L’ATI – interruption analytique du traitement – est la méthode la plus appropriée lors d’essais cliniques pour évaluer l’efficacité d’une stratégie thérapeutique visant la rémission à long terme. Comment s’applique-t-elle ? Qui peut en bénéficier ? Y a-t-il des risques ? Revue de cette méthode qui soulève des problématiques éthiques.
Depuis de nombreuses années, les chercheurs se concentrent sur la possibilité d’atteindre une rémission du VIH. C’est-à-dire un traitement – probablement en plusieurs prises consécutives – qui permettrait d’éliminer définitivement le virus de l’organisme ou au moins de réduire fortement la présence du virus pour qu’il puisse être contrôlé par le système immunitaire et mettrait fin à la prise d’ARV à vie. Mais comment évaluer l’efficacité de ce traitement candidat chez des personnes pour qui le virus est actuellement parfaitement contrôlé par les ARV ? Une seule solution : l’arrêt des ARV.
ATI : Une stratégie incontournable dans les essais cliniques.
L’ATI est un outil utilisé lors d’essais cliniques et qui a pour but de servir une question scientifique, d’où la notion d’analytique. Cette interruption n’est donc théoriquement pas dans l’intérêt du patient et doit se mettre en place avec son consentement éclairé et une pleine conscience des potentiels risques. A ce sujet, des experts du VIH s’étaient réunis en 2018 afin d’établir des recommandations sur l’usage de l’ATI, donnant lieu à un rapport publié dans la revue The Lancet l’année suivante [i] (Voir aussi notre article de septembre 2019).
L’efficacité d’une stratégie thérapeutique s’évalue généralement sur deux critères après l’interruption du traitement : la durée écoulée pour observer un rebond de la charge virale et/ou la proportion de patients toujours en suppression virale après un temps déterminé.
Prochainement, l’ATI va être utilisée lors de deux essais dirigés par le consortium RHIVIERA qui travaille sur des stratégies de rémission du VIH [ii]. « Un des essais consiste à tester l’efficacité d’une combinaison d’anticorps neutralisants et d’ARV administrée à des patients en primo-infection » explique Asier Sáez-Cirión, directeur de recherche à l’Institut Pasteur et membre du consortium.
« Le traitement sera interrompu au bout de 12 mois, à condition que la charge virale soit bien contrôlée et le taux de CD4 suffisamment haut. Nous avons des données préliminaires solides qui suggèrent que cette stratégie pourrait limiter la formation de réservoirs viraux et améliorer la réponse immunitaire, laissant l’espoir d’une meilleure capacité de contrôle après l’arrêt des ARV » ajoute-t-il. L’essai va débuter dans les mois à venir.
Découverte de marqueurs prédictifs au rebond viral.
En utilisant l’ATI, les scientifiques analysent également les critères cliniques, virologiques ou immunologiques associés à la durée du rebond. C’est ainsi qu’en 2016, une équipe de chercheur américains a mis en avant que la taille du réservoir viral prédit la rapidité du rebond après l’arrêt du traitement [iii].
Dans ce but, le consortium RHIVIERA lance également un second essai utilisant l’ATI : « Dans l’étude VISCONTI*, nous avons identifié des marqueurs génétiques associés au contrôle de la charge virale après l’interruption du traitement » annonce Asier Sáez-Cirión. « Nous avons sélectionné plusieurs patients qui portent ces marqueurs (au sein d’une autre cohorte, la cohorte PRIMO**), et l’ATI va nous permettre de les valider ». Dans ce contexte il n’y a donc pas de nouvelle stratégie thérapeutique à tester, le but est de mieux comprendre les relations entre le VIH et son hôte pour ensuite développer des stratégies qui miment les réponses immunitaires impliquées.
L’ATI, Pour qui ?
Aujourd’hui, seules les PVVIH avec une charge virale indétectable peuvent participer à une étude intégrant une ATI. De plus, le nombre de CD4 doit généralement être supérieur à 500/mm3. Les critères peuvent légèrement varier selon les études mais « beaucoup de personnes sont impliquées lors de la mise en place d’un protocole. Nous consultons notamment le comité TRT-5 afin de nous assurer de la qualité de vie des volontaires pour encadrer l’interruption » souligne Asier Sáez-Cirión.
Les critères d’exclusion comprennent les femmes enceintes, les personnes ayant des comorbidités qui pourraient aggraver le risque en cas de rebond viral, ainsi que les personnes avec une résistance connue à une molécule ARV. La capacité de la personne à suivre un protocole à la lettre est un aspect que les cliniciens prennent aussi en compte afin de s’assurer du bon déroulement de l’étude, d’abord pour la santé du volontaire mais aussi pour les retombées scientifiques de l’étude.
Des risques bien encadrés.
Un arrêt des traitements antirétroviraux (ARV) entraine inévitablement un rebond de la charge virale un jour ou l’autre chez les personnes vivant avec le VIH (sauf dans de rares cas où le système immunitaire du patient arrive à contrôler l’infection sans recours à un traitement). La question des risque encourus par l’ATI est légitime. Récemment, une étude espagnole a par exemple montré que des PVVIH ayant eu une interruption des ARV ont des répercussions cliniques plusieurs années après comparées à des personnes qui n’ont jamais interrompu leur traitement [iv]. Ces observations ne doivent cependant pas sonner le signal d’alarme selon Asier Sáez-Cirión : « L’étude s’appuie sur des ATI réalisées il y a une trentaine d’années, il s’agissait d’interruptions parfois très longues et pas aussi bien encadrées qu’aujourd’hui ».
Dans les essais actuels, l’ATI est étroitement encadrée afin d’agir au plus vite en cas de rebond viral majeur pendant le protocole. C’est pourquoi le nombre de CD4 en début de protocole est important et permettra de tolérer une remontée de la charge virale si elle se produit. Aussi, des mesures spéciales sont pensées pour les volontaires : « Dans les essais RHIVIERA nous proposons les services d’une infirmière à domicile pour le contrôle régulier de la charge virale. Nous explorons l’idée de mettre en place un dispositif d’autotests pour les études à venir » explique Asier Sáez-Cirión.
Ces dernières années, les nouvelles connaissances accumulées sur le fonctionnement des réservoirs du VIH, le potentiel des anticorps neutralisants à large spectre et des molécules antirétrovirales innovantes ont aboutis à la mise au point de nouvelles stratégies de Cure. Les essais cliniques chez l’Homme sont l’étape finale de ces recherches et l’ATI y occupe une place centrale et nécessaire. Bien qu’il soit important d’être conscient des risques, l’ATI fait avancer les recherches contre le VIH et ouvre une porte de plus vers l’espoir de pouvoir atteindre un jour la rémission du VIH.
* La cohorte VISCONTI rassemble des PVVIH qui contrôlent naturellement la charge virale depuis l’arrêt des ARV.
** La cohorte PRIMO rassemble des PVVIH traités dès la primo-infection et suivies sur le long terme depuis le début de la prise des ARV.