Pour l’instant, c’est tout sauf un afflux massif. Au premier semestre 2012, on recensait seulement 107 personnes vivant avec le VIH dans des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Un chiffre cité dans un rapport de 2013 de la Direction générale de la santé, qui précisait que l’accueil en maison de retraite des personnes vivant avec le VIH n’était pas une question d’une actualité immédiate. « Les personnes de 60 ou 65 ans vivant aujourd’hui avec le VIH sont très majoritairement autonomes et ne se projettent pas du tout dans l’éventualité d’une perte d’autonomie », soulignait ainsi le rapport.
Lever les réticences
Bref, même vieillissantes, les personnes séropositives ne sont pas encore sur le point de débarquer massivement dans les Ehpad qui, de leur côté, semblent éprouver des inquiétudes à l’idée d’accueillir ce public nouveau, notamment à cause du manque de formation du personnel. « La méconnaissance du VIH peut générer des réticences. Mais, en général, on finit par trouver des solutions », explique le Dr Jacques Gasnault, responsable d’une unité qui accueille des patients séropositifs avec des atteintes neurologiques graves, à l’hôpital Bicêtre (Kremlin-Bicêtre). Et de raconter ce jour où il a essayé de placer un de ses patients, âgé de 50 ans, dans une maison d’accueil spécialisé (MAS). Cela a provoqué une inquiétude tellement forte que le personnel a menacé de se mettre en grève. « Finalement, la situation s’est arrangée après que nous avons proposé d’accueillir dans notre service des membres de ce personnel afin qu’ils se rendent compte que ces patients ne posent pas plus de problème ou de risque que les autres », conclut Jacques Gasnault.
Le coût des traitements anti-VIH
Selon lui, il existe d’autres obstacles, notamment les délais très longs (« jusqu’à neuf mois ») pour obtenir l’aide sociale, indispensable pour que des patients très démunis puissent entrer en Ehpad. Un autre frein, régulièrement évoqué, est celui du coût des traitements anti-VIH, que certains Ehpad disent ne pas pouvoir assumer. E aisons de retraite qui sont financées par une dotation de l’assurance maladie et ont une pharmacie à usage interne [1]. « Dans ce cas, c’est l’établissement qui assume le coût des médicaments des résidents. Et la dotation de l’assurance maladie n’est réévaluée que tous les cinq ans, en fonction des pathologies des résidents », explique Magali Bilhac, secrétaire adjointe de l’Association des directeurs au service des personnes âgées. Un établissement doté d’une pharmacie interne peut donc de bonne foi émettre des craintes face à un traitement très onéreux. Mais des solutions existent. À titre exceptionnel, les Agences régionales de santé peuvent allouer, comme en Île-de-France, des crédits complémentaires afin d’éviter qu’un résident vivant avec le VIH soit refusé.
Directeur de l’association les Petits Bonheurs, Grégory Bec se désole que le VIH puisse encore susciter tant de peurs. « Une fois, j’ai essayé d’orienter un monsieur vers une maison de retraite privée. J’avais bon espoir, car je connaissais le directeur, qui est lui-même séropositif. Mais alors que le dossier remplissait tous les critères, ce monsieur a été recalé. Et le directeur m’a dit d’un ton désolé : “Moi, je l’aurais pris volontiers. Mais si les familles des autres résidents l’apprennent, cela va poser problème…” » Une phrase terrible pour Grégory Bec. « C’est exactement la même que j’ai entendue de la bouche d’un directeur d’école quand, en 1994, j’étais allé le voir pour qu’il admette un enfant séropositif : “Moi, je le prendrais bien, mais si les familles des autres élèves l’apprennent, cela va poser problème…” »
Si les autres familles l’apprennent, cela va poser problème…
[1] En 2011, l’Igas estimait que 22 % des Ehpad possédaient une pharmacie interne.