Depuis le début de l’année, chaque Français a la possibilité d’ouvrir son « Espace santé », leur dossier médical numérique. Dans le même temps, les pouvoirs publics veulent accélérer la recherche à partir des données de santé, notamment via une grande plate-forme, le Health Data Hub. Ces deux projets soulèvent des débats sur l’utilisation des données de santé et sur la manière dont leur accès est sécurisé.
Comment et où sont collectées les données de santé des Français ? Pour quel usage ? Et avec quel niveau de confidentialité ? Ces questions prennent aujourd’hui une place de plus en plus importante dans le débat public. Aujourd’hui, plus personne ne peut ignorer la place pris par le numérique dans le domaine de la santé. Finie l’époque de la médecine à l’ancienne où on allait consulter son médecin de famille pour ressortir avec sa feuille de soins papier à envoyer sous enveloppe à la « Sécu ». Désormais, on prend ses rendez-vous sur Doctolib et on donne sa carte Vitale pour se faire rembourser la consultation.
Un phénomène que l’épidémie de Covid a renforcé. C’est avec son ordinateur ou son smartphone que le patient confiné puis déconfiné a pu trouver, parfois en s’arrachant les cheveux, des créneaux pour se faire tester ou vacciner. Et c’est par écrans interposé qu’il a pu, parfois, téléconsulter un médecin. « Cette crise sanitaire a fait exploser les usages numériques dans le domaine de la santé. On voit aujourd’hui l’importance, par exemple, qu’a prise l’application anti-Covid. Et on mesure bien toute l’importance de sécuriser l’échange des données de santé », explique Arthur Dauphin, chargé de mission sur le numérique à France assos santé, qui regroupe plus de 70 associations de patients ou d’usagers de santé.
L’enjeu de la sécurisation des données
Cette évolution intervient alors que mettent en place deux projets importants en matière de données de santé. Le premier concerne le lancement en ce début d’année de « Mon espace santé », une sorte nouvelle version du dossier médical numérique. Le deuxième projet, beaucoup moins connu du grand public, est le Health Data Hub, « HDH » comme disent les initiés. Il s’agit d’une vaste plate-forme visant à stocker la plupart des données de santé des Français afin de les rendre plus accessibles pour des projets de recherche innovants. Une initiative scrutée de près car la sécurité de ces données est un enjeu majeur. Et nul doute que les acteurs de la lutte contre le sida sauront faire preuve de vigilance dans ce domaine, nombre d’entre eux ayant pu mesurer, depuis le début de l’épidémie de VIH, l’importance de protéger le secret médical et la confidentialité de toute information liée à la santé.
Mais dans l’immédiat, une question se pose au 66 millions de Français : faut-il ouvrir son Espace santé ? Entre janvier et mars prochain, tous les assurés auront, en principe, reçu un courrier ou un mail pour les inviter à activer ce dossier médical nouvelle formule. Chacun aura lors six semaines pour s’opposer à l’ouverture de son Espace santé. Sans réponse de l’usager, le dossier sera automatiquement ouvert.
Dans cet espace numérique, il sera possible de stocker différents documents : ordonnances, résultats d’examens biologiques, dossier d’hospitalisation, imagerie médicale, antécédents familiaux… L’idée est de regrouper dans un même endroit toutes les informations sur sa santé et pouvant être utilisées en cas de consultation chez n’importe quel médecin ou dans un service d’urgence.
Le patient propriétaire de ses données
Les informations, contenues dans cet espace, resteront la propriété de l’usager qui gardera la possibilité de décider quels documents il souhaite héberger dans son espace et quels professionnels de santé pourront y avoir accès. Il s’agit là d’un point important qui a toujours été soulevé lors des multiples débats passés autour du dossier médical partagé (DMP). Par exemple, une personne peut très bien aller consulter un dermatologue pour se faire enlever une verrue sans vouloir que celui-ci sache qu’elle suit un traitement contre le VIH.
Cet espace santé comprendra aussi une messagerie sécurisée pour échanger avec les professionnels ou les établissements de santé. Et courant 2022, il devrait incorporer un agenda médical permettant à l’usager d’avoir une vision globale de ses rendez-vous médicaux et de ses rappels de vaccination ou de dépistage. Développé par le ministère de la santé et l’assurance-maladie, cet outil est plutôt vu d’un bon œil par les associations de patients. « Il y a eu des débats entre nous sur ce sujet. La question de la sécurisation des données est bien sûr une question majeure sur laquelle nous ferons preuve d’une grande vigilance. Mais nous avons eu de très nombreux retours d’usagers exprimant le besoin de pouvoir regrouper toutes les informations concernant leur santé dans un seul et même endroit », indique Arthur Dauphin.
L’autre projet, le Health Data Hub a, lui, été mis en place par une loi de juillet 2019. Il est né d’un constat assez largement partagé : pour faire progresser la recherche et mieux connaitre la santé des France dans la « vie réelle », il est essentiel de pouvoir exploiter les multiples données de santé existant dans notre pays. « La France est un des rares pays qui dispose de bases de données médico-sociales et économiques nationales centralisées, constituées et gérées par des organismes publics, couvrant de façon exhaustive et permanente l’ensemble de la population dans divers domaines stratégiques : recours aux soins, hospitalisation, handicaps, prestations et situation professionnelle et sociale », soulignait dès 2012 un rapport du Haut conseil de la santé publique.
Et selon de nombreux spécialistes, ces données « made in France » seraient une sorte de trésor national que nous envieraient nombre de pays. « Ces bases de données, concernant plus de 60 millions de personnes, constituent un patrimoine immatériel considérable, vraisemblablement sans équivalent au monde », s’extasiait ce même rapport du Haut conseil.
Le cas du Médiator
Mais le grand public a souvent encore du mal à saisir la finalité des recherches conduites à partir de ces données de santé. Alors certains citent volontiers le cas du Mediator en suggérant que l’utilisation des « data » sanitaires aurait peut-être permis d’envoyer bien plus tôt à la poubelle le tristement célèbre médicament des laboratoires Servier. Car pendant longtemps, chacun a gardé dans son coin des informations sur le Médiator. L’assurance-maladie avait les chiffres de prescription de la molécule par les médecins. Et les hôpitaux avaient des données sur les valvulopathies cardiaques pour lesquelles venaient consulter nombre de patients qui prenaient du Médiator. « En croisant ces données, il aurait sans doute été possible de détecter assez vite qu’il se passait quelque chose avec ce produit », confie un médecin hospitalier.
Et c’est là le grand objectif du Heath Data Hub. « C’est par le traitement et le croisement d’un grand volume de données de qualité que les recherches les plus impactantes pourront être menées : améliorer le dépistage et le diagnostic d’une maladie, analyser les effets secondaires des traitements, faire évoluer les essais cliniques… », affirme ce groupement d’intérêt public (GIP) qui associe 56 partenaires parmi lesquels l’assurance-maladie, la Haute autorité de santé (HAS), le CNRS mais aussi France assos Santé.
Le Health Data Hub a donc pour objectif de réunir un grand nombre de données pour faciliter la mise en œuvre de projets impliquant d’importantes masses de données ou l’utilisation de techniques de datascience. « On peut citer par exemple le projet BACTHUB conduit en collaboration par l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (APHP). Le but est de déterminer les facteurs de risque de résistances aux antibiotiques pour des infections par exemple pulmonaires. La recherche pourra s’appuyer sur les données d’hospitalisation mais aussi retracer le parcours des patients, de savoir combien de fois ils ont pris des antibiotiques dans leur vie et pour quel usage », explique le Pr Hossein Khonsari, le directeur médical du Health Data Hub
« Mieux cerner les effets indésirables des médicaments »
« Avec cet outil, on peut espérer faire des recherches d’envergure pour mieux cerner les effets indésirables des médicaments ou mieux mesurer leur impact. C’est en croisant des données de santé que l’APHP, par exemple, a pu établir que les patients traités par des antidépresseurs pouvaient faire des formes moins sévères de Covid », explique le député MoDem Philippe Latombe, très bon connaisseur du dossier. « C’est un outil dont nous avons besoin. Car à l’avenir, une très grande partie de la recherche se fera à partir de l’exploitation de ces données de santé, notamment pour mettre au point des traitements plus ciblés », ajoute-il
Reste la question cruciale de la sécurisation des données. « Elles sont toutes pseudonymisées et il n’est pas possible d’avoir accès à l’identification des personnes », assure le Pr Khonsari. Mais le Health Data Hub est depuis des mois au centre de controverses en raison de la décision prise par le gouvernement, peu après sa création, de choisir sans appel d’offres Microsoft pour héberger ses données. « Le problème est qu’aux Etats-Unis, des lois d’extra-territorialité autorisent les agences américaines à prononcer des réquisitions pour, si besoin, avoir accès à toutes les données hébergées par des entreprises américaines », indique Philippe Latombe.
En théorie, les Etats-Unis auraient donc théoriquement pu mettre la main sur les données de santé des Français. Face à la polémique, Cédric O. le secrétaire d’Etat à la transition numérique, a affirmé que Microsoft était la seule entreprise du marché capable d’héberger de manière sécurisée des données aussi sensibles. « Ce qui est faux. Simplement, Microsoft est très fort dans le domaine du lobbying et surtout dans l’assistance technique fourni aux services publics, indique Philippe Latombe. En fait, ils avaient préfiguré tout le système technique avec le Health Data Hub. Donc, forcément, ensuite, leurs solutions d’hébergement étaient vues comme les seuls pouvant être mises en oeuvre. Alors qu’il existe en France des entreprises capables de remplir cette mission ».
Au final, les pouvoirs publics français ont décidé de choisir un nouveau prestataire, non soumis aux lois américaines, pour héberger ces données. Mais ce prestataire n’a pas encore été désigné et tous les acteurs du dossier estiment que, vu la sensibilité du sujet, rien ne bougera avant l’élection présidentielle. Sans démobiliser les associations de patients qui soutiennent le projet. « Le problème de la sécurisation est majeur. Mais il faut avancer car la France a vraiment besoin de faire avancer la recherche à partir des données de santé. C’est vraiment la voie de l’avenir », assure Gérard Raymond, le président de France assos santé.