vih Au Sahel, la lutte contre le VIH fortement fragilisée par l’insécurité

21.04.22
Hélène Ferrarini
7 min

Avec l’insécurité croissante au Sahel, des centres de santé ferment et des millions de personnes fuient les zones les plus risquées. La prise en charge des personnes vivant avec le VIH est particulièrement affectée.

« Maintenant, il n’y a plus le choix », annonce Adamou Abdou, directeur exécutif de Mieux Vivre avec le SIDA (MVS), une association implantée au Niger depuis 1994. « Depuis 2020-2021, nous n’arrivons plus à mener des actions de dépistage sur les sites aurifères. » Engagé dans un programme destiné aux populations clés, notamment les travailleuses du sexe, MVS ne peut plus se rendre dans la région de Tillabéri, à l’ouest du Niger. Dans cette zone des trois frontières entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, les attaques djihadistes se multiplient.

MVS, basée à Niamey, la capitale nigérienne, mène désormais des dépistages mobiles dans trois autres régions du centre du pays. « Mais même dans les régions dites paisibles, il y a des attaques ponctuelles. Quand on sort avec un véhicule 4×4, on peut être attaqué », commente Adamou Abdou. Alors avant chaque action hors les murs, il faut se renseigner sur les récentes attaques, prévenir les autorités et surtout rester discret, décrit le directeur exécutif de MVS.

Groupes djihadistes, factions armées non étatiques, coups d’état militaires… La situation sécuritaire se dégrade de jour en jour au Sahel, vaste région au sud du Sahara où vivent 85 millions de personnes, qui traverse la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Tchad. Depuis 2013, des milliers de civil.es ont été tué.es dans des violences au Niger, au Burkina Faso et au Mali, d’après l’association Armed Conflict Location and Event Data Project (Acled) [i].

« Le problème, c’est que l’on n’arrive pas à toucher les cibles identifiées », décrit Adamou Abdou. « Il se trouve que dans la région de Tillabéri, là où sévit le plus l’insécurité, vivent le plus de travailleuses du sexe ». Au Niger, Mieux Vivre avec le SIDA s’est rapproché des centres de santé locaux, qui assurent désormais le dépistage du VIH, mais Adamou Abdou ne se fait pas trop d’illusions. « Les agents de santé ne sont pas forcément formés à la prise en charge des populations clés. » Et « les travailleuses du sexe et leurs clients sont réticents quand ce sont des agents de santé locaux. Quand les personnes qui dépistent ne sont pas de la région, viennent de Niamey, il y a moins de risque de divulgation du résultat » commente-t-il.

Un contexte hostile aux populations clés

« A l’insécurité se rajoute un contexte socio-culturel très hostile envers les populations clés. Cela complique beaucoup la prise en charge d’un point de vue communautaire », confirme Luis Sagaon-Teyssier, chercheur à l’IRD en poste au Mali. Dans ce pays de 21 millions d’habitants, le régime issu du double coup d’Etat d’août 2020 et mai 2021 est de plus en plus autoritaire et violent envers les populations civiles [ii]. Parmi les « impacts indirects » de l’insécurité, mais aussi du climat politique au Mali, Luis Sagaon-Teyssier cite « le ralentissement des approvisionnements, pour les réactifs notamment ». Compliquant les examens de charge virale, cela fragilise la prise en charge des personnes vivant avec le VIH, dont le nombre est estimé à 110 000 au Mali.

Au Burkina Faso, 160 centres de santé sont fermés et 360 fonctionnent à minima, impactant près de deux millions de personnes, d’après les chiffres de février 2022 de l’OCHA (bureau de la coordination humanitaire des Nations Unies) [iii]. La région du Sahel au nord du pays est la plus touchée, avec plus de la moitié des formations sanitaires fermées.

A Solenzo, dans la région de la boucle du Mouhoun au Burkina Faso, REVS+ (Responsabilité-Espoir-Vie-Solidarité) a du revoir ses actions. « J’ai proposé à l’équipe de ne pas risquer d’aller dans les zones rouges, c’est très dangereux. On ne peut pas assurer leur sécurité. Avant ils allaient plus loin, à 50-60 kilomètres pour mener des actions », raconte Victor Ghislain Somé, directeur exécutif de REVS+. Au Burkina Faso, comme au Niger, « les événements ne sont pas concentrés dans une seule zone, cela peut arriver dans différentes régions », explique-t-il. Pour lui, les effets vont se faire sentir en cascade sur la lutte contre le VIH/SIDA. « Le dépistage va baisser. Cela va aussi faire baisser le nombre de personnes sous traitement. Le troisième objectif [95% de personnes sous traitement ayant une charge virale indétectable, ndlr] est déjà très en souffrance au Burkina Faso ». Globalement, « le nombre de personnes qui pouvaient bénéficier d’une sensibilisation va baisser », prévient Victor Ghislain Somé.

1,7 million de personnes déplacées

Au Burkina Faso, où le président Kaboré a été renversé par des militaires en janvier dernier, des groupes armés détiennent désormais près de la moitié du territoire et les zones sous contrôle djihadiste ne cessent de s’étendre. Les déplacements de population s’accroissent de jour en jour. Le pays compte aujourd’hui 1,7 million de déplacés [iv]. En janvier 2022, le Haut Commissariat aux réfugiés estimait que 2,5 millions de personnes avaient fui leur foyer au Sahel au cours de la dernière décennie [v].

Dans le domaine de la lutte contre le VIH/SIDA, les déplacement de populations impliquent des perdu.es de vue et l’arrivée massive de personnes vers des services de santé déjà fragiles. Au Mali, « les déplacés ne viennent pas tous à Bamako, ils vont dans les capitales régionales qui sont globalement à l’abri » des violences, décrit le sociologue Laurent Vidal, spécialiste des questions de santé et responsable de l’IRD au Mali.

« Nous sommes sollicités de partout », commente Modobe Kary, directeur de l’association Djenandoum Naasson (ADN), basée à Moundou dans le sud du Tchad. « Autour de nous, il y a de nombreux camps de réfugiés, de déplacés. Ceux qui vivent avec le VIH nous sollicitent. Nous faisons des dépannages pour ceux qui ne sont pas dans nos files actives, et nos prévisions en ARV sont faussées », explique Modobe Kary, désemparé. L’association a une file active d’environ 2000 personnes, dont 200 enfants. « Nous avons du réduire l’inclusion de nouveaux patients, pour ouvrir les portes aux femmes et aux enfants », reconnaît le directeur de Djenandoum Naasson, unique structure de prise en charge des enfants vivant avec le VIH au Tchad, pays de 16,5 millions d’habitant.es, dont 38 % en situation d’extrême pauvreté vivant avec moins de 1,90 dollar par jour.

« Ce sont des gens de passage à qui on donne des ARV, puis ce sont des perdus de vue »

Au Niger aussi, l’association Mieux Vivre avec le SIDA a fait face à l’arrivée de réfugiés. « On ouvre un dossier, on a une ou deux consultations, puis on ne les voit plus. Ce sont des gens de passage à qui on donne des ARV, puis ce sont des perdus de vue », raconte Adamou Abdou. Mais, là aussi l’insécurité est venue enrayer la prise en charge. « Avant on intervenait auprès des réfugiés maliens, mais avec l’arrivée des problèmes d’insécurité au Niger, les autorités nous empêchent de faire du dépistage dans les camps de réfugiés », relate-t-il.

La mortalité materno-infantile reste très élévée dans la région, « le propre de tous les pays du Sahel » commente Laurent Vidal. La malnutrition compte également parmi les maux dont souffrent les habitant.es de la bande sahélienne, exposée à la désertification et où la population est en forte augmentation. Les dernières projections du Programme alimentaire mondial pour le Sahel annoncent que 10 millions de personnes pourraient avoir besoin d’une aide alimentaire, en raison des mauvaises récoltes en partie imputables aux déplacements massifs de population. Un effet de plus de l’insécurité sur la santé.

Notes

[i] Depuis 2013, 5 622 civils ont été tués dans des violences au Niger, 8 201 au Burkina Faso et 12 143 au Mali, d’après des chiffres de l’association Armed Conflict Location and Event Data Project (Acled). Voir : https://www.monde-diplomatique.fr/2022/04/MIELCAREK/64534

[ii] https://www.hrw.org/fr/news/2022/04/05/mali-massacre-perpetre-par-larmee-et-des-soldats-etrangers

[iii] https://www.unocha.org/burkina-faso

[iv] https://reliefweb.int/report/burkina-faso/burkina-faso-aper-u-de-la-situation-humanitaire-au-28-f-vrier-2022

[v] https://www.unhcr.org/fr/news/briefing/2022/1/61e17bc3a/derniere-decennie-conflits-sahel-entraine-deplacement-25-millions-personnes.html

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