vih Cécile Cames : l’étude SNACS, VIH et récupération nutritionnelle

11.05.19
Vincent Douris
15 min
Visuel Cécile Cames : l’étude SNACS, VIH et
récupération nutritionnelle

Entretien à l’occasion de la Journée Scientifique Sidaction 2019

Vincent Douris : Le travail retenu pour la Journée Scientifique Sidaction 2019 porte sur la récupération nutritionnelle des enfants vivant avec le VIH au Sénégal. Pouvez-vous préciser dans quel contexte cette question s’est développée ?

Cécile Cames : Lors de la mise en place en 2012 de la cohorte pédiatrique à Dakar, nous avons mesuré des prévalences importantes de malnutrition aigüe, jusqu’à 50% chez les adolescents. La malnutrition aigüe était associée à tous les cas d’hospitalisation et de décès. Les soignants n’étaient pas formés et outillés pour la surveillance de la croissance et le diagnostic précoce de malnutrition. De plus, aucun dispositif de prise en charge nutritionnelle n’était disponible. Le protocole national, basé sur les aliments thérapeutiques (F75, F100, Plumpy NutTM, etc.) cible les enfants de moins de 5 ans. C’est pourquoi nous avons mis en place, avec les équipes soignantes, un protocole de récupération nutritionnelle au sein même des services de prise en charge du VIH, pour permettre un suivi intégré et limiter les risques de stigmatisation. Nous avons adapté le guide OMS de 2009 qui, bien que très peu opérationnalisé, reste la seule référence pour la prise en charge nutritionnelle des enfants et des adolescents infectés par le VIH. Nous avons d’abord mené une étude pilote au sein de la cohorte [1], en 2014, puis proposé l’étude SNACS, soutenue par Sidaction et par Expertise France Initiative 5%. Les partenaires institutionnels, le CNLS – Conseil National de Lutte contre le Sida et la DLSI –Division de lutte contre le Sida du ministère de la Santé, avec qui nous travaillons depuis longtemps, ont proposé d’étendre l’étude à plusieurs régions afin d’élargir le renforcement des capacités à un plus grand nombre de sites. L’UNICEF et le Programme Alimentaire Mondial (PAM) ont fourni les aliments thérapeutiques.

Combien de centres et d’adolescents ont-ils été inclus ?

L’étude s’est déroulée d’avril 2015 à août 2017, dans douze sites de prise en charge du VIH pédiatrique répartis dans la moitié Ouest du Sénégal, une zone géographique où se trouvent les files actives les plus importantes du pays. Nous avons travaillé avec sept hôpitaux et cinq centres de santé, et inclus 184 enfants qui souffraient de malnutrition aigüe sans complication médicale nécessitant une hospitalisation ou une prise en charge médicale plus complexe, dans la mesure où le protocole était basé sur une approche ambulatoire. L’âge médian des enfants était de 12 ans, 111 étaient malnutris aigus modérés et 73 malnutris aigus sévères. Le critère de récupération nutritionnelle dans l’étude était celui défini par l’OMS : atteindre ou dépasser -2 z-scores de l’indice de masse corporelle pour l’âge.

Combien de temps durait le suivi de ces adolescents ? Leur prise en charge était-elle différente en fonction de la gravité de la malnutrition ?

A partir de l’inclusion, les enfants étaient revus toutes les deux semaines pour un bilan clinique incluant les mesures anthropométriques et la prescription des aliments prêts à l’emploi. Les enfants malnutris modérés recevaient du Plumpy’supTM et les malnutris sévères recevaient du Plumpy’nutTM. A part cela, le protocole de suivi était le même pour tous. Au total, 63% des enfants ont récupéré de la malnutrition après un délai médian de 28 jours. Un échec de récupération dans l’étude ne l’est pas forcément sur le plan clinique. Il s’agit souvent d’adolescents dont les scores de maigreur étaient très bas à l’inclusion, inférieurs à -4 ou -5 et qui n’ont pas récupéré suffisamment de poids pour être déclarés guéris dans le temps imparti. Parallèlement, nous avons mesuré une réduction de moitié de l’anémie et des déficiences en vitamine A, D et sélénium chez les enfants malnutris sévères.

Est-ce un taux de récupération auquel vous vous attendiez ?

Il était difficile de faire des pronostics au départ. Chez les enfants de moins de 5 ans infectés par le VIH, diverses études, peu comparables entre elles, rapportent des taux de récupération plus élevés, sur des durées plus courtes. Dans cette population, l’échec conduit souvent au décès. Chez l’adolescent, il y a très peu de données, essentiellement l’étude menée par nos collègues en milieu hospitalier à Bamako durant la même période que SNACS, et qui rapporte un taux de réussite de 74% [2]. Considérant le challenge que représentait le déploiement d’une intervention dans 12 sites de niveau de performance inégal, nous pouvons nous satisfaire de ce résultat.

Quels étaient les facteurs associés aux difficultés de récupération ? Avez-vous constaté des situations de refus de ces aliments thérapeutiques ?

Les adolescents de plus de 10 ans et les patients avec une malnutrition sévère présentaient des durées de récupération plus longues et aussi plus de risque d’échec de récupération que les autres. Ces résultats plaident pour un renforcement du monitoring de la croissance par les équipes soignantes, de manière à prévenir la malnutrition ou à intervenir le plus précocement possible quand la courbe commence à stagner. Chez les adolescents vivant avec le VIH, la malnutrition aigüe s’est installée dans la durée, s’est chronicisée d’une certaine façon. Sa prise en charge est complexe. L’expérience d’effets indésirables liés aux aliments prêts à l’emploi, comme les nausées, diarrhées et vomissements, était également associée à l’échec. En fait, l’acceptabilité de l’aliment prêt à l’emploi et son efficacité sont assez bien corrélées. Certains enfants développent au fil du temps une lassitude et une saturation de l’appétit suffisamment fortes pour qu’ils se découragent. D’autres mettent en place des stratégies de consommation variées pour rendre la chose moins pénible. Nous avons évalué que le maximum de consommation journalière physiologiquement et socialement acceptable serait de deux sachets par jour chez les grands enfants et adolescents. En moyenne, sur toute la durée du suivi, les participants ont consommé 62% de ce qui leur a été prescrit. Nous savons que l’acceptabilité du Plumpy Nut/SupTM n’est pas optimale et diminue sur la durée. Il s’agit pourtant du seul aliment thérapeutique largement disponible et accessible dans les pays africains. Il faut tenir compte de ces réalités et renforcer l’accompagnement psychosocial des jeunes. Mais globalement, l’intervention a été bien perçue et les adolescents avaient à la fin de l’étude une meilleure perception corporelle. C’était très important pour eux de pouvoir reprendre le sport à l’école, par exemple, ou de réintégrer l’équipe de foot du quartier. Les critiques ont porté sur les visites de suivi, trop rapprochées, qui ont parfois perturbé la scolarité, et la nécessité de se cacher pour consommer les aliments, par crainte des remarques de l’entourage et pour éviter le partage intrafamilial des sachets.

Tous les enfants bénéficiaient-ils d’un traitement contre le VIH ?

A l’inclusion, 86% étaient sous ARV dont 58% étaient en échec virologique. Nous ne l’avons pas mesuré dans l’étude mais nous savons que les résistances aux ARV sont très fréquentes dans les files actives pédiatriques au Sénégal. A la fin de l’étude tous les enfants étaient sous ARV.

Après récupération, quel suivi était mis en place ?

L’intervention prévoyait un mois de prescription dégressive pour éviter un sevrage abrupt. Lors des groupes de paroles, les jeunes ont fait des propositions pour la prise en charge de routine, comme par exemple, bénéficier de doses d’entretien après la récupération ou encore de prescriptions intermittentes d’une semaine, à intervalles réguliers, pour entretenir les acquis. Ce sont des propositions que nous avons relayé auprès du ministère de la santé.

Avez-vous vu les pratiques se modifier à l’issue de ce travail ?

A l’issue de l’atelier national de restitution des résultats et recommandations de l’étude, le PAM a financé une partie du passage à l’échelle de l’intervention. Dans un premier temps, des fiches techniques pour la prise en charge, qui tiennent à la fois compte du protocole de l’OMS adapté, des résultats obtenus et des enseignements tirés du projet, ont été produites par les partenaires. Dans un second temps, les prestataires de santé de trois régions au Sénégal ont pu être formés à l’utilisation de ces fiches. C’est une première étape, mais la routinisation de cette intervention requière la mobilisation de plus de moyens. Le CNLS et le ministère de la santé mettent en œuvre actuellement un projet de renforcement de la prise en charge pédiatrique au niveau national. Ce projet couvre les quatre chantiers prioritaires que sont la prise en charge nutritionnelle, la décentralisation de la mesure de la charge virale, l’éducation thérapeutique et l’annonce du statut sérologique. C’est une approche intégrée qui peut avoir un effet catalyseur.

L’implémentation des programmes de récupération nutritionnelle est-elle prévue au sein même des services de prise en charge du VIH ?

En routine, il est indispensable de s’appuyer sur le réseau communautaire et les services décentralisés pour améliorer l’impact de la prise en charge nutritionnelle. Après le diagnostic de malnutrition et l’initiation d’une thérapie, les enfants viendront à l’hôpital pour un contrôle mensuel ou bimensuel et, parallèlement, un agent de santé, une médiatrice ou d’autres acteurs associatifs pourraient assurer la délivrance des aliments thérapeutiques et le soutien psychosocial. En effet, comme le réclament les adolescents, il est important d’espacer les visites à l’hôpital pour limiter les absences à l’école, mais il faut prévoir des relais communautaires qui puissent fournir les aliments thérapeutiques de manière régulière, en petites quantités pour limiter les risques de stigmatisation et de partage avec l’entourage, et apporter un soutien psychosocial. Quand cela est possible, il est souhaitable que les jeunes bénéficient d’un accompagnement par des pairs parce que le processus de récupération nutritionnelle est long, contraignant et les jeunes sont seuls à en porter la difficulté. C’est un processus complexe, très connecté à celui de l’annonce.

Vous avez porté une attention très précise au recueil de l’assentiment, et par ailleurs on voit un impact de l’annonce sur la compréhension des enjeux de la recherche. Pouvez-vous présenter la façon dont vous vous êtes posé ces questions et ce que vous avez pu mettre en place ?

Dans la cohorte ANRS, nous avions mis en place un dispositif de recueil de l’assentiment chez les enfants de plus de 7 ans, animé et évalué par Caroline Desclaux Sall dans le cadre de sa thèse qui portait plus largement sur l’éthique en pédiatrie et l’accompagnement des enfants dans une recherche biomédicale. Avec SNACS, il s’agissait de capitaliser sur ces travaux et de développer spécifiquement des outils pour l’information des enfants en amont du recueil de l’assentiment. Le parti pris a été de fournir une information standardisée sur la recherche et l’intervention, la plus complète et précise possible en omettant cependant d’aborder les interactions entre la malnutrition et le VIH. Marie Varloteaux, doctorante dans l’équipe, avait des compétences en montage audiovisuel qui ont permis la réalisation d’un petit film d’animation, en wolof, basé sur un film existant produit par MSF Luxembourg. La projection du film en petit groupe était suivie par une discussion avec les acteurs de l’étude. La compréhension était évaluée à la fin de la session par un petit questionnaire. L’objectif général de notre démarche était double : à la fois de répondre de façon attractive et accessible aux exigences éthiques et que les jeunes deviennent des acteurs de leur prise en charge dans l’étude. Environ 70% des enfants ont obtenu un très bon score de compréhension au questionnaire et tous ont donné leur assentiment à participer. Le premier enseignement de ce travail, c’est qu’un tel dispositif d’information standardisée sur la recherche est faisable, et même souhaitable en contexte d’étude multicentrique. Il a été relativement peu couteux mais a nécessité une solide organisation. Cette démarche doit être encouragée dans les recherches en pédiatrie au Sud. Le second est que les enfants informés de leur infection VIH retiennent mieux l’information, indépendamment de leur âge et de leur parcours scolaire.

Ceux qui n’étaient pas informés de leur sérologie étaient-ils invités à participer aux mêmes groupes de paroles que les autres ?

Les groupes étaient mixtes, informés et non informés. Pour des raisons de planification de la recherche, les enfants malnutris sévères devaient être inclus prioritairement. La constitution des groupes s’est faite en premier lieu sur ce critère. Les enfants informés de leur sérologie ont probablement bénéficié de plus d’informations sur l’étude par leur famille et les soignants, en amont du dispositif. Ils sont également mieux préparés, dans leur parcours de soin, à échanger et à comprendre des informations médicales.

Pour les enfants qui ne connaissaient pas leur statut, y a-t-il a eu des situations d’annonce au cours du protocole ?

Nous avons encouragé les processus d’annonce et les soignants ont été sensibilisés à ces questions lors d’une session de formation animée par Fabienne Hejoaka en amont du démarrage du projet. Chez les plus de 8 ans, le taux d’annonce est ainsi passé de 49% à 78% au cours de l’étude. Notre expérience va dans le sens des recommandations de l’OMS, qui sont d’initier le processus d’annonce dès l’âge de six ans. En tant que chercheurs, nous avons une responsabilité dans le renforcement des capacités des soignants et des patients qui participent à nos projets opérationnels ou interventionnels et dans l’amélioration de la qualité des soins, y compris par la promotion des processus d’annonce.

Quelles sont vos perspectives à l’issue de ce travail ?

Concernant SNACS, le travail de valorisation des données ne fait que commencer avec un premier article sur l’information et le recueil de l’assentiment (Hejoaka et al. 2019) et deux autres papiers sont en cours de rédaction sur l’acceptabilité et l’efficacité de l’intervention. Plus largement, il serait intéressant d’accompagner le passage à l’échelle des différents projets de recherche interventionnelle menés au Sénégal. Les résultats sont bons, les enseignements ont été tirés et les outils sont disponibles. Les partenaires institutionnels se sont appropriés ces expériences et peuvent porter des projets visant la pérennisation de ces interventions : c’est l’objectif ultime des recherches opérationnelles que nous menons. De plus, nous travaillons avec les partenaires sur des interventions pour optimiser la transition des adolescents des services de pédiatrie vers les services de médecine adulte. La prochaine étape est donc de tester nos hypothèses et propositions dans le cadre d’une recherche opérationnelle pluridisciplinaire. Enfin, beaucoup de perspective s’ouvrent aujourd’hui dans le champ de la santé numérique, notamment pour accompagner les jeunes dans la transition dans les soins et dans l’entrée dans l’âge adulte.

[1] Voir à ce sujet Cames C et al. Acceptability of Outpatient Ready-To-Use Food-Based Protocols in HIV-Infected Senegalese Children and Adolescents Within the MAGGSEN Cohort Study, Food and Nutrition Bulletin, 2016

[2] Voir à ce sujet Julie Jesson et al. Evaluation of a Nutritional Support Intervention in Malnourished HIV-Infected Children in Bamako, Mali, Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes, 2017

Hejoaka F et al., Improving the informed consent process among HIV-infected undisclosed minors participating in a biomedical research: insights from the multicentre nutritional SNACS study in Senegal, Tropical Medicine & International Health, 2019

Cécile Cames et al., Acceptability of Outpatient Ready-To-Use Food-Based Protocols in HIV-Infected Senegalese Children and Adolescents Within the MAGGSEN Cohort StudyFood and Nutrition Bulletin, 2016

Barankanira E et al., Ethics of health research partnerships in Global South: PhD students in learning, Médecine et Santé Tropicales, 2017

Cécile Cames et al., Risk factors of growth retardation in HIV-infected Senegalese children on antiretroviral treatment: the ANRS12279 MAGGSEN Pediatric Cohort Study, Pediatric Infectious Disease Journal, 2016

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