C’est en 2011 qu’a été lancée L’Initiative par le ministère des affaires étrangères pour aider les pays, principalement africains, à mieux accéder aux financements du Fonds mondial de la lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose. L’Initiative est intégrée au pôle grandes pandémie du département santé d’Expertise France, une agence publique de conception et de mise en oeuvre de projets internationaux de coopération technique. Le directeur technique de ce pôle, Eric Fleutelot fait le point sur les actions de L’Initiative dans un contexte largement troublé par la crise de la Covid-19.
Transversal : Quand et comment est née L’Initiative ?
Eric Fleutelot : ce projet a été lancé en 2011 sous l’impulsion du ministère des affaires étrangères. A l’époque, il s’appelait « L’Initiative 5% » car son budget correspondait à 5% de la contribution française au Fonds mondial. Depuis, cela a évolué puisqu’aujourd’hui, notre budget représente 9% de cette contribution. Sur le cycle 2020-2022, nous disposons ainsi de 38,8 millions d’euros par an pour mener nos actions. Et l’Initiative a été mise en place avec un objectif très clair : aider un certain nombre de pays, très majoritairement francophones et situés en Afrique de l’Ouest et du Centre, à mieux accéder aux financements du Fonds Mondial ou mieux utiliser l’argent reçu. A l’époque, on constatait en effet que les financements du Fonds en direction de ces pays étaient moins importants que ceux délivrés à d’autres pays d’Afrique.
Qui dirige l’Initiative ? Le Quai d’Orsay ou le ministère de la santé ?
C’est un projet lancé par le ministère des affaires étrangères mais dont la gouvernance ressemble un peu à celle du Fonds mondial. Notre instance de gouvernance est le comité de pilotage. Le ministère des affaires étrangères y dispose de 3 voix mais il y a aussi 2 voix pour des représentants de la société civile, 1 voix pour le ministère de la santé, 1 voix pour l’Agence française de développement (AFD), 1 voix pour la Croix Rouge Française et 1 voix pour le monde de la recherche
Combien de pays aidez-vous et sous quelle forme ?
Pour ce cycle 2020-2022, nous accompagnons 40 pays, dont les 19 pays prioritaires à l’Aide publique au développement : il s’agit de 18 pays africains auxquels s’ajoute Haïti. Sur ces 19 pays prioritaires, tous sont francophones à l’exception de l’Ethiopie, du Libéria et de la Gambie. Nous accompagnons d’abord ces 40 pays via des missions d’assistance technique afin d’appuyer leur accès aux financements du Fonds mondial et d’améliorer l’efficience de la mise en œuvre des programmes sur le terrain. Ces missions sont en général courtes, d’un an renouvelable. En parallèle, nous finançons aussi des projets, d’une durée de 2 à 4 ans, qui sont complémentaires aux programmes du Fonds mondial. Ces projets répondent à des besoins programmatiques ou à des problèmes structurels des pays bénéficiaires. Ils ont une l’ambition catalytique de faire évoluer les pratiques et/ou les politiques de santé. Par exemple, nous avons des projets pour inciter les pays à aller vers des populations plus vulnérables, parfois difficiles à atteindre.
Enfin, en 2018, nous avons créé une troisième modalité d’intervention avec une visée plus stratégique, politique ou scientifique. Par exemple, on finance, par ce biais, un appui aux pays africains qui siègent au sein du Conseil d’administration du Fonds mondial pour qu’ils aient les mêmes moyens d’expertise que ceux des pays donateurs. Ces derniers ont les moyens de se payer des chargés de mission ou des experts pour travailler sur les documents du Fonds. Et notre volonté est que les pays africains puissent faire de même et ainsi participer de manière pleine et entière aux discussions et aux décisions du Fonds. Ce qui est fondamental, c’est qu’il s’agit vraiment de missions ou de projets à la carte.
C’est-à-dire ?
Contrairement à d’autres coopérations, ce n’est pas nous qui décidons des besoins des pays. Ce sont eux qui doivent venir nous voir avec une demande. Pour parler clairement, ce n’est pas Paris qui décide ce qui est utile au Niger ou au Tchad. Pour donner quelques chiffres, on peut rappeler que l’Initiative, entre 2011 et 2019, a conduit 522 missions d’assistance technique (pour 41 millions d’euros), 109 projets d’intervention (93 millions d’euros) et 6 projets de recherche opérationnelle (5 millions d’euros)
Pourriez-vous donner quelques exemples concrets de vos actions ?
Il faut d’abord préciser que l’Initiative n’est pas là pour payer les médicaments ou les traitements. Tout cela est financé par le Fonds mondial. Notre rôle est, par exemple, d’aider les pays à faire la quantification de leurs besoins en traitements. En 2019, nous avons aussi lancé au Tchad un dispositif d’appui technique pour répondre à une condition posée par le Fonds : celui-ci voulait qu’à l’avenir, l’argent destiné au VIH et à la tuberculose soit géré par le ministère de la santé et non plus par des agences des Nations Unies. Nous avons donc financé un appui technique au ministère. Quatre collègues sont basés sur place pour aider ces équipes à travailler sur les procédures demandées par le Fonds, à gérer les commandes et l’approvisionnement en traitements. Ce travail a porté ses fruits, on le voit dans les notations délivrées par le Fonds qui a même décidé que l’argent du paludisme, jusque-là géré par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), serait à l’avenir co-géré avec le ministère de la santé.
En octobre 2019, la 6e Conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial, organisée à Lyon, a permis d’atteindre le montant cible des 14 milliards de dollars. Avez-vous, aujourd’hui, le sentiment que ces financements sont suffisants pour faire face aux besoins sur le terrain ?
On peut d’abord rappeler que cette Conférence a abouti à un résultat assez phénoménal. Jamais un tel montant n’avait été réuni par une organisation en santé. Et la France a joué un rôle important dans ce succès. Ensuite, bien sûr que sur le terrain, les besoins sont toujours très importants. C’est notamment le cas pour la tuberculose et le paludisme où les financements complémentaires de ceux du Fonds mondial sont moins importants que pour le VIH. On constate aussi que, sur le VIH, les pays commencent à financer des actions sur leurs budgets nationaux, ce qui est loin d’être cas pour la tuberculose et le paludisme.
Quel est l’impact de la crise de la Covid-19 sur vos actions et sur la lutte contre les trois pandémies ?
L’impact est évidement majeur. Cette crise a entravé la bonne marche des actions sur le terrain. Il y a eu, par exemple, des retards dans la livraison de traitements avec des conséquences qui risquent d’être durables dans le temps. Dans tous les pays, nous avons constaté une baisse des taux de nouveaux diagnostics. Et cela, on risque de le payer pendant des années, même après la fin de cette crise sanitaire. Face à cette situation, nous avons réagi en mettant très vite en place des assistants techniques Covid-19 pour que les pays puissent avoir accès des financements spécifiques et additionnels pour faire face à ce coronavirus. Cela s’est traduit par des actions très concrètes. A Abidjan, par exemple, nous avons aidé Médecins du Monde à financer des équipements de protection individuelle pour ses équipes et à réorganiser le circuit de prise en charge de ses patients. Pour la première fois, nous avons aussi fait du « social » en finançant par exemple des kits alimentaires. Car dans ces pays, beaucoup de gens travaillent dans l’économie informelle. Et avec le confinement, beaucoup ont perdu ce qui leur permettait juste de manger tous les jours
Est-ce que la Covid est devenue une préoccupation sanitaire majeure dans les pays africains ?
Les pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre restent heureusement moins touchés que la France par exemple. Mais ces pays sont assez désarmés face à cette nouvelle menace. Ils ont très peu accès à l’oxygénothérapie et ont très peu de lits de réanimation. Mais ce qui joue surtout, c’est le contexte que crée la Covid. Cela retarde ou gèle beaucoup d’actions cruciales. Comme je vous le disais, depuis un an, nous faisons moins de dépistages du VIH, moins de diagnostics de tuberculose ou de paludisme. Il y a des retards dans la distribution des moustiquaires. Certains programmes de prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant sont ralentis. Et tout ce retard qu’on est train de prendre, on risque de ne pas pouvoir le rattraper. Le risque, même si tout le monde reste plus que jamais mobilisé, est qu’on régresse dans la lutte contre les trois pandémies »
* Il est également ancien directeur général adjoint de Sidaction