Covid-19 au sein des établissements pénitentiaires, le gouvernent s’est prononcé pour une libération anticipée de celles.ceux en fin de peine ou malades. À ce jour, plus de 8 000 détenu.e.s ont ainsi été libéré.e.s. Comme par miracle, les gouvernants seraient-ils en passe de gagner la bataille contre la surpopulation et pour l’encellulement individuel, contre lesquels ils ne voyaient aucun remède et pour lesquels ils avaient renié leurs engagements européens ? La situation reste néanmoins tendue en raison de cette surpopulation et de l’obligation de partager une cellule avec une ou plusieurs personnes non-testées mais potentiellement atteintes par le virus.
La situation actuelle est inédite et doit nous amener à tirer les leçons du passé et ne pas permettre que disparaissent les luttes engagées et les acquis obtenus par tous les acteurs sociaux, dont une grande partie d’entre elles.eux sont issu.e.s de la lutte contre le sida. Notre avenir en dépend. À l’heure du retour triomphant des « sachants », nous devons écouter ces milliers de personnes « invisibles » qui dans leur chair expérimentent l’isolement physique, psychique et social, la précarité et la maladie, ainsi que les associations communautaires qui sont à leur contact.
Il ne s’agit pas seulement de lutter contre des virus mais également, en s’appuyant sur les leçons tirées de l’épidémie de VIH, de se rappeler que la lutte contre les pandémies a été et demeure, d’abord et avant tout, une lutte pour les droits humains. Abandonner les « invisibles », dont font partie les détenu.e.s et les travailleur·euse·s du sexe, c’est renier ce qui fait l’essentiel de nous : notre humanité.
*Frederique Viaud et Ridha Nouiouat sont respectivement responsable Programmes régionaux et responsable des Programmes « Prévention et soutien en milieu pénitentiaire » chez Sidaction.
Cette tribune a été écrite avec la collaboration de Jeanne Julien