Depuis mercredi, le Mucem à Marseille propose une exposition courageuse et émouvante à la mémoire des luttes contre le VIH-sida. Intitulé « VIH/sida, l’épidémie n’est pas finie ! », elle revient sur les 40 années d’un combat précurseur, toujours en mouvement.
À l’entrée, un compteur implacable égrène le chiffre des personnes qui découvrent leur séropositivité depuis l’ouverture de l’exposition. Ce chiffre, qui ne cesse de grandir – 1 personne de plus toutes les 19 secondes –, sonne comme un appel salutaire à la mobilisation : non, bien qu’éclipsée par la COVID 19, l’épidémie de VIH continue à faire des ravages. Aujourd’hui encore, dans le monde, pas moins de 38 millions de personnes vivent avec le VIH.
Comme une piqure de rappel dans le contexte actuel, le Mucem à Marseille retrace, pour la première fois en France, l’histoire sociale et politique de l’épidémie, l’histoire du combat, de l’engagement militant contre le VIH/sida. Elle nous plonge dans un parcours sur la maladie au travers de nombreux témoignages, particulièrement poignants quand il s’agit des survivants qui se sont découverts séropositifs dans les années 80, et plus de 400 œuvres et documents produits par des activistes, des associations, des artistes et les institutions impliqués dans la lutte.
Imaginée par 8 commissaires issus du monde associatif, artistique ou des sciences humaines, l’exposition pose un regard d’abord rétrospectif sur l’épidémie comme sur les mobilisations qu’elle a engendrée. A l’instar du graffiti photographié par Jean-Baptiste Carhaix, « Aids is not a gay disease », elle rappelle à quel point, dès le début, les discriminations et l’exclusion ont fait le lit du VIH. Notamment celles subies par, ainsi que le précise Florent Molle, le co-commissaire de l’exposition, « les homosexuels, les usagers de drogues, les travailleuses du sexe, les migrants [qui] ont concentré l’opprobre en plus de l’accablement par la maladie ».
Un fonds exceptionnel
« Lors de la préparation de l’exposition, nous avons […] collecté des cahiers contenant des ‘lettres de confidences’ écrites par des prostituées de la rue Saint-Denis, des Champs-Elysées et des boulevards périphériques parisiens au début des années 1990 pour témoigner des conditions d’exercice de leur métier et interpeller les pouvoirs publics sur leurs conditions de travail et de santé. C’est une archive rare et un cri très puissant », indique Florent Molle.
Le parcours proposé permet de découvrir l’impressionnant fonds, un des plus important à l’échelle européenne avec plus de 12 000 pièces, constitué au début des années 2000 par le Mucem sur le thème du VIH/sida. Des banderoles, tracts, affiches, revues associatives, brochures et matériel de prévention, objets militants, vêtements, badges et rubans rouges, mais également des médicaments, photographies et œuvres d’art ont été collectés auprès de nombreuses associations de lutte contre le VIH/sida.
« L’exposition ‘VIH/sida, l’épidémie n’est pas finie !’, poursuit Florent Molle, est en effet l’aboutissement d’une histoire qui a commencé il y a près de trente ans au Musée national des Arts et Traditions Populaires (ATP), auquel était associé un laboratoire du CNRS, le Centre d’ethnologie française. Dès 1994 ont été organisés des débats entre chercheurs, soignants, personnes vivant avec le VIH et associatifs, et en 2002 commença la première collecte. Apparaissait là un rôle possible du musée, celui de faire entrer dans la mémoire nationale la mémoire des exclus, en l’occurrence celle des malades du sida. »
« Des mémoires ancrées dans le présent »
Ouverte sur l’actualité de la lutte contre l’épidémie, l’exposition interroge également l’héritage des combats menés, ce qu’ils ont révélé, les avancées qu’ils ont permis, principalement en termes de droits, mais également les reculs et les échecs. Elle propose un bilan des luttes, de leurs victoires comme des obstacles toujours présents.
Pour Vincent Douris, co-commissaire de l’exposition et salarié de l’association Sidaction, l’exposition « est une manière de célébrer les mémoires, au pluriel, de la lutte contre le VIH/Sida. C’est également une manière d’ancrer ces mémoires dans le présent. On a voulu faire du Sida tout sauf un objet d’histoire, un objet de musée, au sens d’un objet du passé. On a cherché à ancrer les mémoires du sida dans l’actualité, l’actualité des personnes qui vivent avec le VIH, l’actualité des difficultés qu’elles rencontrent encore aujourd’hui, que ce soit en termes de discrimination, de stigmatisation ou d’accès aux soins. »
L’exposition « VIH/Sida, l’épidémie n’est pas finie » se tient au Mucem à Marseille du 15 décembre au 2 mai 2022
Pour aller plus loin
L’exposition « VIH/Sida, l’épidémie n’est pas finie » offre une bonne occasion de se plonger dans le catalogue très riche qui en est issu. Retraçant son histoire sociale, ce catalogue s’en fait l’écho en s’appuyant sur l’important fonds d’objets et d’archives du Mucem, constitué dans les années 2000 par le biais d’une enquête ethnographique qui a permis la collecte de nombreuses traces des luttes, en France, en Europe et en Méditerranée. Conçu en étroite collaboration avec des personnes vivant avec le VIH, des militant·es, des soignant·es et des chercheurs·euses, ce livre articule ainsi une histoire subjective de l’épidémie avec plusieurs récits relatifs à la collecte, permettant un dialogue entre le point de vue des acteurs·trices et celui du musée.
En complément, on pourra également se procurer l’ouvrage de Michel Bourrely et Olivier Maurel, Une histoire de la lutte contre le Sida paru en 2020. Ce livre, très exhaustif, aborde l’épidémie de VIH/Sida au prisme des luttes qu’elle a engendrées en France, au plus près des personnes touchées, depuis l’effroi des premières années jusqu’à aujourd’hui. Les auteurs nous font entendre les voix des disparus, des survivants, des proches, des soignants, des militants, des chercheurs. Mêlant leurs témoignages à une riche documentation scientifique, cet ouvrage offre fois un panorama complet sur les différents fronts de la lutte contre le sida en France.
Stéphane Abriol, Christophe Broqua, Renaud Chantraine, Caroline Chenu, Vincent Douris, Françoise Loux, Florent Molle et Sandrine Musso, VIH/Sida, l’épidémie n’est pas finie, coédition : Anamosa / Mucem, 2021, 32 € .
Michel Bourrely, Olivier Maurel, Une histoire de la lutte contre le sida, Nouveau monde éditions, 2020, 25,90 €.