vih Annie Velter : chez les HSH, « L’appropriation de la PrEP n’est pas suffisante au regard de la baisse considérable de l’usage du préservatif »

28.06.24
Nicolas Gateau et Simon Fretel
7 min
Visuel Annie Velter : chez les HSH, « L’appropriation  de la PrEP n’est pas suffisante au regard de la baisse considérable de l’usage du préservatif »

Depuis 2017, l’enquête « Rapport au sexe » (ERAS) a pour but de mieux comprendre les stratégies de prévention des hommes qui ont des relations sexuelles avec les hommes (HSH). Pour Transversal, la chercheuse Annie Velter, qui coordonne l’enquête au sein de Santé publique France (SPF), présente quelques résultats marquants issus de la quatrième édition menée en 2023 et revient sur le concept de couverture préventive.

Crédit : Santé publique France

Transversal : Au fil des 4 enquêtes ERAS, vous avez développé un nouvel indicateur pour mieux évaluer la réponse face au VIH des populations HSH et bisexuelles, la couverture préventive. Pourriez-vous nous l’expliquer ?

Annie Velter : L’enquête « Rapport au sexe » a été créée en 2017 afin de mesurer l’appropriation par les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH) de l’ensemble des outils constituant la prévention combinée : le préservatif et les moyens préventifs biomédicaux (TaSP, la PrEP ou le TPE). Cette évaluation s’appuyait initialement sur un indicateur basé sur le dernier rapport sexuel.

A l’instar de l’indication de non-protection systématique avec un préservatif des pénétrations anales avec des partenaires occasionnels dans les 12 mois que nous utilisions dans les enquêtes presse gay ou dans PREVAGAY des années 2000, notre objectif était d’obtenir un indicateur intégrant l’ensemble des participants actifs sexuellement mais en incorporant les nouveaux moyens préventifs biomédicaux.

Pour ce faire nous nous sommes appuyés sur les travaux du Professeur Martin Holt, sociologue spécialisé dans la recherche sur la prévention du VIH auprès des hommes gays et bisexuels au Centre de recherche sociale sur la santé de Sydney en Australie, qui coordonne le système de surveillance comportementale auprès des HSH en Australie [i].

La couverture préventive contre le VIH est une mesure catégorielle [voir encadré ci-dessous] des pratiques sexuelles et de l’utilisation de méthodes de prévention du VIH avec des partenaires masculins occasionnels au cours des six mois précédant l’enquête. Elle est élaborée à partir de questions sur les rapports sexuels avec des partenaires occasionnels dans les six derniers mois avant l’enquête, le statut VIH auto-déclaré, le traitement du VIH et l’utilisation de la PrEP.

T. : La quatrième enquête ERAS s’est déroulée l’année dernière. Quelles sont, en matière de prévention, les principales observations à tirer de cette dernière enquête et les principales évolutions à noter depuis 2017 ?

A.V. : La principale information de cette quatrième édition d’ERAS est le niveau important de la couverture préventive globale : 73 % des participants ont déclarés des pratiques sexuelles sans risque de contamination du VIH avec des partenaires occasionnels dans les 6 derniers. Par rapport à l’édition 2017 (71 %), on constate une légère augmentation, après une baisse notable en 2021 (68 %) suite à la pandémie de la COVID-19 et aux mesures de freinage mise en œuvre.

Deux changements majeurs sont à souligner : la poursuite de la baisse de l’usage systématique du préservatif observé dès les année 1990. On passe d’un usage systématique de 46 % en 2017 à 28 % en 2023 et l’augmentation de l’utilisation de la PrEP passant de 5 % en 2017 à 25 % en 2023. Pour autant, cette appropriation n’est pas suffisante au regard de la baisse considérable de l’usage du préservatif pour augmenter le niveau de couverture préventive globale. La proportion des participants vivant avec le VIH sous traitement et avec une charge virale indétectable est stable dans le temps mais l’effet TaSP dans cette population est élevée (96 %). Quant à la proportion de participants à haut risque d’infection à VIH, après une augmentation en 2021 par rapport à 2017 (31 % vs. 28 %), elle est en diminution en 2023 (27 %).

Comme nous l’avons déjà indiqué, il est important de souligner l’impact de la pandémie de la COVID-19 et les mesures de freinage mises en œuvre sur les comportements sexuels : les tendances décrivent une rupture des indicateurs dans l’édition 2021 d’ERAS : moins de partenaires sexuels, moins de dépistage, moins de protection des pénétrations anales et probablement un ralentissent de la diffusion de la PrEP (comme l’on montré les données d’EPI-PHARE ou les résultats de l’édition d’ERAS-COVID 2020).

Si la baisse de l’usage systématique du préservatif et l’augmentation de celui de la PrEP s’appliquent de manière générale [ii], il faut noter des variations du niveau de protection au détriment de certains profils comme les jeunes HSH, les HSH résidants en dehors des zones urbaines, ceux ayant des situations financières défavorables ou encore ceux n’affirmant pas leur homosexualité. Ainsi, parmi les HSH âgés de moins de 25 ans, si le préservatif est moins utilisé entre 2017 et 2021 (48 % en 2017 vs 33 % en 2021), l’utilisation de la PrEP est marginale (11 % en 2023). Le niveau de non-protection augmentent dans cette tranche d’âge (34 % en 2017 vs. 39 % en 2023).

Chez les HSH de 25-44 ans, l’usage du préservatif baisse également de manière plus importante (47 % en 2017 vs. 29 % en 2023) mais l’usage de la PrEP augmente considérablement passant de 6 % à 28 %. Grâce à cette augmentation, et malgré la forte du préservatif, le niveau de protection gagne 2 points dans cette tranche d’âge.

Des analyses supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre ces variations dans cet échantillon de HSH basé sur le volontariat et dont les résultats ne peuvent être généralisés à l’ensemble de la population.

T. : Depuis 2017, avez-vous constaté des évolutions concernant l’usage de la PrEP ? Quels sont les déterminants de l’usage ou du non-usage de la PrEP ?

A.V. : Si on se réfère aux recommandations de l’HAS de 2021 [iii], les HSH éligibles à la PrEP (répondants multipartenaires non séropositifs pour le VIH, ayant déclaré le non-usage systématique du préservatif avec des partenaires occasionnels dans les six derniers mois lors de pénétrations anales) représentaient 33 % des participants à l’édition d’ERAS 2023. Parmi ces répondants éligibles à la PrEP, la moitié l’avaient utilisée au cours des 6 derniers mois. Ces usagers de la PrEP étaient âgés de 40 ans en médiane, socio-économiquement privilégiés, urbains, et communautaires avec une activité sexuelle importante. Ces caractéristiques ne différent pas de celles décrites dans les autres éditions d’ERAS ou d’autres études internationales.

Concernant les non-usagers de la PrEP alors que ces HSH pourraient en bénéficier du fait de leur exposition au risque VIH, ils se caractérisent par certaines vulnérabilités telles qu’un jeune âge, un moindre niveau d’étude ou une situation financière défavorable, d’être éloignés des zones urbaines, ainsi que de la scène gay communautaire mais également d’être moins en lien avec les professionnels de santé et d’échanger avec eux des questions de prévention sexuelle [iv].

La PrEP est un levier majeur pour augmenter le niveau global de protection vis-à-vis de l’infection par le VIH. Il est urgent d’identifier les barrières à son utilisation pour proposer une prévention adaptée aux besoins de la population HSH et en promouvant l’ensemble des outils de prévention actuel. Des analyses supplémentaires doivent enrichir ces résultats, afin d’orienter au mieux les programmes de prévention en s’adaptant à la population des HSH dans toute sa diversité.

  • Pour définir le niveau de couverture préventive, six catégories mutuellement exclusives ont été constituées par Annie Velter et son équipe :

    • 1 : ne pas pratiquer de pénétration anale avec des partenaires occasionnels quel que soit le statut VIH déclaré par les participants ;
    • 2 : pratiquer la pénétration anale (insertive ou réceptive) avec utilisation systématique du préservatif avec des partenaires occasionnels quel que soit le statut VIH déclaré par les participants ;
    • 3 : pratiquer la pénétration anale (insertive ou réceptive) sans préservatif (PASP) avec des partenaires occasionnels parmi les participants ayant indiqué être séropositifs sous traitement anti-VIH avec une charge virale indétectable ;
    • 4 : pratiquer la pénétration anale (insertive ou réceptive) sans préservatif (PASP) avec des partenaires occasionnels parmi les participants ayant indiqué être séronégatifs et utilisant la PrEP ;
    • 5 : pratiquer la pénétration anale (insertive ou réceptive) sans préservatif (PASP) avec des partenaires occasionnels parmi les participants séropositifs ne suivant pas de traitement contre le VIH ou ayant une charge virale détectable ou dont la charge virale est détectable ;
    • 6 : Pratiquer la pénétration anale (insertive ou réceptive) sans préservatif (PASP) avec des partenaires occasionnels parmi les participants ayant indiqué être séronégatifs n’utilisant pas la PrEP, ou ne connaissant pas leur statut sérologique ou n’ayant jamais fait de test au cours de leur vie.

    Les catégories 1 à 4 ont été classées comme des pratiques sexuelles sans risque vis-à-vis du VIH. Les catégories 5 et 6 ont été classées comme présentant un risque de transmission ou d’infection par le VIH. Au final, la couverture préventive contre le VIH est définie comme la proportion totale de participants ayant déclaré des pratiques sans risque (la somme des catégories 1 à 4).

    Les enquêtes rapport au sexe (ERAS) sont des études transversales, répétées, anonymes, en ligne et basées sur le volontariat, menées par Santé publique France (SpF) avec le soutien de l’ANRS-MIE. Leur objectif est d’évaluer l’appropriation des outils de prévention du VIH chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH).

    Les résultats des quatre enquêtes menées en 2017, 2019, 2021 et 2023, montrent une stabilité de la couverture préventive, de 71 % en 2017 à 73 % en 2023. L’usage systématique du préservatif a considérablement diminué, de 46 % à 28 %, mais cette baisse a été en partie compensée par une augmentation de l’utilisation de la PrEP, de 5 % à 25 %.

    Cette évolution est variable parmi les différents groupes identifiés. Chez les jeunes HSH (18-24 ans), les résultats montrent une adoption faible de la PrEP et une augmentation des pratiques à risque.  Les HSH résidant dans des villes moyennes (moins de 100 000 habitants) et les bisexuels affichent des niveaux de protection inférieurs.

[i] Holt, M., Chan, C., Broady, T. R., MacGibbon, J., Mao, L., Smith, A. K. Jet al. (2023). Variations in HIV Prevention Coverage in Subpopulations of Australian Gay and Bisexual Men, 2017-2021: Implications for Reducing Inequities in the Combination Prevention Era. AIDS Behav. doi:10.1007/s10461-023-04172-3

[ii] L’usage de la PrEP dans la population des HSH participants à ERAS augmente quel que soit l’indicateur utilisé dans les 6 derniers mois, au cours du dernier rapport sexuel. Voir : Velter V, Ousseine Y, Dupire P, Roux P, Mercier A. Évolution du niveau de protection contre le VIH parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes séronégatifs pour le VIH – Résultats de l’enquête Rapport au sexe 2017-2019-2021. Bull Épidémiol Hebd. 2022;(24-25):430-8. http://beh.sante publiquefrance.fr/beh/2022/24-25/2022_24-25_1.html

[iii] Haute Autorité de santé. Réponses rapides dans le cadre de la COVID-19 – Prophylaxie (PrEP) du VIH par ténofovir disoproxil / emtricitabine dans le cadre de l’urgence sanitaire. Saint-Denis La Plaine: HAS; 2021. 17 p. https://www. has-sante.fr/jcms/p_3262060/fr/reponses-rapides-dans-lecadre-de-la-covid-19-prophylaxie-prep-du-vih-par-tenofo vir-disoproxil-/-emtricitabine-dans-le-cadre-de-l-urgencesanitaire

[iv] Velter  A, Champenois  K, Girard  G, Roux  P, Mercier  A. Prophylaxie pré-exposition (PrEP) de l’infection au VIH parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes répondant à l’enquête Rapport au Sexe 2023 : qui sont les éligibles ? Qui sont les usagers ? Bull Épidémiol Hebd. 2023;(24-25):542-52. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/ 2023/24-25/2023_24-25_5.html

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