vih Aids monument – Antananarivo – La ronde d’amour

06.07.20
Yves Jammet
6 min
Visuel Aids monument – Antananarivo – La ronde d’amour

Après New York (2016), Durban (2000), Munich (2002), Amsterdam (2016) et Moscou (2004), alors que s’ouvre la conférence AIDS 2020, le périple de Transversal se termine à Madagascar, la « grande île » de l’océan Indien dont la superficie est presque égale à celle de la France. Le monument commémoratif d’Antananarivo a été inauguré en 2004, très tôt dans l’histoire de la célébration de la mémoire des victimes de la pandémie.

En 2019, Madagascar figurait au 162e rang parmi les 188 pays pris en compte par le Rapport sur le développement humain, publié par les Nations Unies. D’après ce rapport, la pauvreté s’évaluant sur des critères liés, entre autres, à la santé, à l’éducation et aux standards de vie (revenus, logement, travail…), on peut dire que ce pays est l’un des plus pauvres du monde.

L’amour au temps du sida

Le monument érigé place du Zoma – avenue du 26 juin 1960 est situé en plein centre-ville. Sur un piédestal relativement haut, une stèle verticale présente, au recto comme au verso, une carte de l’île sur laquelle est fixé un ruban géant du SIDA. Jouant de différents matériaux (marbre, basalte et bronze) et de la symbolique des couleurs (rouge et noir), le sculpteur, Andrianaina Rajaonimanana, tire habilement parti du piédestal et de la stèle. Le premier servant de « socle », la seconde, de « décor », à la dizaine de figures qui l’animent.

Sur les deux faces principales du monument, l’artiste a distribué ses personnages en ronde-bosse, c’est-à-dire en trois dimensions. Les huit figures renvoient implicitement à l’acte sexuel. Sur une face, la composition est familiale. Au centre, un homme de dos, entouré de deux jeunes enfants, se tient debout face à une femme enceinte qui a la main posé sur le ventre. A leurs pieds, de gros sacs remplis de riz, de manioc, de café ou d’épices évoquent la fécondité et le temps des récoltes. 

Sur l’autre face, deux scènes de séduction donnent à voir deux couples disposés de part et d’autre du ruban rouge. A gauche, un homme plaqué contre le dos d’une femme, la main sur son épaule, lui susurre des mots doux à l’oreille ou s’apprête à lui déposer un baiser dans le cou. A droite, une femme, adossée à la stèle, dans une attitude lascive, pose sa main sur l’épaule d’un homme, pour attirer son attention vers elle. Symétrie inversée des désirs. Féminins, masculins. Toucher, se laisser toucher.

Toutes les figures sont en grandeur réelle. A la fois réalistes et allégoriques, elles sollicitent l’interprétation des « tableaux vivants » qui expriment des réalités de la vie quotidienne. D’un côté, une scène de la vie conjugale. De l’autre, deux scènes de rue.

Une dialectique dynamique

En volume, les groupes sculptés donnent à penser la sexualité. Leur force réside dans le fait qu’ils sont, dans le même temps, du côté de la vie et de la mort, du rouge et du noir, d’Eros et de Thanatos. Du banal, du routinier et du quotidien ; du désir et de son accomplissement.

Lorsqu’on fait le tour du monument, on découvre deux autres personnages. Une femme et un homme, assis chacun de leur côté, seuls et pensifs. En contrepoint aux groupes principaux, ces personnages disent la solitude existentielle des humains. Tous deux témoignent à leur manière de la fragilité de chacun à l’égard du plaisir et de la sexualité puisque la mortalité est en nous et fait partie de la vie. De plus, ils portent au jour les rapports de domination paradoxaux qui animent la valse du désir et le fait que la beauté rende seule tolérable « le besoin de désordre, de violence et d’indignité qui est la racine de l’amour » [i]… 

Certains films de Pier Paolo Pasolini ou de François Truffaut, certains textes de Georges Bataille ou de Pierre Guyotat disent cela d’une autre manière que Freud, ou encore que certaines œuvres du sculpteur pop américain George Segal auxquelles ces figures peuvent faire penser. Aux abords du monument, le regardeur peut laisser émerger les souvenirs de ses aventures et de ses histoires d’amour. Ici, se remémorer, c’est commémorer.

La rue et la loi, une joie et une souffrance

Sur l’île Rouge, l’homosexualité n’est pas discriminée en droit mais elle est déniée en fait, notamment dans les familles. Néanmoins, comme partout, elle est le produit d’une histoire, à la fois individuelle et collective. Ainsi en 2002, l’écrivaine Michèle Rakotoson racontait, dans son roman Lalana, comment Naivo et son ami, Rivo, malade du sida, ont fui la capitale pour offrir au mourant la possibilité de voir la mer. En 2019, Joël Andrianomearisoa, premier artiste malgache invité à la Biennale de Venise, déclarait : « Le roi Radama II (1829-1863) me fascine parce que c’est le premier roi qui est aussi un esthète, un peu provocateur, avec ses amants et ses fêtes. J’aime cette attitude d’une histoire qu’on n’a peut-être pas voulu raconter ».

Certes, le monument d’Andrianaina Rajaonimanana fait l’impasse sur la représentation des désirs et amours homosexuels mais, en 2004, pouvait-il en être autrement à Madagascar ? En revanche, les scènes de rue qu’il représente constituent une prise de position originale et courageuse qui mérite d’être saluée. Courage de l’artiste et des responsables politiques et associatifs qui ont choisi d’échapper aux représentations convenues et consensuelles. Courage de l’idée et de la réalisation. 

D’après ce pari esthétique, on peut supposer que le sculpteur refuse d’isoler ses personnages des attraits offerts par les femmes et les hommes que l’on croise dans les rues d’Antananarivo. Dans ce sens, ce mémorial est une invitation à continuer à mettre en débat la question du désir dans l’espace public, quarante ans après le début de la pandémie.   

Notes

[i] Georges Bataille, « Préface à Madame Edwarda », Œuvres complètes, tome X, Paris, Gallimard, 1987, pp. 259-264

Agissez
Pour lutter contre le VIH/sida
Je donne
45€

Pour informer
24 personnes
sur le dépistage.

Faire un don
hearts

Pour contribuer à lutter contre le VIH

Nos actus

Toutes les actus
Restez informés En vous inscrivant à la newsletter
Vous acceptez que cette adresse de messagerie soit utilisée par Sidaction uniquement pour vous envoyer nos lettres d’information et nos appels à la générosité. En savoir plus sur la gestion de vos données et vos droits.
Partagez,
likez,
tweetez
Et plus si affinités