vih Au Congo-Brazzaville, les ruptures de stock d’ARV, un mal chronique

11.10.17
Frédérique Prabonnaud
9 min
Visuel Au Congo-Brazzaville, les ruptures de stock d’ARV, un mal chronique

L’armoire à pharmacie est bien là. Mais les étagères sont presque vides. La photo a été prise à l’hôpital de base Makélékélé à Brazzaville (la capitale). Elle aurait pu l’être dans bien d’autres centres de prise en charge du VIH du Congo. Car dans ce pays d’Afrique centrale, les ruptures de stock d’antirétroviraux (ARV) sont devenues une habitude. « La situation est dramatique ! » résume le Dr Diane Alexia Fila, d’Avenir positif, une association créée en 2007, à Pointe Noire, par des parents d’enfants vivant avec le VIH. « Les malades sont abandonnés à eux-mêmes ; ceux qui ont la possibilité d’acheter achètent et les autres sont presque à six mois sans traitement », poursuit Fleur Tulsie Makosso, de l’Association serment universel (ASU).

Des engagements théoriques

Sur le papier, pourtant, le Congo-Brazzaville, pays à revenu intermédiaire, affiche une politique ambitieuse de lutte contre le VIH. Un décret de 2008 instaure la gratuité de la prise en charge des personnes vivant avec le VIH (dépistage, examens de suivi biologique et traitements). L’État congolais s’engage alors à financer les ARV pédiatriques et adultes. Par ailleurs, en 2011 est votée une loi de « lutte contre le VIH et le sida, et pour la protection des droits des personnes vivant avec le VIH ». Des engagements qui restent théoriques et qui ne masquent pas une réalité très différente. Compte tenu des quantités fournies insuffisantes, dès 2012 le Fonds mondial contre le VIH, la tuberculose et le paludisme a pris le relai du Congo pour les ARV pédiatriques. Mais la situation ne s’est pas améliorée pour autant en ce qui concerne les stocks d’ARV adultes. Depuis 2013-2014, le système de santé vit au rythme des ruptures d’approvisionnement. Une spécialiste du dossier explique ces ruptures par une « mauvaise gouvernance et la non-priorisation de l’allocation des budgets nationaux vers l’achat rationnel de médicaments ». Elle ajoute que « depuis 2015, les budgets prévus par l’État pour l’achat des ARV adultes n’ont pas été attribués à cet effet ». 2015, c’est aussi l’année où la centrale d’achat Comeg (Congolaise des médicaments essentiels et génériques) a été dissoute. La nouvelle centrale n’existe pour l’instant que sur le papier – une équipe technique assurant la gestion intérimaire – et fonctionne sans statut. Le pays subit des ruptures, partielles à totales, pour les ARV de 2e ligne, mais aussi pour ceux de 1re ligne, alors que la file active sous traitements était estimée à 23 000 adultes et plus de 1 500 enfants en mars 2017.

Augmentation de la mortalité, des résistances des infections opportunistes, du nombre de nourrissons infectés par le VIH…

Augmentation de la mortalité, des résistances des infections opportunistes, du nombre de nourrissons infectés par le VIH…

Des conséquences désastreuses en cascade

Le Congo-Brazzaville est pourtant loin d’être le pays le plus pauvre d’Afrique centrale, car il dispose de réserves pétrolières. Mais sa croissance économique est en berne depuis 2015. Il subit l’effondrement des cours du pétrole, dont son économie dépend à 60 %, et sa dette a explosé. Le tout dans un contexte politique tendu (changement de constitution, élection présidentielle).

Début juillet, une mission de Sidaction menée à Brazzaville a permis de mesurer la gravité des conséquences de ces ruptures de stock : augmentation de la mortalité (9 décès en six mois en 2017 à ASU,contre 10 décès en douze mois en 2016 et 5 décès en six mois à Avenir positif, contre 7 en douze mois en 2016) ; augmentation des résistances (par exemple : le passage en 3e ligne pour 3 adolescentes d’ASU) ; augmentation d’infections opportunistes ; retour aux ARV de 1re ligne pour des patients qui en prenaient de 2e ligne ; transmission de VIH résistants : augmentation des perdus de vue et des personnes se tournant vers des thérapies alternatives ; problème d’accès à la prévention de la mère à l’enfant (PTME) et augmentation du nombre de nourrissons infectés par le VIH ; non-accès à la prophylaxie postexposition ; découragement des acteurs associatifs engagés dans la lutte contre le VIH.

Par ailleurs, les ruptures alimentent un marché noir mafieux dans les grandes villes, avec des prix qui explosent (15 000 FCFA [environ 23 euros] en moyenne pour une boîte d’ARV, contre 5 000 FCFA [environ 8 euros] avant la gratuité des ARV dans le pays). On constate une corruption des pharmacies publiques qui fournissent leurs proches en premier ou vendent les ARV à des prix prohibitifs (100 000 FCFA la boîte [152 euros]) et des circuits d’approvisionnement parallèle, via les pays voisins. Autre effet pervers relevé par l’équipe de Sidaction : les personnes ayant besoin d’ARV se constituent des stocks par peur de la rupture (par exemple, en s’inscrivant dans plusieurs centres de prise en charge), ce qui renforcera le risque de rupture. Enfin, certains adultes prennent des ARV pédiatriques.

Les enfants, victimes collatérales

Même si le Fonds mondial assure, par son mécanisme d’achats groupés, l’approvisionnement en ARV pédiatriques, les enfants ne sont pas épargnés. La preuve avec Avenir positif à Pointe Noire : « Les perturbations sur la disponibilité des ARV pédiatriques datent de plus de deux ans. Les ruptures sont devenues très récurrentes et souvent très prolongées, car elles peuvent durer de quatre à six mois. Elles concernent toutes les combinaisons et toutes les formes galéniques pédiatriques. » En juin dernier, une nouvelle règle a été fixée afin de séÒcuriser les ARV pédiatriques et d’éviter que les adultes puisent dans le stock des enfants : les médecins pour adultes ne peuvent plus prescrire d’ARV pédiatriques et doivent renvoyer les patients auprès des pédiatres.

Des stocks ont aussi été cherchés dans d’autres pays de la région.

Des stocks ont aussi été cherchés dans d’autres pays de la région.

Mesures d’urgence

Plusieurs mesures ont été prises afin de répondre à cette situation dramatique : en 2015, la Croix-Rouge française a fait des dons d’ARV de 3e ligne et d’intrants pour le suivi biologique. En 2016, Sidaction a financé des ARV pédiatriques pour ses partenaires ASU et Avenir positif, pour un montant de 12 000 euros. Le Fonds mondial est également intervenu : de manière exceptionnelle, il a autorisé cette année une reprogrammation de la subvention VIH normalement alloués aux ARV pédiatriques pour, avec le reliquat sur la subvention, acheter des ARV adultes. Une commande a ainsi pu être passée pour environ 800 000 dollars. Le stock doit arriver avant la fin de l’année, assure le Fonds mondial. Des stocks ont aussi été cherchés dans d’autres pays de la région : la Sierra Leone et la République démocratique du Congo ont ainsi accepté de céder des médicaments, financés par le Fonds et qui arrivaient bientôt à expiration. L’accord est signé entre les trois pays, mais le gouvernement congolais doit encore en assurer le transport.

Ces arrangements ont été décidés afin de tenir compte du contexte humanitaire dramatique des personnes vivant avec le VIH au Congo. Enfin, cet été, le gouvernement a accepté de débloquer des fonds et a passé une commande d’environ 500 millions de FCFA (760 000 euros) d’ARV à la fondation IDA. Mais « on est encore loin du compte », regrettent les responsables d’associations.

Répondre à la question cruciale

Ces différentes mesures sont donc exceptionnelles et ponctuelles et ne suffisent pas à régler la question de fond des ruptures de stock. Il faut organiser les approvisionnements et acheter les ARV selon les règles. La France met à disposition son appui technique via le dispositif Initiative 5 % afin d’aider à une meilleure quantification des besoins, une rationalisation des achats et la mise en place d’un circuit de distribution efficace.

Le Fonds mondial plaide pour un plan de renforcement de la centrale d’achats de médicaments et de la chaîne d’approvisionnement. Début septembre, il a envoyé un courrier à la ministre congolaise de la Santé afin d’affirmer sa volonté de travailler dans le cadre du système national, mais à condition qu’un certain nombre d’exigences soient respectées. Pour que la nouvelle centrale fonctionne, il faut, par exemple, un décret de mise en place officiel, l’inscription du budget dans la loi de finances, le recrutement du personnel ou encore des mesures de sécurisation. La question cruciale qui se pose est celle de la nouvelle allocation du Fonds mondial pour la période 2018-2020. L’idée est que la Croix-Rouge française soit récipiendaire principal d’une subvention groupée tuberculose/VIH. Pour ce qui est de la répartition des achats d’ARV, le Technical Review Panel du Fonds mondial (TRP, comité indépendant d’experts internationaux qui examine les demandes de financements) a proposé que 50 % des ARV adultes soient financés par le Fonds la première année, 40 % la deuxième et 30 % la troisième année.

Reste à négocier cette proposition avec le gouvernement congolais et surtout à la mettre en œuvre, afin que les personnes vivant avec le VIH au Congo-Brazzaville puissent avoir accès aux traitements dont ils ont besoin.

  • 5 millions d’habitants
  • 33 000 personnes sous ARV
  • Espérance de vie à la naissance : 63 ans
  • PIB : 7,8 milliards de dollars
  • Dépenses de santé : 5,2% du PIB

Sources : Banque mondiale, Fonds mondial et OMS.
Carte : who.int/countries/cog/fr/

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