En novembre, le Fonds mondial a décidé de revoir légèrement la répartition de ses financements, ou ‘disease split’, le rééquilibrant en faveur de la tuberculose. Un choix qui ne s’est pas fait sans heurt, alors que la lutte contre le VIH/sida nécessite des financements croissants.
Depuis 2013, le Fonds mondial de lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme finance la lutte contre les trois maladies selon une stricte répartition : 50% pour le VIH/sida, 32% pour le paludisme, 18% pour la tuberculose. Ce ‘disease split’ repose sur plusieurs critères, tels que l’impact de chaque maladie en termes de mortalité, le coût de leur prise en charge, ou encore l’existence d’autres sources de financement (national ou international).
Lors de sa dernière réunion, du 8 au 10 novembre, le conseil d’administration a opté pour un subtil réajustement, qui prendra effet lors de son septième cycle triennal (2023-2025) : si les subventions aux pays demeurent en-deçà de 12 milliards de dollars (Md$) sur ces trois ans, le ‘disease split’ demeurera inchangé. Pour tout dollar dépassant ce seuil, il passera à 45% pour le VIH, 30% pour le paludisme et 25% pour la tuberculose [i]. Soit une hausse de la contribution du Fonds pour cette dernière maladie, contrebalancée par une baisse pour les deux premières.
Le poids du Covid-19 sur la tuberculose
Comment expliquer un tel changement ? En partie par l’impact du Covid-19, qui a fortement pesé sur la santé mondiale. Pour la tuberculose, le nombre de morts est reparti à la hausse, une première depuis 2005 : 1,3 million de décès en 2020, contre 1,2 million en 2019. Idem pour le paludisme, qui a tué 69.000 personnes de plus en 2020 qu’en 2019.
Toutefois, la lutte contre la tuberculose a été la plus entravée des trois maladies, s’accordent à dire plusieurs experts contactés. Primo, en raison d’un accaparement des soignants spécialisés en pneumologie par le Covid-19, maladie pulmonaire comme la tuberculose. Deuxio, parce que le confinement a facilité la transmission intrafamiliale. Tertio, parce que l’existence de symptômes partagés par les deux maladies a conduit à négliger la tuberculose, lorsqu’un test Covid-19 s’avérait négatif.
C’est dans ce contexte d’inquiétude qu’est née la campagne TB33%, lancée en octobre 2020 par une douzaine d’associations. Son objectif : obtenir du Fonds mondial qu’il accorde plus de financements à la tuberculose, si possible un tiers du total – comme l’indique le nom de l’initiative. Si le Covid-19 a servi de détonateur à cette revendication, elle n’est pas nouvelle.
Selon Lucica Ditiu, directrice exécutive du partenariat Stop TB, la tuberculose fait figure de « maladie orpheline » par rapport aux deux autres maladies ciblées par le Fonds, avec un « sous-financement chronique », de l’ordre de 70% de besoins non couverts dans certains pays d’Afrique. Entre 2015 et 2020, le nombre de morts de la tuberculose n’a baissé que de 9,2%, bien loin des 35% visés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Des efforts à accroître sur le VIH/sida
Du côté des acteurs de la lutte contre le VIH/sida, la révision du ‘disease split’, aussi marginale soit-elle, a fait craindre une baisse des financements, alors que les besoins sont croissants. Mettre un terme à l’épidémie de VIH/sida suppose de dépister toujours plus, donc de mettre le maximum de personnes sous un traitement à vie. Ce qui, mécaniquement, engendre des coûts toujours plus élevés. Plusieurs experts se sont aussi inquiétés d’une réorientation du Fonds vers de grands pays asiatiques à revenu intermédiaire (Inde, Bangladesh, Pakistan, Indonésie, Philippines), qui comptent le plus grand nombre de cas de tuberculose. Et ce au détriment de pays africains à faible revenu, moins peuplés.
Selon un expert de la santé mondiale, les difficultés de la lutte contre la tuberculose « sont moins une question de financement que d’efficacité des programmes. [Ceux-ci] font très peu de recherche active de cas, et l’investissement communautaire y est faible ». Ce qu’a reconnu le Fonds mondial à demi-mot au terme de son conseil d’administration, en proposant « d’explorer de manière active l’optimisation du portefeuille et les opportunités de priorisation, afin de réduire plus efficacement l’incidence et la mortalité de la tuberculose dans les pays les plus touchés ». Pour Lucica Ditiu, « les militants de la tuberculose sont actifs, mais ils ne sont pas nombreux », là aussi en raison d’un manque de financement et d’attention.
Ce débat des priorités a fait rage lors du dernier conseil d’administration du Fonds mondial. Sur la base des travaux de son secrétariat, le Fonds proposait initialement un seuil de bascule à 11 Md$. Face à la crainte de plusieurs associations et de grands donateurs internationaux -dont la France-, le seuil a été rehaussé à 12 Md$. Un compromis finalement accepté, plus ou moins de bon cœur. S’il n’existe pas de « compromis facile », Harley Feldbaum, directeur de la stratégie et des politiques générales du Fonds mondial, y voit « une décision responsable » : elle permet d’accroître l’effort contre la tuberculose, tout en préservant la lutte contre les deux autres pandémies, et en continuant à privilégier les pays les plus pauvres, estime-t-il. Lucica Ditiu juge au contraire cette décision « ridicule », car elle maintient la lutte contre la tuberculose « au plus bas niveau ».
Reconstitution des fonds fin 2022
Ces désaccords ne surviendraient pas si les moyens étaient à la hauteur des besoins. Bien que la dernière conférence de reconstitution des ressources du Fonds (octobre 2019) ait été un succès, avec 14 Md$ levés, la santé mondiale demeure trop peu financée. « Tant qu’il n’y aura pas plus d’argent pour les trois maladies, il sera difficile de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Et il y a de très bonnes raisons pour investir de l’argent contre chacune des trois maladies ! », estime Alix Zuinghedau, directrice des politiques aux Amis du Fonds mondial Europe. Selon elle, le choix opéré par le Fonds permettra de « protéger l’essentiel » des programmes de lutte contre le VIH/sida.
Conséquence de ce seuil, les efforts additionnels du Fonds contre la tuberculose dépendront de la prochaine levée de fonds triennale, lors de la 7ème conférence de reconstitution des ressources, qui se tiendra fin 2022 aux Etats-Unis. Alors que le Fonds mondial doit publier une demande argumentée de financements (‘investment case’) en début d’année, l’incertitude ambiante appelle à la prudence.
Parmi les trois grands donateurs, la France entre en période d’élection présidentielle, peu propice aux engagements internationaux. Quant au Royaume-Uni, son gouvernement a diminué, de manière « temporaire », son aide publique au développement (APD), de 0,7% du revenu national brut (RNB) en 2020 à 0,5% en 2021 – ce qui s’est traduit par une chute de 92% des subventions à Unitaid. Plus encourageant, la proposition des Etats-Unis, premier donateur du Fonds, d’accueillir la 7ème conférence de reconstitution augure d’une possible hausse de sa subvention. Un signal positif à tempérer : le dernier mot reviendra au Congrès, à très courte majorité démocrate.
Au-delà du prochain cycle triennal, le Fonds envisage une révision de sa méthode d’allocation à plus long terme : lors de sa réunion de novembre, le conseil d’administration s’est engagé à lancer une évaluation externe, en vue de décisions prises pour le huitième cycle (2026-2028). Pour Alix Zuinghedau, cette révision peut être l’occasion « de tout revoir : comment on construit un système de solidarité internationale dans un monde où la santé est de plus en plus connectée, où il y a toujours plus de classes moyennes, de pays à revenu intermédiaire ». Dans l’immédiat, « la priorité va à la reconstitution des ressources [pour le septième cycle du Fonds]. Lorsqu’on saura combien d’argent a été mobilisé, nous saurons dans quel contexte la révision du mode d’allocation sera menée : si c’est un fiasco, il sera difficile d’être très créatif. Si c’est une réussite, nous pourrons être plus ambitieux ».
[i] Pour rappel, le Fonds mondial a alloué 12,7 Md$ à la lutte contre les trois maladies sur la période 2020-2022, 10,3 Md$ sur 2017-2019 et 14,7 Md$ sur 2014-2016.