Dépister plus et mieux, traiter tous les enfants et les adolescents vivant avec le VIH et les aider à bien suivre leur traitement: ce sont les défis que l’Afrique doit relever pour combler le retard accumulé depuis des années.
Selon les données les plus récentes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 2,1 millions d’enfants de moins de 15 ans dans le monde vivent avec le VIH, dont la grande majorité en Afrique subsaharienne.
En 2016, il y a eu 160 000 nouvelles infec tions chez les moins de 15 ans. Bien sûr, en une quinzaine d’années, des progrès majeurs ont été enregistrés : en 2000, on déplorait 460 000 nouvelles infections dans cette tranche d’âge.
Mais les avancées restent limitées : en 2016, 120 000 enfants, la plupart africains, sont morts du sida. Comment accepter ces chiffres alors que dans les pays industriali sés, grâce aux traitements, la mortalité chez les enfants atteints par le VIH a quasiment disparu et la transmission materna-foetale au cours de la grossesse est inférieure à 2 % ?
D’autre part, l’écart se creuse entre l’Afrique anglophone et francophone en matière de prévention de la transmission materna-foetale et d’accès aux traitements pour les enfants. Dans le Sud et l’Est du continent africain, 9 femmes enceintes séropositives sur 10 reçoivent un traitement antirétroviral, contre seulement une sur deux en Afrique de l’Ouest et centrale, francophone. Et quand 51 % des enfants de moins de 15 ans vivant avec le VIH ont accès à un traitement en Afrique de l’Est et du Sud, ils sont seulement 22 % en Afrique de l’Ouest et centrale, avec de fortes dispari tés entre les pays.
Dans ces conditions, peut-on espé rer atteindre les nouveaux objectifs définis par l’Onusida : d’ici 2020, réduire le nombre d’enfants nouvellement infectés à 20 000 et fournir un traitement antirétroviral à 1,4 million d’enfants supplémentaires?
Ados et jeunes filles en danger
Plus de 2 millions d’adolescents vivent avec le VIH dans le monde, dont 80 % en Afrique subsaharienne. En 2016,on estime à 260 000 le nombre de nouvelles infections chez les 15-19 ans, deux sur trois touchant des jeunes filles.Chaque jour, 150 adolescents meurent du sida. Entre 2000 et 2015, les décès annuels dus au sida ont diminué pour toutes les classes d’âge sauf pour les adolescents , pour lesquelsla mortalité a plus que doublé.Ces données alarmantes ont des explications multiples: prévention ciblée quasi inexistante et faible accès au dépistage (en Afrique subsaharienne, seuls 10 % des garçons et 15 % des filles âgés de 15 à 24 ans connaissent leur statut sérologique); accès limité au traitement (en 2016, dans 41 pays où des données sur le traitement des adolescents ont pu être recueillies, seulement 36 % des jeunes en moyenne recevaient des ARV); manquede soutien à l’observance (pour toutes les maladies chroniques, y compris dans les pays occidentaux, les adolescents ont plus de difficultés que les adultes et les enfants plus jeunes àsuivre correctement et régulièrement leur traitement: il est donc nécessaire de les y aider par des actions adaptées) . La vulnérabilité des jeunes filles, davantage et plus précocement infectées par le VIH que les garçons, est la conséquence de déterminants sociaux (notamment la pauvreté) et des inégalités de genre.
La situation préoccupante des adolescents face au VIH en Afrique mobilise les organismes internationaux, mais aussi les associations qui luttent contre le sida au Nord et au Sud.Sidaction, appuyée par Expertise France, mène par exemple avec des associations au Burkina Faso, Burundi, Congo,Côte d’Ivoire, Mali et Togo, un projet pour renforcer la formation et l’engagement des soignants dans l’accompagnement des adolescents et des jeunes filles concernés par le VIH. En 2017, ces associations suivaient 2 255 adolescents de 10 à 19 ansvivant avec le VIH et 1 376 jeunes de 20 à 24 ans.Sidaction soutient également le développement des programmes d’adolescents« pairs éducateurs» déjà misen place dans des associations partenaires au Cameroun, au Togo, au Mali et en Côte d’Ivoire. Le principe: des ados vivant avec le VIH, suivis dans une structure, se portent volontaires pour accompagner d’autres jeunes atteints par le VIH.Dans les associations où ils sont investis, les pairs éducateurs contribuent à responsabiliser les autres adolescents, à les sortir de leur isolement , les motiver dans le suivi de leur traitementet à renforcer leur estime de soi.
Dépister au plus tôt les nouveau-nés expo sés au VIH est une priorité. Or, avant l’âge de 18 mois, les tests de diagnostic rapide utili sés chez l’adulte ne permettent pas de savoir si le nourrisson a été contaminé, la présence d’anticorps maternels faussant le résultat. Il faut donc utiliser des techniques de biologie moléculaire (communément appelées« PCR ») pour un diagnostic sûr. Problème : selon David Masson, pédiatre référent de Sidaction, la plupart des pays d’Afrique francophone ne disposent que d’un ou deux laboratoires équipés pour réaliser les PCR, avec un matériel trop souvent hors d’usage. De plus, en dehors des très grands centres urbains, effectuer ces tests devient très compliqué, voire impossible.
Autre urgence : augmenter drastique ment le nombre d’enfants recevant un trai tement antirétroviral. L’OMS recommande de traiter tous les enfants dès le diagnostic. Encore faut-il qu’un choix suffisant de formu lation s adaptées aux nourrissons et aux très jeunes enfants (sirops ou comprimés orodis persibles) soit disponible.« L’industriepharma ceutique a fait des progrès, mais il y a toujours un décalage de quelques années, estime Pierre
Frange, pédiatre et chercheur à l’hôpital Nec ker (Paris), spécialiste dans le domaine de l’in fection par le VIH des femmes enceintes, des enfants et des adolescents. À titre d’exemple, chez les moins de 3 ans, nous disposons d’un seul inhibiteur de protéase qui n’est plus prescrit depuis longtemps aux adultes pour des raisons de tolérance et d’efficacité. »
Afin d’améliorer l’observance et de réduire les échecs thérapeutiques, en particulier chez les grands enfants et les ados, ce spécialiste place beaucoup d’espoir dans les recherches en cours sur de nouveaux modes d’adminis tration des antirétroviraux (ARV) : injections par voie intramusculaire une fois par mois, implants cutanés, etc. «Ce sera une avancée pour leconfort des jeunes patients, pour la confidentialité et pour la diminution du risque d’oubli»