Inégalités de genre, faible reconnaissance du travail associatif, baisse des financements… bien que la prévalence y soit moins élevée qu’en Afrique australe, l’Afrique occidentale et centrale connaît de nombreux obstacles dans sa lutte contre le VIH/sida. Début novembre, les 25 Etats de la région se sont engagés à faire mieux.
« L’urgence permanente » : c’est ainsi que la directrice exécutive de l’Onusida, Winnie Byanyima, qualifie la situation de l’Afrique occidentale et centrale. Car si d’autres régions du monde ont connu des progrès en matière de lutte contre le VIH/sida, les 25 pays qui constituent l’ouest et le centre du continent africain accusent un inquiétant retard en matière de dépistage et de prise en charge.
Parmi les personnes vivant avec le VIH/sida dans la région, seules 77% se savaient infectées en 2020, loin de l’objectif de 90% fixé par l’Onusida. Pour rappel, ce taux de dépistage atteignait 84% au niveau mondial en 2020, voire 89% en Afrique australe et orientale –région la plus touchée au monde. Si la couverture antirétrovirale est bonne (95% de patients dépistés sont traités), seules 81% de ceux sous traitement présentent une charge virale indétectable –là aussi, en-dessous de l’objectif de 90%. La situation demeure alarmante chez les enfants. Chez les 0-14 ans, seuls 35% sont dépistés et traités, et 24% sont en suppression virale.
L’accès à l’éducation, moteur d’une épidémie féminine
Autre population vulnérable, les femmes regroupent 65% des nouvelles infections. Chez les 15-19 ans, cette proportion s’élève à 82% ! Ce qui pose le problème de l’autonomisation et de l’éducation : parmi les 15-24 ans, 24% des filles ne sont pas scolarisées, ne suivent pas de formation ou ne travaillent pas –contre 14,6% chez les garçons. « Le contexte social, culturel, religieux est très peu favorable aux femmes », estime Bintou Dembele, directrice de l’association malienne Arcad Santé Plus. « Elles ont très peu de pouvoir économique et décisionnel, et doivent obéissance à leur mari. Ce qui explique qu’elles soient deux fois plus exposées au VIH », ajoute-t-elle.
Pour Daouda Diouf, directeur de l’Institut de la société civile sur le VIH et la santé en Afrique occidentale et centrale, il faut « soutenir l’éducation des jeunes filles, leur permettre d’aller au bout de leur cycle de scolarité. Cela les met en plus grande capacité de faire face aux facteurs de vulnérabilité, donc de réduire leur exposition au VIH, aux violences et aux agressions sexuelles ». Tel est l’objectif de l’initiative Education Plus, lancée lors du Forum génération égalité, qui s’est déroulé en juillet à Paris : menée sous l’égide de plusieurs agences onusiennes, dont l’Onusida, elle vise à une éducation secondaire gratuite et de qualité pour tous les jeunes Africains d’ici 2025, ainsi qu’à un accès universel à l’éducation sexuelle.
Des financements en baisse
En toile de fond des difficultés qu’endure l’Afrique occidentale et centrale, des financements très insuffisants : entre 2010 et 2020, les ressources totales affectées à la lutte contre le VIH/sida ont baissé de 11%, alors qu’elles ont crû de 29,5% au niveau mondial, de 33% en Afrique australe et orientale. Selon l’Onusida, « les ressources disponibles par personne vivant avec le VIH devront passer de 398 dollars US en 2020 à 539 dollars US en 2025 » pour couvrir les besoins.
Cette baisse des moyens recèle une situation plus complexe : entre 2010 et 2020, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a augmenté sa contribution de 85%, tandis que le programme américain Pepfar a accru la sienne de 23%. Ce qui n’a pas suffi à compenser la chute des autres financements internationaux (-79% en 10 ans), évaporés en raison de l’instabilité politique et sécuritaire qui frappe la région. Coups d’Etat, menace islamiste et Covid-19 ont aussi affecté les financements nationaux : après une hausse de 25,6% entre 2010 et 2018, ils ont diminué de 15,3% entre 2018 et 2020. La région va mal, et la lutte contre le VIH/sida en fait les frais.
Face à ces difficultés, l’Onusida et l’Institut de la société civile sur le VIH et la santé en Afrique occidentale et centrale ont organisé, du 31 octobre au 2 novembre à Dakar, un sommet régional de haut niveau sur le VIH/sida. « L’ambition était de remettre la lutte contre le VIH dans l’agenda politique, dans le contexte de la pandémie de Covid-19, de rappeler qu’elle doit demeurer une priorité sanitaire dans ces pays », explique Daouda Diouf.
Des engagements qu’il reste à tenir
Si le pari semble a priori réussi, reste à voir si les actes suivront les mots, ceux édictés dans un « Appel de Dakar à réinventer la réponse à la pandémie de VIH » (voir encadré). Qu’ils soient représentés par leur chef d’Etat ou leur ministre de la santé, tous les pays « étaient là. Mais il y avait peu d’organisations de la société civile, c’était très politique, très consensuel. Je reste un peu en attente », indique Serawit Bruck-Landais, directrice du pôle qualité et recherche en santé de Sidaction, qui a assisté au sommet.
Malgré les difficultés économiques, avivées par le Covid-19, « plusieurs pays ont pris l’engagement de contribuer davantage sur fonds propres à la lutte contre le VIH/sida », note Daouda Diouf. Hôte du sommet, le président du Sénégal, Macky Sall, a annoncé une subvention de 2 milliards de francs CFA (3,05 millions d’euros), répartie à égalité entre le programme national de lutte contre le sida (PNLS, sous l’égide du ministère de la santé) et les organisations de la société civile. La place de celles-ci, aussi cruciales pour le dépistage et l’accompagnement que pour la prise en charge médicale, était d’ailleurs au centre des échanges lors du sommet.
Le rôle des associations peine en effet à être reconnu par les Etats, malgré l’importance de leur action. « La lutte contre le VIH n’est pas une priorité. La situation est difficile, nous avons très peu de financements locaux », explique Bintou Dembele. Le sommet de Dakar constitue pourtant « un très bon signe », qui a eu quelques effets positifs lors de la Journée mondiale de lutte contre le VIH/sida, le 1er décembre : le gouvernement malien de transition, issu d’un coup d’Etat survenu en mai, a annoncé une aide de 60 millions de francs CFA (91.500 euros) d’aide sociale et alimentaire aux PVVIH.
Pour Daouda Diouf, « il faut renforcer la place des ONG dans les réponses nationales, leur accorder plus de confiance, particulièrement sur le VIH. La contribution financière [annoncée par Macky Sall] est sans précédent, elle donne espoir que les Etats prennent enfin conscience de l’importance d’investir en faveur des acteurs communautaires (…) Quand on déplace les soins vers les gens, qu’on utilise le langage qu’ils connaissent, on a plus de chances d’être accepté ».
Il se décline en quatre points :
1) Renforcer les infrastructures des organisations communautaires pour renforcer les systèmes de santé des pays grâce à l’adoption de politiques sanitaires adéquates, et à la mobilisation de financements durables
2) Mettre à jour les politiques de santé pour les aligner sur les données scientifiques les plus récentes
3) Augmenter de 33% les ressources nationales et internationales consacrées au VIH dans la région d’ici 2025, supprimer les obstacles financiers à l’accès individuel des personnes vivant avec le VIH aux services de santé
4) Placer la réponse au VIH et au Covid-19 au centre du dispositif pour préparer et répondre à l’émergence possible de futures pandémies