La région Ile-de-France a lancé fin août une “garantie immobilière solidaire”, sous la forme de conventions passées avec des établissements bancaires et des assureurs. L’objectif du dispositif est de neutraliser les surprimes imposées aux primo-accédants présentant un risque aggravé de santé, les personnes vivant avec le VIH notamment. Si l’initiative est saluée par les associations, celles-ci soulignent la nécessité de revoir en profondeur l’actuelle convention AERAS, qui écarte de nombreux emprunteurs potentiels et s’appuie sur des critères scientifiques jugés dépassés.
Vaut-il mieux compenser les faiblesses de la convention AERAS en attendant mieux, ou revoir cette dernière en profondeur ? C’est la question posée après le lancement par la région Île-de-France, fin août, d’un dispositif destiné à neutraliser les surprimes d’assurance imposées aux emprunteurs franciliens présentant un « risque aggravé de santé », les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) notamment.
La « garantie immobilière solidaire » instaurée par la présidente du Conseil régional Valérie Pécresse prend la forme de conventions passées avec plusieurs banques et assureurs (CNP Assurances, La Banque Postale, la Banque Populaire Rives de Paris et Val de France, et la Caisse d’Epargne Île-de-France). Depuis le 25 août, la Région a mis en place un fonds de garantie de 3,7 millions d’euros destiné à prendre en charge la part des surprimes qui pourraient être imposées dans les contrats d’assurance de ces établissements et qui ne seraient pas écrêtées par le dispositif AERAS. Cette garantie annulera des surprimes pouvant atteindre jusqu’à 300%, dans le cadre d’emprunts pour l’acquisition d’un logement ou d’un bail commercial, dans la limite de 320.000 euros.
L’origine de ce dispositif part précisément du constat de l’insuffisance de la convention AERAS, qui régit actuellement les relations entre les secteurs bancaire, assurantiel et les emprunteurs. « La convention AERAS se contente d’écrêter et les surprimes d’assurance peuvent s’avérer prohibitives pour certaines personnes », nous explique Farida Adlani, vice-présidente du conseil régional en charge de la Santé, à l’origine de cette « garantie immobilière solidaire ». « Notre démarche est de tendre la main à ces personnes qui subissent la double peine. Nous avons signé des conventions avec cinq établissements, mais l’objectif est de discuter avec d’autres banques pour étendre le dispositif. »
La Région cite l’exemple d’une personne de 50 ans vivant avec le VIH qui souhaiterait emprunter sur 20 ans pour acquérir sa résidence principale, soit 360.000 euros avec un apport personnel de 10%. L’assurance emprunteur lui coûterait 91.000 euros au total, soit un surcoût de 68.000 euros par rapport à une personne ne souffrant d’aucune pathologie. L’écrêtement de la convention AERAS ramènerait le surcoût à 26.000 euros. Cette dernière somme serait prise en charge grâce à la garantie régionale.
Un impact limité ?
Ce dispositif est « une bonne idée », dans une région où les prix de l’immobilier sont « très élevés », juge Marc Morel, directeur général de France Assos Santé. « La région Île-de-France se greffe sur le dispositif AERAS et prend le différentiel entre la prime et la surprime, la partie non écrêtée. Tout ce qui peut permettre d’améliorer l’accès à l’emprunt est une bonne chose. » Pour autant, souligne-t-il, « cela ne veut pas dire que la Région prend en charge toutes les surprimes, mais seulement celles des emprunteurs qui bénéficient de l’écrêtement de la convention AERAS. »
Selon Marc Morel, on estime à 2500 par an le nombre total d’écrêtements dans le cadre du dispositif AERAS en France. A l’arrivée, le nombre potentiel de personnes qui pourraient bénéficier du mécanisme régional « ne va pas dépasser la centaine », juge-t-il. « C’est un premier pas très important, mais ce dispositif aura très peu d’impact car il s’inscrit en complément de la convention AERAS », juge également Roman Krakovsky, président des Séropotes, association à l’origine d’une table ronde organisée en janvier 2020 pour relancer le débat sur l’assurance emprunteur. « Or la convention AERAS comprend déjà des critères très restrictifs, notamment sur le VIH. »
« Le dispositif nécessite de souscrire un contrat avec une assurance liée par convention avec la région », relève en outre Bruno Lamothe, juriste au sein des Séropotes. « C’est d’une part limité, et d’autre part cela crée des remous dans le secteur de l’assurance puisqu’il faut s’assurer au sein de ces établissements pour en bénéficier. Par ailleurs, vous aurez des assureurs qui vont faire reposer sur la Région un risque qu’ils devraient assurer eux-mêmes, ce qui pose des questions. »
La convention AERAS doit évoluer au rythme de la science
De l’avis de chacun, l’initiative régionale a surtout mis en lumière la nécessité de faire évoluer la grille de référence de l’actuelle convention AERAS. S’agissant des personnes vivant avec le VIH, la dernière modification, en 2018, a instauré un plafonnement des surprimes, mais dans des conditions qui restent très restrictives, eu égard aux critères proposés. Parmi ces critères exclusifs : l’absence de co-infection par le VHB ou le VHC, l’absence d’usage de substance illicite – particulièrement combattu par les associations comme Aides, qui le juge discriminatoire -, ou encore l’absence de tabagisme actif et un traitement antirétroviral ayant débuté seulement après janvier 2005.
« La publicité donnée par le lancement de ce dispositif va nous permettre d’aborder le problème de fond de l’accès à l’assurance emprunteur, qui est une question délaissée depuis longtemps », estime Roman Krakovsky. « Nous pensons que la convention AERAS s’inscrit dans une évolution délétère. Nous sommes passés d’une mutualisation à une individualisation, à une segmentation du risque qui crée des inégalités et laisse une partie des personnes sur le bord du chemin. »
Un constat d’ailleurs partagé à la Région. « Aujourd’hui, le dispositif AERAS est très insuffisant par rapport au nombre de prétendants au prêt immobilier », explique Farida Adlani. « Nous avons voulu soulever ce problème. Nous allons d’ailleurs demander au législateur que des dispositifs soient portés au niveau national pour y répondre. »
Pour Marc Morel, de France Assos Santé, la priorité est désormais de « travailler sur les données qui fondent le niveau des surprimes. Sur le VIH, par exemple, le temps de prise en compte des évolutions thérapeutiques est beaucoup trop long. Il faut mettre le paquet sur l’objectivation des risques ». Une priorité esquissée lors de la table-ronde organisée par les Séropotes en janvier dernier. Lors de son intervention, l’épidémiologiste Dominique Costagliola, avait fait valoir, études à l’appui, que les personnes vivant avec le VIH n’ont « pas de niveau de morbidité plus complexe que ce qui est décrit pour d’autres pathologies chroniques », et qu’il n’y a dont « pas de sur-risque » pour ces personnes dès lors qu’elles sont sous traitement, avec une charge virale contrôlée.
La prise en compte de ces données donnerait de la matière aux assureurs pour revoir leurs pratiques. Ce qui est valable pour le VIH l’est d’ailleurs pour d’autres pathologies. « On doit progresser sur l’insuffisance rénale, afin de déterminer un sous-ensemble de personnes assurables », explique Marc Morel. « Il y a également quelque chose à faire autour du risque cardiovasculaire, et de l’hémophilie. De façon générale, le manque de données est préjudiciable. Il ne faut pas oublier que cela ne concerne pas seulement le logement, mais aussi le prêt professionnel, qui est vital pour l’activité des artisans. »
Des sujets qui devraient être abordés lors des prochains comités de suivi de la convention AERAS. À cette occasion, la question spécifique de l’évolution des données scientifiques quant au VIH devrait être au cœur des débats. Parmi les chantiers, certains acteurs associatifs voudraient remettre sur la table deux sujets, le plafond des 320.000 euros de prêt, jugé trop faible compte tenu de l’évolution du marché immobilier, et l’actuel plafonnement à 27 ans entre le début du traitement et la fin du contrat d’assurance, prévu dans la convention, qui écarte bon nombre de personnes séropositives de l’accès au crédit.
À plus long terme, certains prônent un retour à la mutualisation du risque, selon un principe de solidarité qui permettrait un accès beaucoup plus large au crédit chez les personnes dites « à risque aggravé de santé ».