Depuis 2018, la convention Aeras signée par les secteurs bancaire et assurantiel plafonne les surprimes d’assurance prêt pour les personnes vivant avec le VIH. Pour autant, la pratique des surprimes ne tient pas compte de l’état de la recherche, ont pointé les intervenants d’une table ronde organisée en janvier dernier par l’association Les Séropotes. De fait, les conditions pratiquées excluent de nombreuses personnes de toute possibilité d’emprunt.
Une personne séropositive pourra-t-elle un jour emprunter dans les mêmes conditions que l’ensemble de la population ? C’est la question posée par un “workshop” organisé le 20 janvier dernier par l’association Les Séropotes à l’Hôtel de Ville de Paris. Une table ronde en présence d’acteurs du monde de l’assurance, qui avait pour objectif de relancer le débat sur l’accès au crédit des personnes vivant avec le VIH (PVVIH), mis en sourdine depuis la dernière évolution de la convention Aeras (ex-convention Belorgey) en 2018.
Cette évolution avait été initiée dans la continuité du “droit à l’oubli” instauré en 2017 par la loi de modernisation du système de santé, qui permettait aux personnes souffrants de cancers de ne pas déclarer leur ancienne pathologie à l’issue d’un délai de dix ans après la fin du protocole thérapeutique – délai réduit à cinq ans pour les cancers chez les personnes mineures – et donc d’échapper à toute majoration de tarifs ou exclusion de garanties.
S’agissant des PVVIH, la modification obtenue en 2018 a instauré un plafonnement des surprimes des garanties invalidité et décès à 100%, dans des conditions drastiques qui ont été listées dans une grille de référence mise à jour annuellement dans le cadre des travaux du comité de suivi de la convention Aeras. Le plafonnement s’applique à des personnes dont la charge virale est indétectable, sans rechute depuis deux ans, sans co-infection, ne consommant ni tabac ni “substances illicites”. Il concerne les prêts immobiliers ou professionnels inférieurs à 320000 euros. Le contrat d’assurance ne peut excéder 27 ans après le début du traitement, et doit arriver à échéance avant le 71e anniversaire.
Des garanties inadaptées ?
“Nous sommes partis du constat que les évolutions de la convention Aeras ne se faisaient qu’à la marge, et toujours sous la pression du monde associatif et politique”, nous indique Bruno Lamothe, juriste des Séropotes à l’initiative de la table-ronde de janvier. “Nous nous retrouvons encore aujourd’hui avec des scories remontant à des années”, ajoute-t-il, jugeant particulièrement discriminant pour de nombreuses personnes séropositives le critère des 27 ans entre le début du traitement et la fin du contrat, ainsi que le maintien d’une surprime de 100%. “Nous avions besoin de confronter des données scientifiques actualisées aux assureurs. Lors de ce workshop, on a pu constater que ces critères n’étaient plus valables depuis dix ans.”
Les partisans d’une normalisation des conditions d’assurance-prêt s’appuient notamment sur l’intervention de l’épidémiologiste Dominique Costagliola lors de cette table-ronde. Etudes à l’appui, la directrice de recherches a montré que le PVVIH n’ont, à ce jour, “pas un niveau de morbidité plus complexe que ce qui est décrit pour d’autres pathologies chroniques”, et surtout qu’il n’y a “pas de surrisque pour les PVVIH sous traitement, avec une charge virale contrôlée”, selon les termes de l’épidémiologiste. Des constats qui remettent ainsi en cause l’idée même d’une surprime mais aussi, pour certains, d’autres critères maintenus dans la grille de référence comme les co-infections et la consommation de substances illicites.
Des difficultés persistantes
La grille de référence mise à jour en 2018 semble d’ailleurs loin d’avoir réglé tous les problèmes, même si la commission de médiation de la convention Aeras n’enregistre chaque année qu’une dizaine de cas relatifs au VIH sur une centaine de recours déposés. En témoigne la ligne d’écoute de Sida Info Droit, toujours saturée de sollicitations relatives aux problèmes d’accès au crédit. “Une grande majorité de nos appels concerne toujours des problèmes liés à l’application de la convention Aeras”, nous assure l’avocate Samira Hadjadj. “Il s’agit souvent de personnes séropositives qui n’ont pas eu accès à l’assurance, notamment parce qu’elles dépassent largement le délai des 27 ans, ou parce que les propositions qui leur étaient faites ne couvraient pas toutes les garanties, notamment en invalidité.”
L’une des conséquences, près de 30 ans après la première convention signée avec les assureurs, se fait toujours sentir : la non-déclaration de la pathologie par les contractants. “Beaucoup prennent encore de grands risques”, rappelle Samira Hadjadj. “Un certain nombre de personnes ne déclarent pas. Nous ne leur disons pas ce qu’ils doivent faire, mais nous leur rappelons quel est le champ des possibilités”, précise la juriste, selon laquelle les appelants sont généralement informés de l’existence de la convention Aeras “mais n’en connaissent pas toutes les dispositions”.
Des pistes de progrès
Certains acteurs associatifs rêvent de voir le VIH sortir de la grille de référence. Mais le droit à l’oubli stricto sensu est-il soutenable dans le cas du VIH ? “Le droit à l’oubli est un terme de communication et un combat moral formidable, mais qui ne couvrira jamais la grande majorité des pathologies”, estime Mariannick Lambert, membre de France Assos Santé et de la commission de médiation de la convention Aeras. “Pour nous, la grande victoire, c’est la grille de référence”, nous explique-t-elle, assurant que les progrès viendront d’un travail sur les critères à faire évoluer. Avec, comme nerf de la guerre, des études scientifiques et des données à opposer aux assureurs pour les convaincre des évolutions à conduire.
“L’objectif était de relancer une dynamique de travail en amenant les intervenants à se positionner”, explique Roman Krakovsky, le président des Séropotes, qui entend mener un travail de suivi auprès des acteurs qui étaient présents à la table-ronde. “Il y a un travail à mener sur les surprimes de 100%”, abonde Bruno Lamothe, qui estime, après avoir échangé avec les acteurs, qu’il y a “une marge de manoeuvre politique sur ce critère”. Durant la table-ronde, Gilles Bignolas, médecin de la DGS à la tête du groupe de travail “Grille de référence et droit à l’oubli”, a reconnu que le fait que des personnes puissent encore, de nos jours, mentir dans leur déclaration pour obtenir un prêt menait à “se poser la question de l’évaluation de nos équations de risque”. Sur le terrain, les professionnels semblent l’avoir compris plus tôt. Comme le souligne Bruno Lamothe, “la plupart des assureurs, dans la pratique, sont déjà en deçà des 100% de surprime”.