En matière de lutte contre le VIH, et bien au-delà, les apports des associations sont immenses. Pourtant, leurs succès sont loin d’être définitivement acquis. Alors que l’horizon politique ne cesse de s’assombrir, plusieurs d’entre elles se sont interrogées, au cours des différentes plénières et du débat de clôture de la Convention Sidaction 2023, sur leurs stratégies et l’avenir de la lutte.
Vaincre le sida en 1983, Aides en 1984, Arcat en 1985, Act Up-Paris en 1989, Sidaction en 1994… « les associations sont parties de rien : leurs fondateurs ont développé l’approche communautaire, et appris à prendre la parole en tant que personnes concernées », explique la directrice de Sidaction, Florence Thune. Même écho au Burkina Faso : selon Christine Kafando, présidente de l’association Espoir pour Demain, « nous n’étions rien, nous ne connaissions rien. Il nous a fallu nous former rapidement pour comprendre ce qu’était le VIH/sida, pour nous faire accepter par le monde médical, par les chercheurs. Il s’agissait alors de lutter contre les peurs, de faire avancer la recherche, d’obtenir un accès gratuit aux médicaments dans les pays du Sud ».
Au Burkina Faso, qui comme d’autres pays africains a connu une épidémie plus tardive, mais non moins fulgurante, que l’Europe et les Etats-Unis, les premières associations ont été créées au début des années 1990. Au Nord comme au Sud, la lutte contre le VIH a souvent débuté par « des témoignages à visage découvert, qui ont eu un impact important », se souvient Christine Kafando. Pour les associations, la ‘visibilisation’, premier des combats, le reste en 2023.
Des succès qui ont profité à tous
Quarante ans après la découverte du VIH et la proclamation des « principes de Denver » (tous deux en 1983), les apports des associations, au Nord comme au Sud, sont innombrables, que ce soit en matière de prévention, d’accès aux soins, de lutte contre les discriminations – même s’il reste encore largement à faire dans chacun de ces domaines. Souvent critiquée pour son approche verticale, prétendument peu ouverte à d’autres impératifs sanitaires, la lutte contre le VIH a remporté des succès qui vont bien au-delà.
Selon Florence Thune, « nous agissons sur plein d’autres choses que le seul VIH. Il existe des programmes dans de nombreux pays pour améliorer la qualité de vie, pour la prévention des maladies cardiovasculaires, pour la santé sexuelle, pour la santé mentale. Les associations utilisent leur expérience pour répondre à différents enjeux, par exemple la coordination du parcours de soins chez les personnes qui en sont le plus éloignées ». D’où le plaidoyer actuellement porté par plusieurs associations pour la reconnaissance de la médiation en santé, dont les bénéfices iront bien au-delà du VIH.
La réduction des risques (RDR), en proie aux aléas politiques
Pour Christine Kafando, « la mobilisation des associations a été exemplaire. Les compétences que nous avons acquises doivent servir de modèle pour les nouvelles générations ». Qu’en est-il justement du rôle des associations de lutte contre le VIH en 2023, face à une épidémie désormais moins bien connue des jeunes, et dont de nombreux décideurs politiques se sont détournés ? Pour Fred Bladou, chargé de mission nouvelles stratégies de santé chez Aides, « nous n’avons jamais été bien entendus [des pouvoirs publics], il nous a fallu nous battre contre les dogmes politiques pour avoir accès à la santé. C’est toujours d’actualité : les facteurs de vulnérabilité restent les mêmes ».
Les hommes politiques, quant à eux, évoluent. Pas forcément dans le sens souhaité : « nous assistons à une montée des idées radicales, de l’extrême droite, des populismes », constate Fred Bladou. Ce qui, pour cet administrateur de la salle de consommation à moindres risques (SCMR) Gaïa à Paris, constitue un mauvais signal pour le déploiement de ces dispositifs de réduction des risques (RDR).
Au-delà des deux SCMR déjà créées en France (Paris, Strasbourg), désormais renommées « haltes soin addiction », le ministre de la santé Olivier Véran s’était engagé en 2021 à étendre l’expérience, suite à ses résultats concluants. D’autres villes, dont Bordeaux, Lyon, Lille, Marseille, avaient fait part de leur intérêt. L’eau a depuis coulé sous les ponts : la « guerre contre les drogues » s’est durcie, et le dossier, désormais aux seules mains du ministère de l’intérieur, est de nouveau au point mort.
La démocratie sanitaire, un acquis fragile
Héritage associatif, entrée dans le droit français via la loi Kouchner de 2002, « la démocratie sanitaire est en cours d’essoufflement », observe Jérôme Martin, ancien président d’Act Up-Paris (2003-2005) et cofondateur de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicaments (OTMeds). « Nous sommes moins entendus parce que les décideurs politiques ne veulent pas nous entendre, parce que nous ne sommes pas en accord avec eux ».
Exemple frappant de surdité à la parole associative, la récente crise du Covid-19, polarisée entre injonctions sanitaires officielles et messages complotistes sur les réseaux sociaux. « La parole des malades a complètement disparu, cela va être très dur à reconstruire. D’autant que c’est quelque chose qu’on a mis beaucoup de temps à construire avec la lutte contre le sida, que ce soit par la consultation ou les rapports de force », estime Jérôme Martin.
Le constat s’étend d’ailleurs bien au-delà du VIH/sida. Exemple récent, celui du Covid long : représentant les patients atteints de cette affection émergente, l’association #AprèsJ20 indique n’avoir « été entendue, en France, que du moment où l’OMS [Organisation mondiale de la santé] a auditionné les associations », observe Faustine Hélie, qui en est la cofondatrice. Après de premières concertations, par la direction générale de la santé (DGS) et la Haute autorité de santé (HAS), l’arrivée de François Braun au ministère semble avoir sonné le glas de ces premiers espoirs. « Le temps politique français est déconnecté du constat effectué, aussi bien à l’international que sur le terrain, quant à la réalité du Covid long. Nous sommes entendus, mais il n’y a aucune action », déplore Faustine Hélie.
Egalement en cause, les lobbies médicaux, qu’Yvanie Caillé, fondatrice de Renaloo (association de patients atteints de maladies rénales), juge responsables du manque d’ambition des autorités sanitaires en matière de greffe rénale, bien moins coûteuse que la dialyse – mais très rentable pour les centres hospitaliers. Face à « ces lobbies qui font que rien ne bouge », « la voix des patients s’exprime, mais elle s’exprime dans le vide », estime Yvanie Caillé. Autre exemple de lobbying, celui, toujours plus bruyant (et efficace) de groupes de pression ultra-conservateurs, militants d’extrême droite ou catholiques intégristes, qui s’opposent au déploiement effectif de l’éducation à la sexualité dans les établissements scolaires, à la mise en place des SCMR.
Réinventer les modes d’action
Face à ces défis, « nous devons réinventer nos modes d’action », estime Fred Bladou. Egalement en panne d’écoute par les décideurs politiques, Renaloo et #AprèsJ20 appellent également à la convergence des luttes, ainsi qu’à la mise en place d’alliances européennes, voire internationales. « Nos combats sont souvent menés en silo, il faut faire infuser le débat un peu partout », ajoute Jérôme Martin.
Au-delà de leur manque d’écoute, les gouvernants ont-ils encore envie, dans un monde qui s’achemine vers l’illibéralisme, de subir les critiques des associations ? Lors de la Convention de Sidaction, plusieurs acteurs associatifs ont évoqué les récentes menaces émises par des collectivités territoriales, à coup de chantages à la subvention contre les associations dénonçant leur politique.
Tout porte à craindre que l’Etat s’apprête à en faire autant. Exemple récent, les menaces de baisse de subvention émises début avril par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, à l’encontre de la Ligue des droits de l’homme. Ou encore la dissolution le 21 juin des Soulèvements de la Terre, association qui, comme celles de lutte contre le VIH, crie l’urgence d’agir contre une menace planétaire. Le 1er décembre 1993, Act Up-Paris dénonçait la faiblesse des politiques de prévention en enfilant une capote géante sur l’obélisque de la place de la Concorde. Trente ans plus tard, que lui vaudrait un tel coup d’éclat ?