vih Cameroun : « Les femmes trans ne sont pas une cause perdue »

27.06.20
Propos recueillis par Amélie Weill
6 min

Entretien avec Miss Porshia, directrice de l’association Transigence Action, qui défend la cause des personnes queers et transgenres au Cameroun. Isolées, fragilisées par des lois discriminantes et menacées par la stigmatisation, celles-ci sont particulièrement touchées par le VIH.

Transversal : Peux-tu te présenter en quelques mots pour commencer ?

Miss Porshia : Bonjour, je m’appelle Miss Porshia, j’ai 35 ans et je suis camerounaise. Je viens d’une région de l’Ouest du pays, mais je vis désormais à Yaoundé, une ville de 5 millions d’habitants. Je suis une femme trans, activiste, séropositive et travailleuse du sexe. 

Quelle est la situation des femmes transg au Cameroun ?

Elle est dramatique, à tous les niveaux : social, religieux, médical, légal, etc. Les personnes trans sont victimes d’une stigmatisation très lourde. A cause de la culture et des superstitions camerounaises, nous sommes rejetées par nos familles, mises au ban de la société, et nous devons malheureusement faire face à des contextes violents et des agressions répétées. Plusieurs lois camerounaises nous mettent également en danger, comme celles qui criminalisent les rapports ou les échanges de SMS d’ordre sexuel entre deux personnes du même sexe biologique.  

En quoi sont-elles extrêmement fragilisées par rapport au VIH ?

A cause de ce rejet très fort, nous nous tournons souvent vers le travail du sexe, ce qui nous rend encore plus vulnérables, et particulièrement exposées aux violences, aux IST et au VIH. Nous sommes régulièrement victimes de chantage ou d’abus physiques pour nous contraindre à des rapports non-protégés. Mais aux yeux de la loi, nous sommes toujours coupables, d’homosexualité, de transsexualité, etc. De façon générale, les femmes trans sont très isolées, et donc mal informées sur les risques liés à la santé sexuelle et reproductive. De plus, la prévention et les dispositifs de dépistage sont souvent mal adaptés à cette cible qui a des besoins spécifiques, et cumulent de nombreux facteurs de vulnérabilité.

Comment vit-on au Cameroun, lorsque l’on est trans et séropositive ?

La prévalence du VIH chez les personnes trans au Cameroun est forte, mais l’accès aux soins est très compliqué. Le personnel soignant n’est pas formé aux particularités médicales et psychologiques de la cible trans. Nous devons, là aussi, faire face à beaucoup d’ignorance, de discrimination, de non-respect des droits humains. Dans les structures qui accueillent et accompagnent les personnes séropositives, nous nous rencontrons également des obstacles, même lorsqu’elles sont adaptées aux HSH, car leurs besoins sont complètement différents de ceux des femmes trans. Certaines d’entre nous sont tellement découragées qu’elles préfèrent s’auto-médicamenter ou se laisser mourir. 

Comment cela s’est passé pour toi ?

Je vis avec le VIH depuis sept ans, mais il m’a fallu deux ans pour être orientée vers un dépistage, et un an de plus pour être suivie et traitée. J’étais réellement meurtrie quand j’ai appris ma séropositivité. Heureusement, j’ai pu être dirigée vers des associations, comme Alternatives Cameroun, qui luttent contre le VIH. Cela m’a permis de rencontrer des personnes incroyables, de reprendre espoir, de retrouver confiance en moi, et de m’exprimer pour faire, moi aussi, bouger les lignes. Si j’ai réussi à avancer, je pense que je peux aider les autres à le faire aussi. Nous ne sommes pas une cause perdue. Bien sûr, ce n’est pas facile. Mais je suis en vie, alors je me considère comme chanceuse. Pourtant, il n’y a pas une journée où je ne subis pas des attaques, plus ou moins graves, à cause de mon identité de genre. Je travaille la nuit, ce qui est pratique car on discerne moins les traits, mais je dois constamment adopter une posture de prudence. 

Peux-tu nous parler de ton association et de ce qu’elle fait ?

Nous avons créé Transigence Action en 2016, pour fédérer, informer et protéger notre communauté. Nous souhaitions fonder une association spécifique à la cause queer et trans, car celle-ci est peu représentée au Cameroun. Nous menons des actions de plaidoyer pour défendre les droits fondamentaux et quotidiennement bafoués des personnes queer et trans, et nous mettons en place des programmes de pairs éducation pour aller à leur rencontre, les accompagner vers le dépistage et les traitements, les écouter et leur parler de santé sexuelle et reproductive. Nous avons réussi à mettre des choses en place, mais notre structure est fragile et notre communauté, embryonnaire. 

Quelles sont les difficultés qu’elle rencontre ?

Nous voulons sortir cette cible de l’isolement auquel elle est contrainte. Mais nous devons faire très attention : l’écho dont nous avons besoin peut également nous mettre en danger, à cause de la stigmatisation, des violences et des lois pénalisantes. C’est à double tranchant. Nous avons également besoin de solidifier nos compétences, et les ressources qui nous permettent de les déployer. Les problématiques de la communauté trans sont trop souvent diluées dans celles des HSH. Pourtant, nos besoins sont différents, en termes de plaidoyer, de soins, de prévention, d’accompagnement, etc. J’ai l’impression qu’il y a une prise de conscience qui émerge au niveau mondial pour la cause des personnes trans, mais les associations comme la nôtre sont rares et nous manquons de financements, autant pour pérenniser nos actions sur le terrain que pour mener des actions de plaidoyer dédiées. 

Quels sont aujourd’hui les besoins les plus urgents pour la communauté trans camerounaise ?

Nous souhaitons qu’elle sorte de son invisibilité, car cela la plonge dans une extrême précarité. Nous devons la renforcer, notamment grâce au travail d’éducation par les pairs. Le plus difficile, c’est de faire avancer les mentalités et les dispositifs légaux. Le travail de plaidoyer est donc colossal, mais nous manquons parfois d’indicateurs pertinents pour pointer l’aspect prioritaire de certaines situations. Le système de santé doit lui aussi être mieux adapté : j’aimerais que les femmes trans ne meurent plus du VIH, ou des violences qu’elles subissent au quotidien. Le combat est difficile, mais je tenais aujourd’hui à témoigner pour donner le courage à d’autres de sortir de l’ombre. Si nous voulons atteindre l’objectif des 90-90-90 au Cameroun, en Afrique et partout dans le monde, nous devons prendre soin des populations-clés, et ce, de façon urgente. »

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