vih Art against AIDS – Moscou – Le monument fantôme

29.05.20
Yves Jammet
6 min
Visuel Art against AIDS –
Moscou – Le monument fantôme

Après les monuments de New York, Durban, Munich et Amsterdam, l’itinéraire de Transversal se poursuit en Russie où l’on compterait deux monuments commémoratifs des victimes de la pandémie du SIDA. L’un à Moscou (2004). L’autre à Orenburg (2010), à la frontière de l’Europe et de l’Asie.

Si vous vous promenez du côté de la Place de Fontenoy dans le 7e arrondissement de Paris, vous remarquerez, peut-être, la sculpture en hommage à Christophe Colomb, Naissance d’un homme nouveau (1992). L’artiste Zourab Tsereteli (1934-) a donné cette œuvre alors qu’il était président de l’Académie des arts de Russie et venait d’être nommé Ambassadeur de bonne volonté à l’UNESCO. De même, dans le square Jean XXIII, aux abords de Notre Dame de Paris, vous découvrirez la statue de Jean-Paul II (2014), réplique – sans l’arche ni la croix – du bronze offert à la ville de Ploërmel, dans le Morbihan, en 2006 et qui a fait polémique.

En 2004, Zourab Tsereteli propose à l’UNESCO un projet international, humanitaire et créatif : Art against AIDS. Au nom de la Russie, il y répond par une sculpture allégorique destinée aux six continents (2004). Au centre de deux anneaux recouverts de visages et de fragments de corps, dont certains citent la statuaire antique, un nu masculin et un nu féminin, présentés frontalement, tournent la tête l’un vers l’autre. L’homme tient à sa merci, au bout d’une lance, la représentation stylisée du virus du SIDA. Au premier plan de la composition, maintenu au sol sous la domination du personnage masculin, le virus est symboliquement mis hors d’état de nuire. Dans un langage, à la fois, réaliste, idéaliste et traditionaliste, l’oeuvre cherche à être comprise de tous.

La guerre du goût

Sur le plan esthétique, l’œuvre souvent monumentale de Zourab Tsereteli – à Moscou, la Statue de Pierre le Grand (1997) mesure 98 mètres de haut – s’inscrit dans le courant figuratif, dominant en Russie. Faire un pas en arrière semble nécessaire ici. A la fin du XIXe siècle, Léon Tolstoï fustige l’impressionnisme, « l’art de l’Elite », « la recherche de l’obscurité », « la corruption de l’art ». L’art français est alors considéré comme décadent et les peintres du mouvement des Ambulants, peintres de la Russie éternelle, dominent la vie artistique. L’ouverture au public des collections Chtchoukine (1897) et Morozov (1903) donnent à voir certains des plus grands chefs-d’œuvre de Gauguin, Cézanne, Picasso, Matisse, et, dans le même temps, mutineries, insurrections, grèves, la première révolution russe redistribue les cartes. A partir de 1906, rayonnisme, suprématisme, constructivisme s’affirment comme des contributions majeures à l’art moderne et les œuvres de Filonov, Kandinsky, Malevitch, Rodchenko ou Tatline gagnent en notoriété. Mais, Lénine a une conception sociale de l’art et le retour aux formes traditionnelles s’engage dès 1921. En 1934, le tournant réactionnaire dans le domaine des mœurs et de l’art s’amplifie. Le début des « Grandes Purges » staliniennes coïncide avec l’interdiction de toute forme d’art abstrait, autrement dit avec la mise au pas de l’art et de la littérature. Selon la doctrine du « réalisme socialiste », l’artiste est un éducateur et non un explorateur ; son travail vise davantage à l’édification qu’à l’émancipation.

Une épidémie dont on ne parle pas

Revenons à aujourd’hui. Publié par le gouvernement russe en octobre 2016, le rapport Stratégie d’Etat de lutte contre la propagation de l’infection par le VIH relève que « les taux de dépistage de la population et la couverture par les thérapies antirétrovirales sont actuellement insuffisants dans la Fédération de Russie, et le rythme de leur expansion trop faible pour atteindre les résultats globaux de réduction de la propagation du VIH dans le pays ».

En février 2020, le reportage du commentateur sportif Iouri Doud, Le VIH en Russie : une épidémie dont on ne parle pas, diffusé sur sa chaîne YouTube, a été visionné par plus de 13 millions d’internautes et plusieurs membres du gouvernement. A l’origine, le journaliste voulait réaliser un documentaire sur « comment ne pas être infecté » mais, chemin faisant, la question centrale est devenue celle « des discriminations à l’encontre des personnes vivant avec le VIH, de leur mise à l’écart et du mépris dont elles sont l’objet ».

Antimémoires

Le monument de Zourab Tsereteli fait explicitement référence à la légende de saint Georges et le dragon qui orne le blason de la ville de Moscou. La critique endosse cette référence et fait écho au combat du saint protecteur des moscovites lorsqu’elle écrit : « le monument Art against AIDS symbolise le combat humain pour la vie ». Mais, depuis un certain temps déjà, les métaphores guerrières ont été jugées inappropriées par les malades, leurs proches et les soignants. En 1974, après avoir été reclus pendant des dizaines d’années sur l’île de Spinalonga, Raimondakis, porte-parole des lépreux, dit, face caméra : « nous ne voulons ni qu’on nous déteste ni qu’on nous plaigne. Nous avons seulement besoin d’un sentiment, l’amour. Amour, en tant que personne qui a une infortune, et non comme s’il était une sorte différente d’homme, un phénomène… ». En 1988, l’essayiste Susan Sontag écrit : « Nous ne subissons aucune invasion. Le corps n’est pas un champ de bataille. Les malades ne sont ni des pertes humaines inévitables, ni l’ennemi ». Les bactéries, les virus et l’homme s’adaptant l’un à l’autre, les vaccins produisent, seuls, les réponses susceptibles de neutraliser les agents infectieux.

Sur le site Aidsmemorial.info, qui établit la liste des monuments commémoratifs de la pandémie à travers le monde, figure celui de Moscou. Mais, en fait, le monument de Zourab Tsereteli n’a jamais quitté l’atelier de son créateur. Il revient donc à cet article de pointer la relation parfois conflictuelle du politique et de l’esthétique. Relation qui s’exacerbe lorsque l’espace public est en jeu, que celui-ci soit réel ou virtuel.

Agissez
Pour lutter contre le VIH/sida
Je donne
45€

Pour informer
24 personnes
sur le dépistage.

Faire un don
hearts

Pour contribuer à lutter contre le VIH

Nos actus

Toutes les actus
Restez informés En vous inscrivant à la newsletter
Vous acceptez que cette adresse de messagerie soit utilisée par Sidaction uniquement pour vous envoyer nos lettres d’information et nos appels à la générosité. En savoir plus sur la gestion de vos données et vos droits.
Partagez,
likez,
tweetez
Et plus si affinités