vih ANRS, IRD, REACTing : une « task force » pour soutenir la recherche anti-Covid au Sud

14.11.20
Kheira Bettayeb
7 min
Visuel ANRS, IRD, REACTing : une « task force » pour soutenir la recherche anti-Covid au Sud

En juin 2020, trois grandes institutions françaises, l’ANRS, l’IRD et REACTing, se sont rapprochées pour créer une task force dédiée à la recherche anti-Covid dans les pays à faible et moyen revenu. Quelles sont les missions de cette nouvelle structure ? Quels enjeux ? Réponses avec Claire Rekacewicz, cheffe du service « Recherches et collaboration internationales » à l’ANRS.

Transversal : Pouvez-vous nous rappeler ce que sont exactement l’ANRS, l’IRD et le consortium REACTing ?

Claire Rekacewicz : Il s’agit de trois acteurs clés de la recherche française, tous fortement impliqués dans la lutte contre les maladies infectieuses dans les pays à ressources limitées, notamment en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud-Est et en Amérique latine. L’agence ANRS, ou « France Recherche Nord & Sud Sida-hiv Hépatites », finance, anime et coordonne la recherche publique anti-VIH, hépatites, tuberculose et infections sexuellement transmissibles, en France et au Sud. L’institut de recherche pour le développement (IRD) est impliqué dans des recherches destinées à apporter une aide au développement des pays du Sud. Le consortium de laboratoires et d’équipes multidisciplinaires « REACTing » (pour REsearch and ACTion targeting emerging infectious diseases), coordonne la recherche sur les maladies infectieuses émergentes (Ebola, Zika, Covid-19, etc.).

T. : Qu’est-ce que concrètement, la task force créée par ces institutions ?

C. R. : Un groupe de travail qui rassemble une quarantaine de représentants institutionnels et de scientifiques, engagés dans la recherche sur le Covid-19 dans les pays à ressources limitées. Ces personnes sont issues de différents établissements scientifiques françaises : l’IRD, l’Inserm, mais aussi le CNRS, l’Institut Pasteur, les universités, etc. Ce groupe est aussi très multidisciplinaire et comprend notamment des médecins, des biologistes, des épidémiologistes, des représentants des sciences sociales, des économistes et des virologues.

T. : Intègre-t-il également des chercheurs du Sud ?

C. R. : Oui : il compte plus d’une quinzaine de scientifiques travaillant dans des institutions partenaires des instituts français impliqués. D’ailleurs, comme cela est le cas pour tous les groupes de travail de l’ANRS, la task force « Covid-19 Sud » est co-pilotée par un binôme de chercheurs Nord/Sud : Nicolas Meda, professeur de santé publique à l’Université Ki-Zerbo, à Ouagadougou, au Burkina Faso, pour le Sud ; et Éric Delaporte, professeur de maladies infectieuses au CHU de Bordeaux et directeur d’unité de recherche à l’IRD, à Montpellier, pour le Nord.

T. : Quelles sont les missions de cette task force ?

C. R. : Coordonner, fédérer et animer la recherche anti-Covid destinée ou réalisée avec les pays à ressources limitées. Pour ce faire, le groupe va compiler les travaux déjà réalisés sur la Covid-19 au Sud, pour savoir qui fait quoi et où. Cela, de manière à limiter le nombre de groupes susceptibles de se focaliser sur la même thématique dans une même zone ou pays. La task force va aussi développer de nouveaux projets, complémentaires ou sur des champs de thématiques non couverts par les recherches déjà en cours. Enfin, elle va favoriser le développement de nouveaux outils – comme une plateforme d’échange de données – pour aider les équipes explorant un même sujet à travailler ensemble.

T. : Pourquoi cette task force est-elle indispensable ?

C.R. : Pour proposer d’emblée une coordination de la recherche anti-Covid dans les pays à ressources limitées. En effet, en France en mai 2020, plusieurs voix, dont celles des Académies des sciences, de médecine et de pharmacie et du syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique, se sont élevées pour dénoncer un manque de coopération entre les équipes au niveau national, mais aussi européen et international. Lequel a contribué à mener à de nombreux essais redondants – concernant notamment le traitement hydroxychloroquine -, avec de petits effectifs, et donc avec un grand risque d’être peu concluants… Aussi quand l’ANRS, l’IRD et Reacting ont constaté que de nombreux financements commençaient à être débloqués pour la recherche anti-Covid au Sud, ils ont rapidement décidé de créer une task force pour coordonner celle-ci. 

T. : Quels enjeux ?

C. R. : La coordination de la recherche anti-Covid-19 au Sud devrait permettre d’aboutir plus rapidement à une meilleure compréhension de la dynamique de l’épidémie dans les pays à ressources limitées, et de ses impacts médico-socio-économiques. Car le virus SARS-CoV-2 ne se diffuse pas de la même façon dans les pays à ressources limitées qu’au Nord, probablement en raison de différences de climat, de démographie, etc. Par ailleurs, la coordination des efforts de recherche devrait aussi aider à identifier et développer plus efficacement des solutions spécifiques ou utiles pour les pays du Sud, comme des outils de diagnostic plus adaptés aux ressources limitées de ces Etats, en termes de coût et de disponibilités d’infrastructures capables de faire du diagnostic.

T. : Quelles actions déjà réalisées par la task force ?

C. R. : Le groupe de travail s’est réuni pour la première fois – en ligne – le 4 juin dernier. Lors de cette réunion, ses membres ont pu identifier deux grands axes de recherche prioritaires : comprendre la dynamique de l’infection à SARS-CoV-2 dans les pays du Sud ; et comprendre les impacts de l’épidémie en termes sociétaux, sur les politiques publiques et sur l’économie des pays. La recherche de traitements et de vaccins étant déjà largement investie par ailleurs. Afin de piloter la recherche sur ces deux thématiques, le groupe de travail a décidé de créer trois sous-groupes formés de 8 à 10 experts.

T. : Quelles sont les missions de ces sous-groupes ?

C. R. : Le premier est chargé d’encadrer la recherche visant à mieux comprendre l’épidémie au Sud, en se focalisant sur les aspects de méthodologie. Il devra répondre à des questions comme : de quelles données a-t-on besoin pour mieux décrire l’épidémie au Sud ? Quels types d’enquêtes mener ? Quels outils utiliser ? Etc. Axé également sur la meilleure compréhension de l’épidémie au Sud, le second sous-groupe a pour objectif, lui, de réfléchir à diverses interrogations concernant les tests de diagnostic : quels outils déjà disponibles ? Sont-ils validés ? Quel est leur coût ? Quelle est leur disponibilité dans les pays du Sud ? Etc.

T. : Et concernant le troisième sous-groupe ?

C. R. : Son but est d’établir des axes de recherches prioritaires pour mieux cerner les impacts médico-sociaux-économiques de l’épidémie dans le Sud. En effet, assez rapidement nous nous sommes rendu compte qu’il y avait peu de recherches sur ces aspects. Les objectifs, ici, sont de répondre à des questions comme : quel est le poids de l’épidémie dans le pays ? Quels impacts sur l’accès aux soins ? Quelles conséquences sur la prise en charge des autres maladies dans des systèmes de santé fragiles ? Sachant qu’il existe un impact à ce niveau en France…

T. : Ce sous-groupe a-t-il identifié des besoins de recherche particuliers concernant le VIH ?

C. R. : Oui. Une des préoccupations majeures de nos partenaires dans le Sud, impliqués dans cette équipe, est d’assurer notamment la continuité des traitements anti-VIH. Aussi ce sous-groupe a-t-il listé parmi les priorités de recherche, l’étude des impacts de l’épidémie de SARS-CoV-2 sur l’épidémie de VIH.

T. : La task force « Covid-19 Sud » a-t-elle vocation à perdurer au-delà de l’épidémie ?

C. R. : Difficile d’anticiper… De fait, comme elle est née pour répondre à un besoin de coordination de la recherche anti-Covid pendant l’épidémie, elle pourrait disparaître après celle-ci. Mais elle peut aussi durer au-delà, si des questions de recherche touchant au Covid dans le Sud, perdurent après la pandémie. Enfin, la task force peut aussi se transformer ; par exemple, en se rapprochant de groupes de chercheurs en sciences sociales qui existent déjà à l’ANRS, et qui travaillent de façon plus larges sur les impacts sociétaux des épidémies en général. Bref, la longévité de cette initiative dépendra des futurs besoins en recherche sur le Covid-19 dans les pays à ressources limitées.

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