vih Bernadette Rwegera, distinguée pour Ikambere

18.04.22
Cécile Josselin
7 min
Visuel Bernadette Rwegera, distinguée pour Ikambere

Dans la lutte contre le VIH, Ikambere fait figure d’institution. Le travail accompli par cette association auprès de femmes originaires d’Afrique subsaharienne a été salué par le ministre Jean-Michel Blanquer, qui, le 15 mars dernier, a décerné à sa fondatrice et directrice, Bernadette Rwegera, la Légion d’honneur.

Pour les quelque cinq cents femmes qui fréquentent Ikambere (« la maison accueillante », en kinyarwanda, la langue nationale du Rwanda), Bernadette Rwegera est un peu une seconde « maman », comme le confie Sophie, médiatrice en santé, qui nous a accueillis à l’association : « Elle est à l’écoute de chaque femme qui franchit la porte du local, fait l’effort de connaître le prénom de chacune et s’efforce de toujours trouver une solution personnalisée. »

Du sujet de mémoire…

Née il y a soixante-cinq ans à Butare, au Rwanda, Bernadette Rwegera a évolué dans un milieu relativement privilégié ; son père étant laborantin. Formatrice en nutrition et déjà mère de deux enfants, elle rêve de haute couture quand elle rejoint son mari à Paris, qui poursuit une thèse de doctorat. Elle a alors 33 ans.

Après quelques tentatives infructueuses pour intégrer le milieu très fermé de la mode, elle décide de reprendre ses études et s’inscrit à l’École des hautes études en sciences sociales, où elle décroche son diplôme, puis s’inscrit en DEA.

À la recherche du sujet de son mémoire, c’est une amie, professeure à Jussieu, qui lui suggère le thème du VIH. « Nous étions en 1994 et le diagnostic de la maladie était encore synonyme de mort, rappelle Bernadette avec gravité. J’ai alors consacré mon mémoire aux femmes et aux enfants migrants, originaires d’Afrique subsaharienne, face au VIH en Île-de-France.

À l’association Sol en Si, où elle exerce en tant que travailleuse sociale, elle rencontre et accompagne des femmes migrantes qui sont dans une grande précarité. « Étant noire, comme elles, il leur était plus facile de me faire confiance, analyse-t-elle. Elles m’ont raconté beaucoup de choses qui m’ont permis de mesurer l’ampleur de leurs difficultés, de leur détresse et de leur isolement au moment où leur entourage découvrait leur maladie. J’ai alors compris qu’il y avait un besoin immense à combler pour leur venir en aide. »

… à l’origine de l’engagement

Souvent rejetées à l’annonce de leur séropositivité par leur mari qu’elles rejoignaient en France, de nombreuses femmes témoignent d’un parcours d’exil extrêmement traumatique. Comme cette jeune Camerounaise qu’une voisine de ses parents, au pays, s’était proposée d’emmener en France en lui promettant un travail. Une fois arrivée en région parisienne, elle l’avait séquestrée puis forcée à se prostituer. « Ne parlant pas un mot de français, la jeune femme a mis de longs mois à se rétablir, mais elle a réussi et a aujourd’hui un enfant », rapporte Bernadette avec beaucoup de fierté.

Des histoires comme celles-là, il en existe des milliers, mais la première trouve son origine au Rwanda. En effet, si, par pudeur, Bernadette insiste pour dire qu’elle n’a pas fondé Ikembere pour quelqu’un, on apprend dans le livre Ikambere, la maison qui relève les femmes[i], qu’elle a tenu à nous offrir, qu’elle a accompagné sa sœur séropositive dans sa fin de vie, au pays. Refusant de reconnaître qu’elle allait mourir, Bernadette ne cessait de lui parler de guérison et du futur, la laissant seule affronter l’évidence de sa mort. Sans être la seule raison de son engagement, cette histoire l’a évidemment profondément marquée et l’a rendue très humble. « On doit accompagner les femmes en respectant la souffrance de chacune, insiste-t-elle. Pour cela il faut les écouter et accepter leur colère comme leur détresse. »

Sortir de l’isolement en libérant la parole

Pour atteindre cet objectif, Bernadette a donc décidé de fonder l’association Ikambere. Ce qui n’a pas été facile, car elle ne connaissait rien au montage de projet ni comment trouver des financements ou dresser un budget. Cependant, cela ne l’a pas arrêtée. Après tout, tout s’apprend, et Bernadette est une femme combative qui sait ce qu’elle veut et qui ne s’avoue pas facilement vaincue. En 1997, Ikambere est donc créée et, depuis sa création, a aidé plus de 3 500 femmes.

De toutes ses expériences, Bernadette a acquis une conviction : la priorité est de sortir ces femmes de l’isolement. Dans ce but, il est essentiel de leur offrir un cadre accueillant et convivial, dans lequel elles pourront se reconstruire et s’aider mutuellement afin devenir autonomes. À cette fin, elle a une idée maîtresse : reconstituer la communauté que ces femmes connaissaient en Afrique et dont elles se retrouvent cruellement privées en France où, dans les grandes villes, personne ne connaît son voisin.

C’est donc généralement au détour du repas confectionné par les femmes, dans la cuisine attenante à la salle à manger, que les langues se délient et les confidences fusent, dans une bonne humeur communicative, car si on arrive souvent en pleurant, on rit aussi énormément dans les locaux d’Ikambere, nichés au dernier étage d’un immeuble de Saint-Denis.

Dans la grande salle à manger aux murs jaune et turquoise, une quarantaine de femmes se réunissent chaque jour pour déjeuner dans l’odeur familière des épices du pays. On y parle de tout, librement : de la vie avec le VIH, des enfants, des difficultés du quotidien, mais aussi des hommes et de sexualité, etc. La parole est libre et tout le monde est bienvenu. Nul besoin de s’annoncer. Régulièrement, des médecins spécialistes du VIH viennent également se mêler aux femmes pour évoquer de manière très informelle les derniers traitements disponibles.

Une prise en charge globale

Mais la prise en charge est loin de se limiter à cela. « Celle-ci se veut globale », insiste Bernadette, qui, malgré son solide bagage intellectuel, reste une femme de terrain avec un fort sens pratique.

En plus des médiatrices de santé et des cinq assistantes sociales qui guident les femmes dans leurs démarches administratives – afin d’obtenir des papiers, un hébergement puis un emploi –, Ikambere propose aussi des rencontres et des activités pour leur redonner le goût de vivre et l’estime de soi.

On peut y apprendre la couture, le français ou encore des rudiments d’informatique. Le corps et l’esprit sont également stimulés, comme en témoignent les machines de musculation flambant neuves qui trônent dans la salle de sport. Des conseils en diététique ou des séances de socio-esthétique complètent l’ensemble.

Tout est fait pour impulser une nouvelle dynamique. Et cela marche ! Bernadette n’est donc pas peu fière du parcours de ses protégées, dont beaucoup volent désormais de leurs propres ailes. Si l’équipe de 27 salariés vient en aide à ces femmes à leur arrivée, l’idée est surtout de les rendre autonomes. C’est ensuite à elles de construire leur nouvelle vie. Et certaines d’entre elles choisissent d’aider à leur tour les autres. Après avoir trouvé refuge dans l’association en 1998, Sophie est par exemple revenue travailler comme médiatrice de santé en 2001. Bernadette n’est pas inquiète, l’avenir est assuré ! 

Références

[i] Annabel Desgrées du Loû, Éditions de l’Atelier, 2019.

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