Disponibles à partir des années 1990, les premiers traitements contre le VIH étaient souvent mal supportés à cause d’effets secondaires lourds. Qu’en est-il des dernières générations d’ARV ? Sont-ils exempts d’effets indésirables ?
Arrivées il y a une trentaine d’années, les trithérapies antirétrovirales (ARV) ont changé la donne : l’infection par le VIH, jusque-là mortelle, est devenue une maladie avec laquelle il est possible de vivre longtemps. Aujourd’hui, les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) ont en général la même espérance de vie que les personnes non infectées. En outre, avec une bonne observance et une charge virale indétectable, ces traitements empêchent le risque de transmission du VIH.
En plus de gagner en efficacité, les ARV ont progressivement été simplifiés. Une majorité de PVVIH ne prennent plus qu’un seul comprimé par jour (contre une série, plusieurs fois par jour, à l’époque des premières trithérapies). Pourtant, si les nouvelles générations d’ARV sont plus faciles à prendre, elles ne sont malheureusement pas totalement exemptes d’effets secondaires, parfois importants.
« Être conscient de l’existence de ces problèmes et les connaître est crucial pour réagir rapidement s’ils surviennent, afin de trouver une solution et continuer à prendre correctement son traitement », souligne le Pr Pierre Delobel, chef de service des maladies infectieuses et tropicales du CHU de Toulouse, et responsable du rapport d’experts sur la prise en charge du VIH, des hépatites virales et des IST.
Des effets non recherchés
Par définition, un effet secondaire est une conséquence non recherchée d’un traitement, qui apparaît en plus de son « effet primaire » (effet désiré). Lorsque l’effet secondaire est nocif, il s’agit d’un « effet indésirable ». De fait, s’agissant de molécules biologiquement actives sur l’organisme, tous les médicaments peuvent exercer plusieurs effets sur ce dernier, dont des effets secondaires.
Par exemple, le paracétamol peut provoquer des problèmes hépatiques et les antibiotiques, des troubles gastro-intestinaux, telles diarrhée ou nausées.
Il en va de même pour les ARV, dont les effets varient selon leur type et la personne à laquelle ils sont prescrits. Certains effets surviennent à court terme, dans les heures ou les jours qui suivent la prise du médicament, et disparaissent, la plupart du temps, après quelques semaines, le temps que l’organisme s’habitue au traitement. D’autres persistent ou apparaissent à plus long terme, au bout de quelques années.
« Globalement, relativise le Pr Delobel, la tolérance aux ARV s’est nettement améliorée par rapport aux premières générations de traitement. » Parmi ceux-là, des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse [i] (INTI) – comme le d4T (stavudine), l’AZT (zidovudine) ou la DDI (didanosine) – et des inhibiteurs de protéase [ii]– comme l’indinavir ou l’amprenavir – étaient particulièrement difficiles à supporter. « Ces molécules pouvaient être responsables d’effets indésirables parfois très sévères », indique le Pr Delobel. Elles pouvaient induire une toxicité au niveau des mitochondries (des constituants cellulaires dont le principal rôle est de produire de l’énergie pour les cellules), occasionnant une myopathie (maladie des muscles), une neuropathie (problème nerveux qui se déclare au niveau des nerfs périphériques) ou encore une acidose lactique (acidité sanguine excessive).
Un des effets indésirables les plus courants et préoccupants pour les PVVIH qui ont reçu ces premiers ARV reste « le syndrome lipodystrophique : une répartition différente des graisses dans le corps, avec une fonte de celles du visage, des jambes, des bras ou des fesses (lipoatrophie) et une accumulation de graisse au niveau du ventre ou de la nuque (lipohypertrophie). Au-delà de leur aspect inesthétique, ces anomalies peuvent augmenter le risque de maladies chroniques potentiellement sévères (diabète, maladies cardiovasculaires comme l’infarctus ou l’AVC, etc.).»
Une meilleure tolérance pas exempte d’effets secondaires
En France, ces lipodystrophies « historiques » ont quasiment disparu grâce au développement de nouveaux INTI, dits de deuxième génération, qui ne présentent pas ou peu cet effet secondaire (ténofovir, abacavir, lamivudine, etc.) et l’abandon des antiprotéases de première génération. « Certaines des PVVIH traitées avec les premières générations d’ARV ont pu garder des séquelles de ces traitements (lipodystrophie, neuropathie…). Mais, excepté celles infectées par un virus résistant à plusieurs ARV, ce qui impose parfois des traitements plus lourds, la plupart d’entre elles ont vu leurs anciens traitements remplacés par des molécules plus récentes et mieux tolérées », explique le Pr Delobel.
Reste que si les dernières générations de molécules sont mieux tolérées, elles peuvent présenter des effets secondaires, dont certains sont potentiellement graves. « Actuellement, le principal [effet secondaire] est la prise de poids liée aux ARV de la classe des anti-intégrases, surtout quand ces derniers sont associés au ténofovir alafénamide», souligne le Pr Delobel.
Autorisés en Europe à partir de 2007, les anti-intégrases (raltégravir, elvitégravir, dolutégravir, etc.) agissent en empêchant le VIH d’intégrer son ADN dans celui de la cellule cible. Leur efficacité virologique et leur profil de tolérance globalement favorable en ont fait la famille d’ARV la plus largement utilisée.
Depuis 2017, plusieurs études ont associé leur prise à un risque de prise de poids excessive. Ainsi, une récente méta-analyse américaine [iii], qui a permis d’analyser les résultats de huit études randomisées portant au total sur plus de 5 680 PVVIH ayant initié un traitement entre 2003 et 2015, a révélé que comparées à celles sous éfavirenz (un ARV de la classe des inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse [INNTI]), celles sous anti-intégrases avaient jusqu’à 82 % de risque en plus de présenter un gain de poids majeur (supérieur à 10 % du poids initial).
«Cet effet indésirable ne touche pas toutes les PVVIH, mais il est très problématique : l’excès de poids accroît notamment le risque de diabète et de maladies cardiovasculaires dont les conséquences peuvent être importantes», précise le Pr Delobel.
Par ailleurs, les nouveaux ARV peuvent également induire des effets secondaires à court terme : «Certains patients présentent des troubles digestifs (diarrhée, nausées, etc.) et aussi, parfois, des effets neuro-psychiques, tels une dépression ou des troubles du sommeil, induits notamment par les anti-intégrases ou des INNTI comme la rilpivirine ou la doravirine. » Au total, « on estime qu’environ un tiers des PVVIH traitées présentent des effets secondaires plus ou moins importants».
Il existe des solutions pour contrer ces effets secondaires : certains (par exemple, nausées et diarrhée) peuvent être atténués simplement en changeant les horaires de prise du traitement. Si cela ne suffit pas, les médecins peuvent modifier le traitement en remplaçant les molécules qui posent problème.
« Si des effets indésirables apparaissent, il ne faut pas hésiter à en parler à son médecin», conseille le Pr Delobel. Parallèlement, « compte tenu des effets indésirables possibles à long terme, il est important de lutter au quotidien contre les autres facteurs de risque, notamment vasculaire, comme le tabagisme ou l’hypercholestérolémie », souligne le Pr Jean-Luc Schmit, ancien chef du service des maladies infectieuses du CHU d’Amiens. Le but est d’éviter à tout prix que les effets secondaires affectent l’observance du traitement.
Recommandé depuis 2019 par l’Organisation mondiale de la santé comme une « option thérapeutique à privilégier contre le VIH dans toutes les populations », le dolutégravir, anti-intégrase de dernière génération, n’est hélas pas exempt d’effets secondaires. Les effets les plus fréquents sont des céphalées (maux de tête) et des troubles du sommeil. À plus long terme, il semble que cette molécule fasse également courir un risque non négligeable de surpoids, comme l’ont confirmé plusieurs études menées en Afrique (essais Namsal au Cameroun, Advance en Afrique du Sud et Africos au Kenya, au Nigeria, en Tanzanie et en Ouganda) et dans des pays occidentaux.
De plus, une étude parue début 2023 [iv], conduite auprès d’environ 1 600 PVVIH à Johannesburg(Afrique du Sud), indique un autre risque possible : après 12 mois de suivi en moyenne, les PVVIH sous dolutégravir ont enregistré non seulement une plus grande augmentation de leur poids que les participants sous éfavirenz (supérieure de 1,78 kg en moyenne), mais aussi une plus forte hausse de leur risque d’hypertension (supérieure de 14,2 %). Néanmoins, le dolutégravir restant une molécule majeure dans l’arsenal thérapeutique du fait de sa très grande efficacité virologique, la balance entre ses avantages et ses inconvénients potentiels doit être appréciée au cas par cas, comme pour tous les médicaments.
Le dolutégravir, une panacée ?
[i] Une enzyme du VIH indispensable à la transformation de l’ARN du virus VIH en ADN intégrable dans celui de la cellule.
[ii] Une enzyme indispensable à la multiplication du virus dans l’organisme.
[iii] Paul E. Sax et al. Clin Infect Dis, 12 septembre 2020. doi: 10.1093/cid/ciz999.
[iv] Alana T. Brennan et al. EClinicalMedicine, février 2023. doi: 10.1016/j.eclinm.2023.101836.