En 2017, 2,3 millions de personnes supplémentaires ont eu accès aux antirétroviraux (ARV), portant le nombre total de patients à 21,7 millions. Ainsi, près de 60 % des 36,9 millions de personnes vivant avec le VIH dans le monde étaient sous traitement. « ne évolution dont il faut se réjouir, sans toutefois s’en satisfaire », estime la Dr Mariangela Batista Galvao Simao, sous-directrice générale à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), chargée du groupe Accès aux médicaments, vaccins et produits pharmaceutiques. En effet, derrière ces données – rendues publics lors de la 22e Conférence internationale sur le sida, qui s’est tenue en juillet dernier à Amsterdam – se cache une réalité plus complexe, et l’expansion des traitements est loin d’être suffisante pour atteindre les objectifs primordiaux de 2020 [1].
Systèmes de santé nationaux
Si l’accès aux ARV est une priorité pour toutes les personnes vivant avec le VIH, cela reste très complexe pour nombreuses d’entre elles. Et certaines régions du monde – comme l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale – demeurent en marge des progrès accomplis. « Le système de santé propre à chaque pays, la qualité des infrastructures, le maillage territorial, l’éventuelle instabilité politique, la capacité à proposer des services, les raisons internes qui facilitent ou non l’accès aux soins sont multiples », explique la Dr Simao, pour laquelle il est indispensable de regarder la situation de chaque État afin de « comprendre ce qui freine le développement de l’accès aux services ». Cela dit, les disparités régionales n’expliquent pas tout : pour l’OMS, comme pour la plupart des acteurs de la lutte contre le sida, les discriminations dont sont victimes certains groupes de population sont au cœur du problème.
Populations marginalisées
« Une des explications majeures de l’inégalité d’accès aux traitements est la stigmatisation des personnes que nous appelons les populations clés », confirme la Dr Simao. Femmes, usagers de drogues, prostitué·es, personnes ayant des rapports sexuels avec des personnes du même sexe… En raison de leur sexe, de leur identité de genre, de leur orientation sexuelle, de leur consommation de drogues ou de leur statut de travailleur du sexe, des populations exposées à un risque accru d’infection par le VIH affrontent des niveaux élevés de stigmatisation. Dans un rapport publié en octobre 2017, l’Onusida présentait les dernières données probantes sur la manière dont la discrimination « crée des barrières entravant l’enchaînement prévention- dépistage-traitement du VIH et réduit l’impact de la riposte au sida ». Et le tableau est loin d’être satisfaisant : « la stigmatisation à l’égard des personnes vivant avec le VIH ou exposées au risque d’infection par le VIH conduit à des comportements discriminatoires dans tous les secteurs de la société de la part des fonctionnaires, des policiers ou au sein des communautés », détaille ainsi le rapport. Une situation qui décourage les individus d’accéder aux dispositifs de santé et de se soigner.
Brevets et propriété intellectuelle
Cette exclusion des soins ne s’arrête pas à la porte des populations clés, elle s’opère aussi, évidemment, par l’argent. « Le coût faramineux des médicaments est un véritable problème pour les personnes vivant avec le VIH, témoigne Lorena Di Giano, spécialiste des droits de l’homme et directrice exécutive de la fondation Grupo Efecto Positivo (FGEP). Quand nous avons commencé notre travail sur l’accès aux médicaments, nous avons constaté que c’est bel et bien leurs prix qui empêchaient les gens de se soigner en Argentine. Or qu’est-ce qui est à l’origine de ces prix trop élevés Ce sont les barrières générées par la propriété intellectuelle, les brevets scientifiques accordés (trop généreusement ) aux grandes compagnies pharmaceutiques, qui détiennent ainsi les monopoles sur les antirétroviraux et fixent les prix qu’elles souhaitent Au détriment des droits des patients. » Face à ce constat, la FGEP se mobilise de manière active et méthodique en contestant les demandes de brevet qui ne répondent pas aux critères définis par la loi, comme le caractère innovant de la molécule. Elle a gagné plusieurs batailles, contraignant de grandes compagnies à faire marche arrière. Ce qui a permis l’arrivée de médicaments génériques sur le marché, nettement plus abordables pour les patients.
Prise de conscience globale
Les actions menées par la FGEP et ses partenaires en Argentine montrent que des solutions existent quand on veut améliorer l’accès aux traitements du VIH, de l’hépatite C et, pourquoi pas, dans le futur, d’autres pathologies. « Nous travaillons main dans la main avec les ministères de la Santé et de l’Industrie, qui ont réalisé que le système des brevets ne permet pas de promouvoir l’innovation, mais conforte les intérêts de quelques-uns », ajoute Lorena Di Giano, soulignant la nécessité de se battre pour un système de développement des médicaments plus équitable. La problématique du « prix juste » fait aussi partie des préoccupations de l’OMS, au côté des questions de qualité ou d’accessibilité, et de l’Onusida, qui a fait de la lutte contre les discriminations en matière de santé une priorité. Financement de certains programmes, création d’outils et de mécanismes prêts à l’emploi afi n de réduire la stigmatisation et la discrimination, déclaration des Nations unies appelant à une réforme législative pour supprimer les lois punitives ayant des effets négatifs sur la santé… La mobilisation de tous est indispensable si l’on veut atteindre les objectifs fixés par la communauté internationale. Et respecter le droit fondamental de chacun à recevoir le bon traitement, au bon moment
[1] Voir la déclaration politique de 2016 des Nations unies pour la fin du sida : « Objectifs et engagements mondiaux de prévention 2020 ».