vih Au Sahel, la lutte contre le VIH malmenée par la crise diplomatique

05.07.24
Hélène Ferrarini
8 min
Visuel Au Sahel, la lutte contre le VIH malmenée par la crise diplomatique

Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, trois pays dirigés par des militaires arrivés au pouvoir suite à des coups d’état, la lutte contre le VIH pâtit de la crise diplomatique actuelle avec la France. La sortie annoncée de la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) par ces trois pays pourrait fragiliser une situation déjà compliquée.

« Au Mali, c’est toute la coopération de développement, la coopération de recherche, avec des organismes comme l’ANRS, l’IRD, l’AFD, Expertise France… qui a été arrêtée », décrit Luis Sagaon Teyssier [i]. Chercheur à l’IRD, il était détaché auprès de l’association malienne ARCAD Santé Plus pour y monter un centre de recherche communautaire. Le retrait de l’ANRS a entraîné l’arrêt de l’activité de ce centre qui employait une dizaine de personnes, qui n’ont « plus de salaire depuis juin-juillet 2023 », précise Luis Sagaon Teyssier, qui a quitté le Mali fin 2022. Et les projets de recherche – auprès de femmes aides ménagères, sur la PrEP, sur la prise en charge des usagers de drogues injectables… – ont été abandonnés, laissant des centaines de personnes qui devaient en bénéficier sans accompagnement.

Depuis 2020, des coups d’état militaires ont entraîné des changements à la tête du Mali, du Burkina Faso, puis du Niger. Les relations diplomatiques avec la France, l’ancienne tutelle coloniale, se sont tendues.

Moins de prévention, des actions réduites

« La crise avec la France a entraîné la suspension de l’aide au développement avec des conséquences terribles sur nos actions », abonde Bintou Dembélé, directrice d’ARCAD Santé Plus, association qui lutte depuis trente ans contre le VIH au Mali et dont un quart du budget a été impacté. « Nos actions ont été réduites : moins de prévention, moins de prises en charge des populations vulnérables, des interventions limitées », alors même qu’ARCAD Santé Plus crée « des espaces de prévention et de prise en charge pour les populations les plus stigmatisées dans les structures classiques ».

Ailleurs au Mali, c’est le retrait du soutien d’Expertise France qui laisse depuis mi 2023 « environ 600 enfants et adolescents » de la région de Sikasso sans accompagnement communautaire, décrit Cheick Abou Laico Traoré, directeur de l’association Kénédougou Solidarité. La structure déplore « des interventions arrêtées ; d’autres réduites pour faire le minimum ».

Au Burkina Faso, c’est un laboratoire pour la prévention de la transmission mère-enfant dans un quartier populaire de Bobo-Dioulasso qui ne verra pas le jour. Pour Christine Kafando, présidente de l’association Espoir pour Demain qui souhaitait développer ce projet avec l’appui d’Expertise France, « cela n’a pas abouti à cause de la situation entre les deux pays ».

Victor Ghislain Somé, directeur exécutif de l’ONG REVS PLUS, se souvient parfaitement du choc lors de la parution le 6 août 2023 sur le site du ministère des affaires étrangères français de « la suspension de l’aide au développement et de l’appui budgétaire » au Burkina Faso. « Cela impactait 86 % de nos financements ! La majorité de nos sources de financement reste française. »

Certes, les ONG françaises – telles que Sidaction, Coalition Plus, Solidarité Sida… – continuent à accompagner leurs partenaires dans ces pays africains. « Mais le jour où l’État français leur demande d’arrêter, on est mort, ce serait une catastrophe », s’inquiète le directeur d’une association malienne, qui précise que les autorités militaires de son pays acceptent pour l’instant ce financement privé français. « On n’a pas le choix », conclut-il.

La crise diplomatique a mis en lumière la grande dépendance de certaines structures vis-à-vis des bailleurs français. Pour Victor Ghislain Somé, cela a suscité trois réflexions : « Il nous faut diversifier nos sources de financement, augmenter nos ressources endogènes et développer des stratégies de renforcement avec les bénéficiaires ». Autant de stratégies que REVS PLUS est en train d’initier, non sans difficulté.

Les associations ont beau être généralement reconnues d’utilité publique dans leur pays, cela ne leur ouvre pas de possibilités particulières. Plusieurs structures mentionnent s’être tournées vers le Fonds mondial, qui « ne semble pas pallier tous les manques », regrette Luis Sagaon Teyssier. Le chercheur donne pour exemple « les défaillances dans l’approvisionnement en réactifs pour les charges virales » dont souffre le Mali, et qui se sont accrues « depuis les problèmes de financements français et les problèmes diplomatiques ».

Dans ce contexte, la sortie de la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest, réunissant quinze pays) annoncée par le Mali, le Niger et le Burkina Faso en janvier 2024 interroge et inquiète. Elle pourrait avoir des impacts en termes de droits humains et sur le plan économique. Mais c’est surtout une grande incertitude qui prévaut, alors que la CEDEAO tente de maintenir sa composition et que les trois pays démissionnaires entendent former une alliance des États du Sahel.

« Pour moi, c’est un isolement. On ne pourra pas bénéficier de l’aide internationale, des avantages, des réductions que l’on obtient lorsqu’on est ensemble. Il y aura des effets négatifs sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH et sur la population de façon générale », s’inquiète Christine Kafando, militante connue pour avoir annoncé publiquement sa séropositivité au Burkina Faso.

Elle mentionne un dépannage en antirétroviraux fournis par la Côte d’Ivoire suite à un incendie qui avait mis à mal les stocks du Burkina Faso. Pour atteindre les pays enclavés que sont le Mali, le Niger et le Burkina Faso, de nombreuses marchandises transitent par les ports du Sénégal et de la Côte d’Ivoire. Les pays du Sahel pourront-ils continuer à compter sur la solidarité de leurs voisins ?

« On est face à un grand point d’interrogation, on ne voit pas le bout du tunnel »

La fermeture des frontières, que peut engendrer la sortie de la CEDEAO et plus largement la crise politique et diplomatique en cours, pose aussi la question de la circulation des personnes. L’association nigérienne Mieux Vivre avec le SIDA (MVS) mentionne ainsi le cas de personnes vivant avec le VIH bloquées au Bénin et ne pouvant revenir au Niger où elles sont suivies. Mais Adamou Abdou, le directeur de MVS, se veut rassurant : « c’est peut-être ponctuel, les gens vont trouver d’autres passages ». « Il y a la pratique et le droit. Les gens continuent souvent à passer », confirme Camille Gendrot, doctorante à l’IREDIES sur le droit des mobilités en Afrique de l’Ouest. Et, il existe « beaucoup d’accords bilatéraux entre États de l’Ouest de l’Afrique », précise-t-elle. Accords qui perdurent, malgré la sortie de la CEDEAO.

Environ 70 millions personnes vivent au Niger, au Mali et au Burkina Faso, trois pays du Sahel, touchés par l’insécurité alimentaire, les attaques djihadistes et les violences de groupes armés, entraînant le déplacement de populations à l’intérieur des pays et vers les pays voisins« Avec moins de financement, nous avons plus de personnes à suivre : c’est très compliqué à supporter », décrit Cheick Abou Laico Traoré, directeur de l’association malienne Kénédougou Solidarité. « Il y a beaucoup de perdus de vue : si une personne bénéficiaire qui vit dans une zone rouge n’est pas venue, on ne peut pas y aller » explique Victor Ghislain Somé.

Quelles évolutions peuvent être envisagées ? « On est face à un grand point d’interrogation, on ne voit pas le bout du tunnel », résume la directrice d’ARCAD Santé Plus, Bintou Dembélé. « Vivre dans l’incertitude mine nos actions » ajoute-t-elle. « Pour avoir des bailleurs, il faut une élection », souligne Victor Ghislain Somé.

Or, pour l’instant, les perspectives électorales s’éloignent. Les libertés publiques sont bafouées. Les oppositions politiques et les voix critiques de la société civile muselées, voire éliminées. « Les autorités actuelles soupçonnent les ONG qui plaident pour un retour de l’aide publique au développement », explique un interlocuteur qui décrit un véritable « malaise » sur le sujet au Mali. Au Niger, « on reste en attente de la réaction du politique », commente Adamou Abdou, directeur de Mieux vivre avec le SIDA.

Pour Christine Kafando, « il ne faut pas mélanger le politique et le social. En ce qui concerne l’aide internationale, il y a des actions qui ne doivent pas être prises en otage ». Quant au chercheur Luis Sagaon Teyssier, il s’insurge contre la situation au Mali : « Le gouvernement actuel s’enlise. La France s’enlise dans le blocage sous prétexte du gouvernement malien, et au final ce sont les populations qui sont les plus impactées ! On a laissé le Mali au milieu de la route pour des raisons diplomatiques », dénonce-t-il. « On est victime de quelque chose avec lequel on n’a rien à voir : dans une crise diplomatique, est-ce l’aide aux personnes qui doit s’arrêter ? »

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