Violence liée au genre, droit à disposer de son corps, droits et santé sexuels et reproductifs (DSSR), autonomie économique, leadership… fin juin à Paris, l’égalité femmes-hommes sera au cœur du Forum Génération Egalité. Un rendez-vous crucial pour pousser le combat contre les inégalités de genre, qui font le lit de l’épidémie à VIH.
C’est le grand rendez-vous féministe de l’année, voire le plus important depuis un quart de siècle : le Forum Génération Egalité, qui se tiendra à Paris du 30 juin au 2 juillet, vise à donner un nouvel élan à la cause de l’égalité femmes-hommes. Et à redonner du souffle à la Déclaration de Pékin, promulguée en 1995 lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, et qui constitue la charte internationale la plus avancée en matière de droits des femmes. Car si les mobilisations féministes se sont multipliées, notamment via le mouvement MeToo, l’égalité n’a que peu progressé.
La crise de la Covid-19 a même engendré d’inquiétants reculs, au Sud comme au Nord. Les confinements à répétition ont favorisé les violences conjugales, compliqué l’accès à la contraception et à l’avortement. Selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), la Covid-19 pourrait entraîner 10 millions de mariages d’enfants supplémentaires d’ici la fin de la décennie, en raison des difficultés économiques et des fermetures d’écoles.
Un plan mondial, avec des objectifs chiffrés
Mené sous l’égide d’ONU Femmes, coprésidé par la France et le Mexique (une conférence s’est tenue fin mars à Mexico), le Forum Génération Egalité sera l’occasion d’un nouveau « plan mondial d’accélération pour l’égalité entre les femmes et les hommes », assorti d’objectifs chiffrés à atteindre en cinq ans.
En matière de droits et santé sexuels et reproductifs (DSSR), il prévoit que 50 millions d’enfants, d’adolescents et de jeunes supplémentaires aient accès à une éducation complète à la sexualité d’ici à 2026. Par ailleurs, 50 millions d’adolescentes et de femmes en plus devront avoir accès à la contraception, et autant devront bénéficier d’« un accès sûr et légal » à l’avortement. « Par le changement des normes liées au genre et le développement de la conscience de leurs droits, 260 millions de filles, d’adolescentes et de femmes supplémentaires dans toute leur diversité sont appelées à s’émanciper pour disposer de leur corps, de leur sexualité et de leurs droits génésiques en 2026 », prévoit le plan.
Du côté des associations, les attentes sont grandes. En France, une cinquantaine se sont regroupées en un collectif « Génération féministes ». Selon Marie Véron, chargée d’animation et de coordination du collectif – par ailleurs membre du Planning familial –, il s’agit de « faire du Forum un rendez-vous politique et féministe fort, qu’il constitue un progrès en termes d’intersectionnalité, pour que toutes les voix féministes soient entendues dans leur pluralité ».
Six coalitions d’actions
Afin d’atteindre les objectifs 2026, le Forum sera la rampe de lancement de six coalitions d’actions, chacune œuvrant dans une thématique : violence liée au genre, justice et droits économiques, liberté à disposer de son corps et DSSR, action féministe pour le climat et la justice, technologie et innovation pour l’égalité des sexes, mouvements et leadership féministes.
Ces coalitions seront animées par des « champions » s’engageant à jouer un rôle moteur, dont des Etats, ONG, organismes onusiens et entreprises. Exemple, la coalition d’actions DSSR regroupe à ce jour la France, le Danemark, l’Argentine, le Burkina Faso, la Macédoine du Nord, ainsi que la Fédération internationale pour la planification familiale (IPPF), le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) et la Banque mondiale.
N’y a-t-il pas un risque, en embarquant seulement les acteurs les plus convaincus, que les résultats se limitent à des discours engagés ? Pour Marie Lussier, référente plaidoyer DSSR chez Médecins du monde, « il ne s’agit pas d’une conférence onusienne, mais d’un forum en marge des circuits onusiens. On ne négocie pas de texte, on crée des coalitions d’actions qui seront des accélérateurs de changement. C’est de l’entre-soi de pays affinitaires. Les pays opposés à ces principes ne viendront pas, et c’est d’ailleurs le but. Nous n’aurons pas à batailler sur les principes ».
L’objectif est donc de s’extraire des arènes onusiennes, d’où peinent à émerger des résolutions sur l’avortement et l’éducation à la sexualité. « Au niveau onusien, on a du mal à avancer sur ces sujets : y parler d’avortement demeure encore impensable, l’ONU se restreint souvent au plus petit dénominateur commun », explique Lucie Daniel, experte plaidoyer d’Equipop. En cause, le blocage par plusieurs Etats réfractaires aux droits des femmes, tels que la Russie, le Brésil et, encore récemment, les Etats-Unis de Donald Trump.
La France, encore peu versée sur les DSSR
A l’inverse, la France met en avant, depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée, une « diplomatie féministe » censée s’illustrer dans le Forum Génération Egalité. Au-delà des mots, le pays demeure un piètre contributeur en matière de DSSR : selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France n’a attribué que 48,5 millions de dollars (40,4 millions d’euros) d’aide bilatérale aux DSSR en 2019, contre 554 millions de dollars pour le Royaume-Uni, 255 pour les Pays-Bas et 61,5 pour le Danemark – autre « champion » de la coalition d’actions DSSR.
Interrogé sur ce paradoxe français, Laurianne Desquesses, chargée de mission plaidoyer chez Action santé mondiale, estime que « c’est l’un des enjeux du Forum génération égalité : il faut faire en sorte que ce leadership soit accompagné d’engagements financiers concrets ». Pour cela, Générations féministes appelle l’Etat à doubler sa contribution totale (bilatéral + multilatéral) en matière de DSSR, en la portant de 97 millions d’euros/an (en 2019) à 200 millions d’euros/an.
Sans confirmer qu’il en fera autant, le ministère des affaires étrangères indique qu’il « souhaite poursuivre la trajectoire de hausse de l’engagement financier de la France en faveur des DSSR, en cohérence avec notre mobilisation politique depuis déjà plus d’un an, ainsi que dans le cadre du Forum Génération Egalité. Les hypothèses et engagements sont en cours de définition, et devront faire l’objet d’arbitrages d’ici à la fin de l’année ».
Quant à la nouvelle stratégie française sur l’action extérieure en matière de DSSR (2021-2025), « le Forum est pour nous un horizon pour lequel nous souhaitons être en mesure de présenter la vision, les grandes orientations et les objectifs », ajoute le quai d’Orsay, qui prévoit une traduction « programmatique et budgétaire » à l’automne.
Les DSSR, angle mort de la lutte contre le VIH ?
Au-delà de l’aide française, les DSSR souffrent d’une pénurie de moyens financiers. Rien que pour les traitements (contraception, soins durant la grossesse et néonataux, traitement d’IST), le manque s’élève à 31 milliards de dollars par an, dans les pays en développement, pour des besoins annuels estimés à 69 milliards de dollars selon l’institut de recherche Guttmacher.
« Les DSSR demeurent tabou en Afrique, les adolescents et les adolescentes sont peu informés de ce sujet. Une éducation complète à la sexualité permettrait d’informer sur l’infection par le VIH, et donc de lutter contre la stigmatisation que subissent les personnes vivant avec le virus. De nombreuses idées reçues demeurent, notamment celle selon laquelle le VIH peut se transmettre en embrassant », rappelle Anaïs Saint-Gal, responsable plaidoyer de Sidaction.
En Afrique subsaharienne, cinq nouvelles infections par le VIH sur six chez les adolescents âgés de 15 à 19 ans concernent les filles, rappelle l’Onusida. De même, les femmes transgenre et les travailleuses du sexe sont particulièrement touchées par l’infection. Cette pandémie est « une question de genre. Il existe un lien très clair entre les violences liées au genre [que subissent ces personnes] et le risque d’infection par le VIH », note Anaïs Saint-Gal.
Les inégalités de genre, préoccupation marginale
Pourtant, le lien entre inégalités de genre et infection par le VIH ne suscite pas toute l’attention qu’il mérite. Lors de la conférence de Pékin, « les Etats s’étaient engagés sur les questions de genre et de VIH. Vingt-six ans après, les résultats de l’intégration genre-VIH ne sont pas au rendez-vous », déplore Lucie Daniel. Une négligence qu’Equipop attribue à la culture « patriarcale » des programmes nationaux et organisations internationales, dans lesquels « les enjeux d’inégalités de genre et la participation des femmes, individuellement ou collectivement, sont marginalisés ».
Dans une tribune publiée le 1er décembre 2020, Equipop estimait que la lutte contre le sida devait « être féministe » : « la place des femmes dans la lutte contre le VIH/sida a longtemps été considérée à travers le seul angle de la prévention de la transmission mère-enfant. Bien que d’immenses progrès aient été obtenus depuis les années 2000 dans ce domaine spécifique, cela ne couvre qu’une partie de la question. Les femmes n’étant pas que des mères, c’est une approche basée sur le genre, plus large, qui est nécessaire ». Nécessaire et urgente.
Imposé par la situation sanitaire, le format numérique est à double tranchant : d’une part, il ouvre les débats à un plus grand nombre de participants ; d’autre part, il empêche toute prise de parole spontanée, interpellation directe, aparté au détour d’un couloir. « En tant que membre de la société civile, il est plus difficile de se faire entendre lors d’une conférence Zoom », reconnaît Marie Véron. Exemple à Mexico, lors du Forum qui s’est tenu fin mars : malgré leur forte mobilisation, les associations se sont senties « un peu en marge des discussions diplomatiques ». D’où des inquiétudes sur le déroulement du Forum parisien. Comme le confirme le quai d’Orsay, « l’intégralité des évènements se déroulera sur une plateforme digitale conçue pour accueillir 100.000 personnes », à l’exception de la cérémonie d’ouverture, qui « se déroulera autour du président de la République ». « On attend de la France qu’elle soit créative » afin que les associations trouvent leur place dans les débats, espère Lucie Daniel.