vih Cancer et VIH : que disent les nouvelles recommandations ?

22.10.24
Dorothée Duchemin
8 min
Visuel Cancer et VIH : que disent les nouvelles recommandations ?

Les dernières recommandations de dépistage et de prise en charge du cancer chez les personnes vivant avec le VIH ont été publiées en juin dernier. Elles visent à répondre aux enjeux suscités par l’avènement des traitements ARV : une population qui vieillit et qui est désormais confrontée aux cancers, liés ou non à l’âge.

Dès le début de l’épidémie, dans les années 1980, trois cancers, associés à des virus, ont intégré la liste des pathologies classant au stade sida, c’est-à-dire qu’ils étaient liés à l’immunodépression induite par l’infection à VIH : la maladie de Kaposi, associée à l’herpèsvirus humain de type 8 (HHV8), les lymphomes malins non hodgkiniens, associés au virus d’Epstein-Barr (EBV) et le cancer du col de l’utérus, associé au papillomavirus humain (HPV). « Il s’agissait alors de sujets jeunes, qui mouraient de cancers pourtant très rares avant l’épidémie », détaille le Pr Alain Makinson, médecin au service des maladies infectieuses et tropicales du CHU de Montpellier, membre du conseil scientifique du réseau CancerVIH et coordinateur des travaux pour la rédaction desdites recommandations.

Le paysage a été bouleversé par la révolution des traitements antirétroviraux (ARV), en 1996. Depuis, le virus étant contrôlé, les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) disposent d’un système immunitaire capable de vaincre les infections. Il en résulte que les cancers classant au stade sida ont largement reculé, alors que les cancers liés au vieillissement, les mêmes que dans la population générale, ont, eux, progressé.

Toutefois, par rapport à la population générale, les PVVIH montrent un surrisque de développer certains cancers associés à des virus [i]. « Ce groupe de patients présente probablement une immunité moins forte que la population générale, même sous traitement », explique le Pr Makinson. Par exemple, pour les cancers liés au HPV, on constate une persistance plus importante du virus chez les PVVIH et une interaction délétère entre les deux virus. « Cette interaction peut faire le lit d’un processus de carcinogenèse, analyse le Pr Jean-Philippe Spano, chef du service d’oncologie médicale à la Pitié-Salpêtrière (Paris), coordinateur du réseau CancerVIH. Elle entraîne des anomalies au niveau des cellules (vagin, canal anal, vulve) et crée des lésions précancéreuses. D’où l’importance du suivi régulier des patientes et des patients. »

De plus en plus de cancers liés à l’âge

Les recommandations sur le dépistage et la prise en charge du cancer chez les PVVIH ont fait l’objet d’une actualisation, publiée le 4 juin dernier sur le site du Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS), sous le contrôle de la Haute Autorité de santé. Les travaux ont été réalisés sous l’égide de l’ANRS et du CNS.

Pour rappel, selon les données de la cohorte ANRS-CO4 FHDH, entre 2008 et 2018, les cancers les plus fréquents chez les hommes étaient, dans l’ordre décroissant : le cancer colorectal, le sarcome de Kaposi, quasiment au même niveau que le cancer de la prostate, le lymphome non hodgkinien, le cancer du poumon, le cancer du foie, le cancer anal et le lymphome de Hodgkin. Chez les femmes : le cancer du sein, le cancer colorectal, le lymphome non hodgkinien, le cancer du col de l’utérus, le cancer du poumon, le sarcome de Kaposi, le cancer du foie, le cancer du canal anal et le lymphome de Hodgkin.

En termes de dépistage, qu’est-il recommandé ?

  • Cancer du col de l’utérus

Un dépistage spécifique doit être mené dans le cas d’un taux de CD4 bas (< 350/µL) ou de nadir bas (< 200/µL) ; un frottis par an est recommandé. Dans les autres cas, les recommandations sont les mêmes que pour la population générale : dépistage annuel durant deux ans, puis à trois ans jusqu’à l’âge de 30 ans, enfin tous les cinq ans.

  • Cancer du canal anal

Le dépistage concerne les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) à partir de 30 ans, les femmes à partir de 30 ans avec un antécédent de cancer ou de lésion intraépithéliale de haut grade au col, de cancer ou de précancer de la vulve et les femmes transplantées depuis plus de dix ans

  • Le carcinome hépatocellulaire

Le cancer du foie doit être dépisté en cas de fibrose de stade F3 ou F4 (stade sévère à cirrhose), quelle qu’en soit la cause. Il est également préconisé chez certaines PVVIH en fonction de différents critères (plaquettes, durée d’exposition au virus, etc.).

  • Le cancer du poumon

Il doit être dépisté par scanner thoracique à faible dose pour les PVVIH âgées de 50 à 74 ans, exposées au tabagisme : plus de 10 cigarettes par jour pendant plus de trente ans, plus de 15 cigarettes par jour pendant vingt-cinq ans ou plus, sevrage depuis moins de dix ans ou non.

« Pour les cancers de la prostate, du sein, du colon, de la vessie et de la peau, les recommandations de dépistage sont celles de la population générale. Il n’existe aucune spécificité de dépistage chez les PVVIH », précisent les recommandations.

Pour Florence Thune, directrice générale de Sidaction : « Ce qui me semble le plus marquant est le fait que des recommandations de dépistage de certains cancers ont été réalignées sur les recommandations pour la population générale, comme le cancer du sein. Cela montre qu’en dehors d’antécédents spécifiques, les personnes séropositives, sous traitement et avec une immunité retrouvée, n’ont pas plus de dépistage à réaliser que des personnes séronégatives. »

Le principe d’équité doit être appliqué

Les recommandations stipulent par ailleurs que la prise en charge doit être similaire à celle de la population générale, en respectant un principe d’équité. Le traitement oncologique doit être optimal en toute circonstance et l’infection par le VIH considérée comme une comorbidité comme les autres. En outre, c’est au traitement antirétroviral d’être adapté aux traitements oncologiques et non l’inverse.

Il est aussi recommandé de surveiller la charge virale du patient tous les trois mois. Celle-ci doit être indétectable, quelle que soit la tumeur. « Un cumul de cas publiés évoque un effet délétère sur la survie en cas d’immunodépression et/ou de réplication virale persistante dans les cancers solides et viro-induits. Un traitement ARV doit être initié, repris ou optimisé le plus rapidement possible chez les PVVIH non traitées ou en échappement virologique, et ce traitement ne doit pas être interrompu », lit-on dans les nouvelles recommandations.

Si ces recommandations vont dans le bon sens,Florence Thune insiste également sur l’importance d’une bonne coordination des soins. « L’entrée dans les services d’oncologie est perturbante, car les personnes vivant avec le VIH ont l’habitude d’avoir une relation de longue date avec les infectiologues, une qualité d’écoute et une prise en compte de leur parole. C’est une marque de la lutte contre le sida. D’après les témoignages que l’on reçoit, ce n’est pas toujours le cas avec certains cancérologues. »

Pour les patients qui pourraient être déroutés par la maladie et le manque de communication avec les oncologues, le livret d’informations patients Mieux comprendre et prendre en charge son cancer lorsqu’on vit avec le VIH vient justement d’être réactualisé. « Autant les patients connaissent très bien le VIH et sa prise en charge, autant ils ont tout à découvrir sur le cancer et ont besoin de comprendre, souligneFlorence Thune, qui a participé à la relecture du document. Qu’est-ce qu’un cancer ? Qu’est-ce qu’une chimio ? Qu’est-ce que la radiothérapie ? Cela manquait, et c’est pourquoi le livret était attendu. »

Plus grand public, plus facile d’accès et allégé par rapport à la première version, ce livret pourrait prochainement être traduit en espagnol, en anglais et dans une langue non européenne. Il ne peut pourtant pas tout régler. « Le réflexe de coordination du parcours de soins doit être systématique pour les oncologues comme pour les autres spécialités. Néanmoins, bien souvent, les personnes que l’on rencontre dans les associations déclarent qu’elles sont elles-mêmes coordinatrices de leur parcours de soins, précise la directrice de Sidaction. Le livret est aussi utile pour ça. Rien que le fait de pouvoir informer leur oncologue de l’existence de la réunion de concertation pluridisciplinaire d’ONCOVIH [ii] peut être d’une grande aide ! »

Notes et références

[i] D’autres cancers, non classant sida, demeurent également plus répandus chez les PVVIH que dans la population générale, possiblement ou majoritairement associés à des virus pro-oncologiques : la maladie de Hodgkin (associée au virus d’Epstein-Barr), le cancer anal (associé aux HPV), le cancer du foie (associé aux virus des hépatites B ou C). La littérature montre aussi que les PVVIH sont davantage touchées par le cancer du poumon, la consommation de tabac étant plus importante dans cette population que dans la population générale.

[ii] La réunion de la concertation interdisciplinaire (RCP), tous les 15 jours en visioconférence assurée via le réseau CancerVIH, est précieuse. Elle peut être l’unique RCP pour le patient ou en complément d’une RCP locale ou nationale. Il existe une RCP nationale, créée en 2014, et accessible par webconférence à tous les médecins de France et des DOM-TOM, et des RCP régionales, comme celles de la région Paca à Marseille ou de la région Auvergne à Clermont-Ferrand.

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