vih Confinement: la double peine des jeunes LGBT

21.07.20
Romain Loury
7 min
Visuel Confinement: la double peine des jeunes LGBT

Tenus de taire leur identité à leur famille, parfois d’éviter coups et brimades, de nombreux jeunes LGBT ont vécu le confinement comme un piège. S’il est difficile d’estimer l’ampleur des violences subies, plusieurs témoignages révèlent l’étouffoir de ces deux mois, et les difficultés pour en sortir.

+56,2%: le nombre d’appels au 119, numéro d’urgence pour l’enfance en danger, a explosé pendant le confinement. Conséquence de cette claustration imposée, de nombreux enfants et adolescents se sont retrouvés victimes de violences familiales, de nature psychologique ou physique. Pire, 55% des appels avaient trait à des situations jugées «préoccupantes», concernant des mineurs en danger ou susceptibles de l’être, contre 49% sur la même période en 2019.

Les écoutants du 119 ont dû plus souvent faire appel aux services d’urgence (police, gendarmerie, Samu) qu’en temps normal (+113,5%). Parmi les victimes fréquentes de ces actes de maltraitance, les enfants et adolescents LGBT, dont l’identité sexuelle, affirmée ou non, n’est pas toujours du goût des parents. S’il n’existe pas de chiffres sur ces violences, tout porte à croire qu’elles se sont aussi multipliées pendant le confinement.

Insultes, coups et tentatives de meurtres

Toutes les études le montrent: les adolescents LGBT, garçons ou filles, sont plus souvent victimes de maltraitance que les jeunes hétérosexuels. Dernière en date, celle publiée fin avril par le Défenseur des droits. Selon cette analyse de l’enquête VIRAGE (Violences et rapports de genre), menée en 2015 auprès de plus de 26.000 personnes, les garçons sont trois fois plus souvent victimes de violences psychologiques (insultes, humiliations, dénigrement) en milieu familial lorsqu’ils sont gays (8,8%) qu’hétéros (3,5%). La situation est encore plus préoccupante chez les filles (23,2% contre 6,6%), et chez les bisexuels garçons (9,7%) ou filles (24,5%).

Idem pour les violences physiques: 19,4% des lesbiennes et 21,7% des bisexuelles en sont victimes (11,9% et 8,8% chez les garçons), contre 6% chez les hétéros tous sexes confondus. Pire: 8,3% des bisexuels interrogés, quel que soit leur genre, disent avoir fait l’objet d’une grave agression dans un cadre intrafamilial, qu’il s’agisse de menace avec une arme, d’étranglement ou de tentative de meurtre.

«C’est le chiffre qui m’a le plus surprise», explique la sociologue Christelle Hamel, chercheuse à l’Institut national des études démographiques (Ined) et auteure de l’étude. «On ne parle pas que de petites violences. La violence physique peut aller très loin. Si on constate qu’il y a eu autant de personnes exposées à des tentatives de meurtre au cours de leur vie, cela signifie qu’il y a forcément des meurtres. Nous avons tous à l’esprit la Manif pour tous, qui a eu des effets en termes d’homophobie. Mais les atteintes à la personne, ce n’est pas que dans l’espace public: le cadre familial est beaucoup moins visible», ajoute-t-elle.

Un pic d’activité au Refuge

Quant à l’impact du confinement sur la situation des jeunes LGBT, il est difficile à mesurer: «il n’existe pas d’outil scientifique de mesure des violences au fil du temps, ce qui aurait permis de dresser un état des lieux avant, pendant et après le confinement», observe Christelle Hamel. De son côté, le Refuge, principale association française d’hébergement des jeunes victimes de LGBT-phobies, a connu un pic d’activité au cours de ces deux mois, avec une hausse de «près de 20% des appels», indique son président Nicolas Noguier.

Avec 250 places disponibles, l’association était déjà à saturation avant le confinement. En «poussant les murs» et en recourant aux rares hôtels encore ouverts, 276 jeunes sont désormais inclus dans le dispositif, pour un total de 314 personnes hébergées -une quarantaine sont à l’hôtel. Les séjours au Refuge durant «entre huit et neuf mois», cette suractivité va s’étendre «au moins jusqu’en décembre, janvier», ajoute Nicolas Noguier.

Parmi les témoignages recueillis par le Refuge, nombreux avaient trait à «des pressions morales, des insultes». Avec parfois des cas de violence physique sur «des jeunes qu’on a dû héberger très rapidement», ajoute Nicolas Noguier. Quant aux appels émanant «de jeunes mineurs ayant surtout besoin de parler», le huis-clos familial n’a pas facilité la confidentialité: «on a organisé des visioconférences, mais très souvent les parents regardaient avec qui leur enfant parlait», observe-t-il.

Dans d’autres cas, la situation semble avoir eu quelques effets positifs. Exemple à Orléans: «un peu inquiet» avant le confinement, Christophe Desportes-Guilloux, référent prévention des discriminations au Groupe d’action gay et lesbien du Loiret (GAGL 45), juge rétrospectivement la situation moins grave qu’il ne le craignait. Dans certains cas, elle a même permis de resserrer le dialogue familial. Son association a ainsi été en contact avec «trois jeunes personnes transgenres de 14-15 ans, dont les familles ont décidé de démarrer les démarches de changement de prénom». Toutefois, la plupart des appels provenaient de jeunes rencontrant des «problèmes d’introspection», s’interrogeant sur leur identité, explique Christophe Desportes-Guilloux.

Cas hélas banal, celui de Firmin, jeune gay Toulousain de 18 ans, qui a fui le domicile familial dès la fin du confinement. «Avant, j’allais au lycée, je faisais du théâtre, ou je partais courir. Privé de cela, j’ai été obligé de jouer le rôle de l’hétéro 24h sur 24. Je me sentais très mal, car mes parents sont très homophobes, c’est une famille très chrétienne-conservatrice», explique-t-il. Assailli de piques soupçonneuses, le jeune homme a finalement «craqué», se décidant à quitter le domicile au petit matin, peu après la fin du confinement. S’il se sent désormais «libre», Firmin espère à terme revoir sa famille, une fois sa colère apaisée.

Firmin, «hétéro 24h sur 24»

Une solitude plus lourde à porter

Du côté des jeunes hébergés au terme d’une rupture familiale, le confinement a souvent accru un isolement déjà bien présent, propice au risque de dérive psychique ou addictive, voire suicidaire. Exemple dans le foyer HOM’UP à Nantes, géré par l’association Aurore et qui héberge des jeunes de 18 à 25 ans exclus de leur famille, ainsi que des demandeurs d’asile LGBT. Afin d’amoindrir la solitude, Aurore leur a procuré des tablettes, leur permettant de demeurer connectés via les réseaux sociaux, explique Fabien Beliarde directeur de l’antenne d’Aurore Loire-Atlantique/Deux-Sèvres.

«C’est un public pour lequel il y a peu d’alertes», estime-t-il. Au-delà du Refuge, désormais saturé, et de quelques associations de moindre capacité, ces jeunes disposent de peu de solutions. «Il n’y a pas de réponses très adaptées, principalement des structures d’accueil pour jeunes un peu déstructurés, mais où il y a beaucoup d’homophobie», observe Fabien Beliarde. Ce qui démontre, de la part de l’Etat, «une réponse très globale aux personnes mises à la rue».

Une aide financière du gouvernement

Face à l’urgence, le gouvernement a finalement débloqué fin avril, après un mois et demi de confinement, une enveloppe de 300.000 euros afin de financer l’accueil en urgence de jeunes victimes de LGBT-phobies. «Ce dispositif, géré par l’association Le Refuge en lien avec la Dilcrah [Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT], est aujourd’hui pleinement opérationnel et bénéficie à une quarantaine de jeunes LGBT», expliquait fin mai le ministère de l’intérieur.

Jugeant cette prise de conscience «un peu tardive», Nicolas Noguier indique que seuls 60.000 euros ont été utilisés par le Refuge –la seule association à en avoir bénéficié-, ce qui lui a permis de combler les avances de trésorerie sur des hébergements déjà initiés. Quant à d’autres structures, dont HOM’UP à Nantes, l’Etat n’y participe pas. «J’espère que, grâce au confinement, ces publics invisibles feront l’objet de plus d’attention», conclut Fabien Beliarde.

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