vih Chez Ikambéré, « la bouche qui mange parle »

29.08.16
Anaïs Giroux
7 min
Visuel Chez
Ikambéré, « la bouche qui mange parle »

Récit d’une journée de préparatifs culinaires au sein de l’association qui vient en aide à des femmes séropositives principalement d’origine d’Afrique-subsaharienne.

« Je suis venue pour faire le gâteau au yaourt : c’est ma spécialité. » Première arrivée chez Ikambéré ce matin du 9 juin, Damaris* retrousse les manches de sa longue robe bleue assortie au décor. Aujourd’hui, c’est « jour de fête ». L’association a été invitée par Sidaction à préparer quelques spécialités pour la cérémonie du Candlelight Day, qui se tient le soir même au parc de la Villette. Dès 9 heures, des saucisses bouillaient déjà sous le regard attentif de Joana Candida, salariée d’Ikambéré qui cuisine habituellement pour 35 à 60 couverts tous les midis. Un repas lors duquel se réunissent les bénéficiaires, des femmes séropositives, majoritairement des immigrées venues d’Afrique subsaharienne.

« Autour d’un plat, comme en famille où on sent la chaleur les unes des autres, c’est le moment idéal pour échanger », assure l’animatrice de santé Rose Nguekeng. Elle fait durant les repas « de la prévention secondaire » : « Je donne des infos sur le TasP, comment éviter les coinfections, etc. On parle aussi de problèmes d’ordre existentiel, de projets de vie… L’expérience des autres est comme une source d’eau à laquelle on vient s’abreuver pour faire face à la maladie. » La souriante Camerounaise s’applique à faire de la cafétéria « un lieu d’information et de formation » où interviennent régulièrement des psychologues, des gynécologues ou des patients experts à titre bénévole. La devise de l’endroit ? « La bouche qui mange parle. »

La cafétéria, lieu refuge

L’expérience des autres est comme une source d’eau à laquelle on vient s’abreuver pour faire face à la maladie

Comme chaque jour, les « mamas » comme elles se surnomment entre elles arrivent au compte-goutte pour mettre la main à la pâte. « Les filles s’impliquent ici, car elles comprennent que c’est un bateau qui a besoin d’elles pour voguer » commente Rose Nguekeng en tendant une nectarine et un couteau à une femme enturbannée, prête à en découdre. Founé*, 55 ans, acquiesce : « J’aime bien venir préparer à manger, au moins ici j’ai quelque chose à faire ! Et puis heureusement qu’il y a ça pour prendre du poids… Quand on est seule, on n’a pas envie de manger. » Elle vient presque tous les jours dans ce lieu où elle dit avoir trouvé « un équilibre ».

Après un mémoire sur les femmes infectées par le VIH, et un passage chez Sol En Si en tant que chargée d’accueil, Bernadette Rwegera avait vu « trop de souffrance ». En 1997, elle a imaginé cette structure associative, comme un « village » refuge et un lieu « pour permettre à ces femmes de se rencontrer ». Un cadre vite dépassé. « La convivialité ne suffit pas. J’ai rapidement monté des projets à mesure que j’identifiais les besoins de ces femmes », raconte la directrice. Les usagères d’Ikambéré peuvent notamment bénéficier de colis de la Banque Alimentaire de Paris et d’Île de France (BAPIF), distribués deux fois par mois, ainsi que du soutien de Concessa Kamaliza, l’assistante sociale.

Aide communautaire et matériel

A l’instar de bon nombre de ses collègues, cette dernière vient d’Afrique, du Rwanda plus précisément. « Mais ce n’est pas un critère de recrutement ! » plaisante-t-elle, avant de confier « mieux comprendre le décalage qu’elles peuvent ressentir ». Pour elle, la migration constitue « un tel changement climatique et culturel, que c’est souvent à ce moment que le VIH se manifeste. La moitié des femmes que l’on accueille sont par ailleurs venues d’Afrique subsaharienne en quête d’une prise en charge plus adaptée, car là-bas, les traitements sont parfois archaïques. » En 17 ans, environ 2400 femmes ont poussé la porte d’Ikambéré, sur les conseils de médecins ou de services sociaux, mais surtout de leurs pairs.

« J’ai connu l’association par le bouche-à-oreilles », raconte Damaris*, qui s’affaire à remplir de petits moules de sa préparation maison. « J’ai fait moi-même venir beaucoup de femmes, et j’ai créé beaucoup d’amitiés en 13 ans. » Aujourd’hui, cette Camerounaise ne fait plus que trois ou quatre fois par mois l’heure et demie de trajet jusqu’à Saint-Denis où se situe Ikambéré. « Quand j’étais vraiment malade, je venais tous les jours. A l’époque, je déprimais, aujourd’hui ça va mieux. » Elle raconte avec humilité comment elle a participé au sein de l’association à organiser « un défilé de mode » et confectionné elle-même certaines pièces. Outre la cuisine, Ikambéré propose en effet plusieurs activités hebdomadaires, comme la couture. Originaire de Côte d’Ivoire, Hélène* préfère les cours de sport ou « d’Internet ». « Venir ici m’a fait revivre », dit-elle sobrement avant de se replonger dans la cuisson des samossas.

« Venir ici m’a fait revivre »

Sandrine Weber, la socio-esthéticienne de l’association, franchit justement la porte en lançant un « Bonjour ! » enjoué. Tous les jeudis, elle propose à une dizaine de bénéficiaires « un temps collectif entre femmes durant lequel on aborde différents sujets, notamment les effets secondaires dus aux traitements ou au changement d’environnement… », suivi d’ateliers individuels avec soins du visage, des mains, etc. Jamais avare de conseils, elle délivre aussi bien des recettes de produits de beauté maison que des cours sur les coutumes françaises, pour les préparer à des rendez-vous administratifs ou des entretiens d’embauche. Son crédo : « l’adaptabilité. Je ne savais même pas qu’aujourd’hui était un jour particulier… Et bien ce n’est pas grave, on va cuisiner en parlant de problèmes de peau ! »

Le but est de regagner de l’estime de soi, d’apprendre à s’aimer et à prendre soin de soi.

« L’outil esthétique n’est pas la finalité, précise-t-elle, c’est un moyen pour rentrer en relation et créer un lien, précise cette experte de la beauté formée aux publics fragilisés. Le but est de regagner de l’estime de soi, d’apprendre à s’aimer et à prendre soin de soi. » Un accompagnement bienvenu pour ces personnes à la « féminité altérée » et rejetées en raison de leur « maladie sale ». Des années de traitements ont marqué les corps de certaines d’entre elles. « Rassure-moi, tu ne montres pas ton ventre dans la rue comme ça ? » demande Rose à Founé*, dont le t-shirt trop court ne parvient pas à cacher la lipodystrophie. Eclat de rire général. La principale intéressée s’amuse aussi, avant de se lancer dans une démonstration : sa jupe est en fait une robe qu’elle peut relever pour camoufler son ventre gonflé. Mais chez Ikambéré, elle n’a pas besoin de se cacher.

Notes

* Certains prénoms ont été modifiés.

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