La lutte contre le VIH sera-t-elle victime d’une cure d’austérité budgétaire ? Publiée mi-février, la loi de finances 2025 porte un coup rude à l’aide publique au développement (APD), amputée de 37 %. Et si l’Aide médicale d’Etat (AME) obtient un répit, celui-ci pourrait n’être que de courte durée.
Promulguée le 14 février après un difficile accouchement, la loi de finances pour 2025 semble augurer une mise à la diète des politiques de solidarité. Parmi les grands perdants des arbitrages budgétaires, l’aide publique au développement (APD), dont le budget a fondu de 37 % par rapport à la loi de finances 2024. De 5,8 milliards d’euros l’an dernier, il ne s’élève désormais qu’à 3,6 milliards.
Dans le détail, le « programme 110 » (« aide économique et financière au développement »), alloué au ministère de l’économie, est en baisse de 35,3 % par rapport à 2024, tandis que le programme 209 (« solidarité à l’égard des pays en développement »), qui transite par le ministère des affaires étrangères, chute de 42,5 %. Equivalant à seulement 0,48 % du revenu national brut (RNB) en 2023, la France semble bien loin de son objectif de 0,7 %, d’abord fixé à 2025 avant d’être repoussé à 2030.
Cette baisse sans précédent devrait durement toucher l’Agence française de développement (AFD), et in fine les associations dont elle finance les actions de terrain. En particulier en Afrique qui, déjà sous le choc du gel des subventions américaines, assiste à la réduction de l’APD de plusieurs pays européens. Car au-delà de la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et la Suède ont aussi annoncé de sévères coupes dans leur aide au développement.
Selon Corentin Martiniault, chargé de mission analyse et plaidoyer du collectif interassociatif Coordination Sud, ce recul de l’APD signe « l’arrêt de mort de certaines associations. Nous n’en verrons les conséquences concrètes qu’au cours des prochaines années, avec des retraits de certaines zones géographiques, et une baisse des progrès réalisés dans certains secteurs, tels que le social, la santé, l’alimentation, mais aussi l’espace civique, comme le soutien aux associations féministes. Tous les secteurs sont concernés ».
Les financements innovants en péril ?
Nouveauté du budget 2025, les financements innovants, dont la taxe sur les transactions financières et celle sur les billets d’avion, seront pour la première fois versés au budget général. Jusqu’alors, ils étaient alloués à un Fonds de solidarité pour le développement, à partir duquel ils étaient fléchées vers des initiatives internationales, telles le Fonds mondial de lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme, Unitaid, le Fonds vert pour le climat.
Dans son budget 2025, le gouvernement intègre pour la première fois 738 millions d’euros de crédits de paiement, liés au produit de ces taxes, à son budget pour l’APD. Désormais « désanctuarisé », le Fonds de solidarité pour le développement pourrait donc très bien, au cours des prochaines années, voir son budget ramené à zéro, le produit des financements innovants reversé ailleurs. Selon Corentin Martiniault, « c’est un recul politique majeur. Cet instrument faisait la fierté de la France à l’international. Même si les recettes de ces deux taxes augmente cette année, il n’y aura plus de bascule obligatoire vers la solidarité internationale ».
La France serait-elle en train de faire marche arrière sur l’aide au développement ? Pour elle comme pour d’autres pays, l’année 2025 pourrait apporter la réponse. Fin septembre se tiendra la huitième conférence de reconstitution du Fonds mondial, au cours duquel les Etats devront annoncer leur contribution pour le prochain cycle triennal (« round ») de l’organisme multilatéral. Autre rendez-vous majeur, la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement, qui se tiendra à Séville début juillet sous l’égide de l’ONU.
« Le manque de financement n’est pas qu’un manque d’ambition. Si nous ne disposons pas des montants requis, à savoir le minium pour maintenir la trajectoire de lutte contre le VIH [en particulier les Objectifs du développement durable, qui prévoient la fin de l’épidémie VIH en 2030, ndlr], le risque est celui d’une reprise épidémique », explique Léo Deniau, coordinateur du plaidoyer international de l’association Aides, membre du collectif Coalition Plus. « La reconstitution du Fonds mondial sera l’évènement de l’année : la manière dont elle se déroule nous indiquera si la santé mondiale demeure ou non en haut de l’agenda. Si les pays du Nord font défection, nous serons dans une situation catastrophique ».
Malgré un budget 2025 plus que décevant, le combat de l’APD n’est pas complètement plié pour cette année. D’une part, il demeure la possibilité de lois de finances rectificatives. D’autre part, des arbitrages demeurent en cours, au ministère des affaires étrangères, quant à la manière d’affecter les fonds de l’APD -et les associations comptent bien peser pour que la santé et l’éducation soient le moins impactées. Par ailleurs, « le projet de loi de finances 2026 va arriver vite », rappelle Léo Deniau.
Au-delà du contexte international et économique, les aléas de la politique française, en particulier la montée en puissance de l’extrême droite, ont probablement joué contre l’APD. En octobre 2024, le député Rassemblement national (RN) Guillaume Bigot publiait un rapport assassin sur l’APD. Depuis, celle-ci a subi les assauts médiatiques de l’eurodéputée Sarah Knafo, proche d’Eric Zemmour, ainsi qu’une enquête très à charge du Journal du dimanche. « Le RN s’est saisi de la question. Jusqu’alors, cela n’avait jamais été une préoccupation importante pour lui. Mais ce n’est plus le cas : plusieurs personnalités d’extrême droite sont désormais vent debout contre l’APD », observe Léo Deniau.
Le court répit de l’AME
S’il est un autre cheval de bataille qu’enfourche volontiers l’extrême droite, mais aussi la droite dure, c’est celui de l’Aide médicale d’Etat (AME), fréquemment accusée de créer un ‘appel d’air’ pour les migrants – une idée largement démentie par plusieurs travaux scientifiques. Pressé de se rallier à la droite, et de ne pas mécontenter l’extrême droite, le gouvernement n’a pas été de main morte pour faire adopter son budget, proposant une baisse de 200 millions d’euros du budget de l’AME, ainsi que de nouvelles restrictions au panier de soins.
La commission mixte paritaire (CMP) n’a au final retenu aucune de ces mesures, optant pour un simple gel du budget 2025, maintenu à 1,216 milliard d’euros. Ce qui, du fait de l’inflation et de la hausse prévue du nombre de bénéficiaires, « revient à une baisse de 111 millions d’euros », estime Matthias Thibeaud, référent accès aux droits de santé chez Médecins du Monde. « On peut se réjouir qu’il n’y ait pas de nouvel obstacle à l’accès aux soins, mais ces prévisions budgétaires ne sont pas en phase avec les besoins. Cela risque d’accroître la pression financière sur les hôpitaux [en dernier recours, c’est aux urgences que les personnes sont obligées de se rendre, s’y faisant traiter aux frais de l’hôpital, ndlr], dont les finances sont déjà exsangues, et d’entraîner des situations de triage des patients, voire d’exclusion des soins ».
Si le pire a été évité ce coup-ci, « nous restons en vigilance extrême. Le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, est vent debout contre tous les dispositifs d’accès aux soins des personnes étrangères ». L’an dernier, un projet de réforme de l’AME par voie réglementaire, donc sans débat au Parlement, a finalement été laissé de côté, en raison de l’instabilité politique. Il prévoyait notamment une ‘conjugalisation’ de l’AME, de nouvelles restrictions au panier de soins, ainsi qu’une mise à jour des documents requis pour l’inscription.
Au-delà du budget, c’est sur d’autres fronts que viendront les attaques contre l’AME. Certaines sont déjà lancées. Dernier exemple en date, la diminution du délai de prolongation des droits à l’assurance maladie pour les personnes dont le titre de séjour a expiré, et ayant une obligation de quitter le territoire français (OQTF) devenue définitive. En 2019, ce délai, de six mois, a été raccourci à deux mois. Cette mesure n’avait pas encore été appliquée, « en raison des difficultés pour les CPAM [caisses primaires d’assurance maladie] d’identifier les éventuelles mesures d’éloignement des personnes, et notamment la date à laquelle ces dernières deviennent définitives », explique Médecins du monde.
Cette mesure semble récemment être entrée en vigueur. Publiée en octobre 2024, une circulaire du ministère de l’intérieur sur le renforcement du pilotage de la politique migratoire exhorte les préfectures à « assurer l’information des organismes de sécurité sociale pour que toutes les conséquences en soient tirées en termes d’affiliation ou d’ouvertures de droits sociaux ». Selon Matthias Thibeaud, « cette circulaire commence à produire ses effets, avec de premières situations de coupure des droits d’assurance maladie au bout de deux mois. Cela va avoir un impact considérable pour les demandeurs d’asile déboutés. La transition entre assurance maladie et AME était déjà complexe lorsque le délai était de six mois, cela va l’être encore plus avec un délai de deux mois. On risque d’assister à des ruptures de traitement, avec un impact sur la santé publique ».
D’autres atteintes aux droits des migrants sont en vue, telles une proposition de loi LR visant à rétablir le délit de séjour irrégulier, qui risque de compliquer encore plus les démarches administratives, dont l’accès aux soins, des personnes. Egalement issue du groupe LR, une autre proposition de loi, prochainement discutée au Sénat, prévoit de fixer des conditions de durée de résidence pour le versement de prestations sociales, à deux ans – une mesure de « préférence nationale », selon les associations.
Selon Matthias Thibeaud, « l’offensive populiste et xénophobe bat son plein : nous risquons dans les prochains mois de voir un durcissement généralisé de l’accès aux droits de santé, donc aux soins, des personnes concernées. Le rapprochement entre l’extrême droite et la droite extrême est très inquiétant, et répond à des enjeux d’instrumentalisation des droits des personnes étrangères à des fins démagogiques et politiques ». Pour l’AME comme pour l’APD, et plus largement pour l’ensemble de la société, se profile une autre menace, celle d’une « économie de guerre » comme prétexte à une sévère cure d’austérité sociale.