En janvier, des médecins ont rapporté qu’une personne vivant avec le VIH à Marseille aurait potentiellement guéri de l’infection, après une greffe de moelle osseuse. Exceptionnelle, cette rémission de longue durée retient toutefois moins l’attention des scientifiques que celle d’un autre cas rapporté quelques mois plus tôt, surnommé « le nouveau patient de Berlin ». Explications du Pr Asier Sáez-Cirión, responsable de l’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur.
Transversal : début janvier 2025, plusieurs médias ont rapporté la potentielle guérison d’une femme séropositive d’une soixantaine d’années, traitée à l’hôpital Sainte-Marguerite de Marseille, avec une greffe de moelle osseuse. Mais il ne s’agit pas du premier cas de ce type…
Asier Sáez-Cirión : Effectivement. Ce cas de rémission – qui est en soi une très bonne nouvelle ! – est le premier en France mais le huitième dans le monde. Le premier a été décrit en 2008 et concernait l’Américain Timothy Brown, plus connu sous le nom de « patient de Berlin », en référence à la ville où il a été soigné. Puis entre 2019 et ce jour, outre le récent cas français, sept autres ont été rapportés : les patients de Londres (en 2019), de Düsseldorf (2020), de New York (2022), de City of Hope (un centre clinique californien ; 2022), de Genève (2023) et enfin le nouveau patient de Berlin décrit en juillet 2024 en amont de la conférence internationale sur le VIH – sida qui s’est tenue à Munich (Allemagne). Toutes ces personnes ont pu arrêter leur traitement antirétroviral sans que le VIH se remette à se multiplier.
T. : Peut-on utiliser le traitement à l’origine de leur rémission chez toutes les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) ?
A. S.-C. : Non. Il s’agit d’un traitement lourd (il peut durer plusieurs mois), avec des effets indésirables importants (notamment des douleurs chroniques). Mais surtout, il n’est possible que pour les personnes vivant avec le VIH ( PVVIH) atteintes d’un cancer du sang ou d’une autre maladie du sang. Car la greffe de cellules souches de moelle osseuse ne vise pas à traiter l’infection par le VIH mais ces maladies du sang : elle permet de remplacer les cellules souches hématopoïétiques [qui fabriquent le sang ndlr] déficientes du malade, par celles d’un donneur sain. L’effet sur le VIH s’explique par le fait que dans la plupart des cas concernés, les médecins ont réussi à trouver un patient donneur qui porte une mutation génétique rare appelée CCR5-delta 32, protectrice contre l’infection par le VIH. En effet, présente chez moins de 1 % de la population générale, cette mutation empêche la production de molécules CCR5 fonctionnelles, lesquelles sont cruciales pour l’entrée du VIH dans les cellules.
T. : Pourquoi le « nouveau patient de Berlin » retient-il plus l’attention des chercheurs que la plupart des autres cas de rémission décrits jusqu’ici, dont celui rapporté récemment en France ?
A. S.-C. : Parce que sa rémission est liée à une greffe de cellules souches de moelle osseuse ne portant qu’une seule copie de la fameuse mutation CCR5-delta 32 et non deux. Donc ce cas montre qu’une rémission du VIH est possible même en présence du gène CCR5 non muté et par conséquent, même quand les cellules des PVVIH sont encore permissives au VIH. Parmi les huit cas de rémission connus, un seul autre a pu bénéficier d’une rémission sans avoir reçu deux copies de CCR5-delta 32 : le patient de Genève, que mes collègues et moi avons décrit dans une publication parue en fin 2024[i]. Cette PVVIH a même reçu une greffe de moelle osseuse portant… zéro copie de cette mutation ! Donc ses cellules sont encore moins protégées de l’infection par le VIH que celles du nouveau patient de Berlin. Or, fait très intéressant, ce patient de Genève présente une charge virale indétectable, malgré l’interruption du traitement antirétroviral.
T. : Comment cela est possible ?
A. S.-C. : Dans notre article de fin 2024, nous développons deux hypothèses, qui pourraient se cumuler. Selon l’une, cela pourrait être lié à certaines cellules immunitaires spéciales issues des cellules souches greffées et qui auraient le potentiel de détruire les cellules CD4 infectées constituant le réservoir viral[ii] : les cellules « cytotoxiques », dites aussi « Natural killer » [NK, pour « tueuses naturelles » ndlr]. Ces entités sont spécialisées dans la destruction de cellules étrangères au corps dont elles sont issues. Or justement pour les NK dérivant de la greffe, les CD4 de la PVVIH greffée sont des cellules étrangères. Donc les premières attaqueraient les secondes, détruisant ainsi en même temps le VIH qu’ils abritent.
T. : Et la seconde hypothèse explicative ?
A. S.-C. : On pense que la rémission en l’absence d’une double copie CCR5 delta 32 pourrait aussi être liée au traitement immunomodulateur utilisé après la greffe, pour contrôler ce que l’on appelle « les réactions greffon contre hôte », à savoir les réactions immunitaires que les globules blancs du système immunitaire du donneur – présents dans la moelle osseuse donnée – développent contre les cellules du receveur, reconnues comme des cellules étrangères. En effet, ces molécules immunosuppressives pourraient empêcher l’activation des cellules immunitaires CD4 de la PVVIH traitée. Or cette activation est indispensable pour la multiplication du virus dormant dans les CD4. Résultat, le virus ne pourrait plus se reproduire.
T. : En quoi le nouveau patient de Berlin et le patient de Genève sont-ils intéressants pour la recherche contre le VIH ?
A. S.-C. : Ils pourraient grandement aider la recherche « Cure » [guérir, en anglais ndlr], qui vise à développer des traitements capables de supprimer le VIH du corps, ou du moins, d’empêcher sa multiplication une fois le traitement antirétroviral interrompu. En effet, mieux comprendre comment la rémission du VIH a été possible chez eux en l’absence d’une double copie de la mutation CCR5 delta 32, pourrait mener à des thérapies permettant de reproduire les mécanismes impliqués, sans avoir à passer par une lourde et risquée greffe de cellules porteuses de cette mutation protectrice. D’ailleurs, avec mes collègues, nous travaillons déjà à tester l’hypothèse tablant sur une implication du traitement immunosuppresseur, décrite précédemment.
T. : Pouvez-vous nous en dire plus?
A. S.-C. : Nous sommes en train de préparer un essai clinique qui vise à évaluer chez environ 180 patients, certains immunomodulateurs utilisés dans les protocoles de greffe de moelle osseuse, notamment le ruxolitinib. Notre but : déterminer si ces molécules peuvent diminuer le réservoir viral, voire la réplication du VIH, en cas d’arrêt du traitement. On espère démarrer cette étude en fin 2025 ou en début 2026, avec le soutien de l’ANRS – maladies infectieuses émergentes, l’agence qui anime, évalue, coordonne et finance la recherche sur le VIH/sida. Les premiers résultats ne seront pas disponibles avant au moins deux ans.
(1) Asier Sáez-Cirión et al. Nature Medicine. Décembre 2024. doi: 10.1038/s41591-024-03277-z.
(2) Ensemble de cellules où le virus peut se remettre à se reproduire en cas d’arrêt du traitement antirétroviral.