vih Confinement: les usagers de drogues au pied du mur

14.05.20
Romain Loury
8 min
Visuel Confinement: les usagers de
drogues au pied du mur

Pour de nombreux usagers de drogues, le confinement a été vécu comme un choc violent, en raison des difficultés d’approvisionnement. Si le pire a finalement été évité, le déconfinement pourrait engendrer d’autres risques.

Isolement et détresse psychologique, difficulté à se procurer produits et seringues, sevrages forcés ou abstinences choisies… le confinement mis en place le 17 mars a constitué une période difficile pour les usagers de drogues. « C’est le public qui a payé le plus cher la situation », estime Jean-Pierre Couteron, psychologue addictologue au Csapa [i] du Trait d’Union à Boulogne-Billancourt. Si le bilan reste à établir, les premiers constats reflètent des situations très variables, selon la situation des usagers. « Cela dépend de nombreux facteurs : si la personne est sociabilisée, si elle a un toit et de l’argent, mais aussi selon les produits qu’elle consomme », explique Frédéric Bladou, référent chemsex chez Aides et administrateur de la salle de consommation à moindres risques (SCMR) Gaïa à Paris.

«Cela ne s’est pas très bien passé», estime Pierre Chappard, chef de service du Csapa de Villeneuve-la-Garenne. En particulier pour le cannabis et la cocaïne, dont de nombreux usagers, en particulier ceux vivant loin des centres urbains, ont parfois été soumis à un sevrage forcé. Si certains se sont tournés vers le deepweb pour s’approvisionner, nombreux sont ceux qui ont compensé par l’alcool. « Près de 80% des usagers ont consommé moins que d’habitude », constate Pierre Chappard, au vu des témoignages recueillis sur le site psychoactif.org, qu’il préside. Au risque d’exacerber l’angoisse et la solitude : « nous avons observé beaucoup de décompensations, de pétages de plomb chez des gens qui allaient mal », ajoute-t-il. Autre phénomène observé, le stockage en prévision du confinement, notamment pour le cannabis, qui a pu pousser à la surconsommation.

Quant aux usagers les plus précaires, «la situation a été vraiment tendue, mais on est tout de même parvenu à limiter la casse», tempère Frédéric Bladou. Pour le crack, il n’y a certes pas eu de rupture d’approvisionnement en crack, mais sa qualité a diminué. Surtout, la désertification des rues a rendu la « manche » bien peu rentable : « le peu d’argent qu’ils ont gagné est passé en came ». Ce qui a obligé plusieurs associations, dont la SCMR Gaïa, à prévoir une distribution alimentaire pour les plus vulnérables.

Un choc amorti pour le chemsex

La situation est très différente pour les cathinones et le GHB, utilisés dans le cadre du chemsex [ii]: l’achat se faisant via internet, les usagers n’ont pas connu de rupture d’approvisionnement. Les interlocuteurs interrogés évoquent deux grandes tendances générales parmi les usagers: primo, certains ont tiré profit du confinement pour faire une pause dans leur consommation, voire l’arrêter complètement. Secundo, d’autres ont poursuivi sur leur lancée, en raison de la disponibilité des produits. « Il n’y a pas eu de sevrage forcé, ce qui aurait été le pire cas de figure », note Frédéric Bladou. « Pour l’instant, rien ne montre que certains ont été dépassés, mais il faudra attendre que tout rentre dans l’ordre pour tirer un bilan », ajoute-t-il.

Cette crainte d’une surconsommation en période de confinement était très présente chez les associations: « le stress et l’isolement peuvent pousser à la consommation, notamment au chemsex », indique Vincent Castelas, chargé de projet au Spot Longchamp à Marseille, centre gratuit d’information, de diagnostic et de dépistage (CeGIDD) porté par Aides. Près de deux mois plus tard, il s’avère que « les personnes ont dans l’ensemble bien respecté le confinement, voire arrêté leurs plans cul et diminué leur consommation ». « Deux mois d’isolement, c’est beaucoup pour des gens qui n’ont que les applis pour trouver des relations sexuelles », observe Vincent Castelas.

Csapa et Caarud mis en difficulté

Comme d’autres associations œuvrant dans le domaine social, celles agissant pour la réduction des risques ont été mises à rude épreuve, jonglant entre fermeture de locaux, téléconsultations et envoi de matériel d’injection par voie postale. Les Csapa et Caarud [iii] ont même, initialement, été omis de la liste des établissements autorisés à bénéficier de masques, et leur personnel n’a pas bénéficié de la garde d’enfants. Si la Fédération addiction a finalement obtenu gain de cause, nombre de ces structures ont été obligées à des allers-retours entre hôpitaux et agences régionales de santé (ARS) afin d’obtenir des masques. Face à cet imbroglio administratif, « certains Csapa et Caarud ont complètement fermé, ils ont mis quelques semaines à rouvrir petit à petit », mettant les usagers en difficulté, déplore Pierre Chappard.

Plusieurs éléments positifs sont toutefois survenus, allégeant un peu le vécu des usagers. L’administration de traitements de substitution aux opiacés (TSO) a été facilitée : les ordonnances ont été prolongées à 28 jours, au lieu des 14 jours habituels. Et une fois l’ordonnance dépassée, il est possible de disposer d’un surplus de 28 jours. Placé sous l’égide de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), le réseau TREND («Tendances récentes et nouvelles drogues») a même observé une hausse des demandes de prescription de TSO auprès des Csapa, de la part d’usagers qui craignaient une pénurie d’héroïne ou d’opioïdes vendus au marché noir.

A Paris, l’association Charonne a pris l’initiative de prescrire du Skenan (sulfates de morphine) aux usagers, souvent en grande précarité, bien que ce médicament n’ait pas l’indication « traitement de substitution », et ne soit donc pas remboursé pour cet usage. « Face à l’urgence, la Sécu a suivi, ce qui a permis à ces usagers de rentrer dans le système de soins, alors que d’habitude ils se procurent le produit soit en volant, soit en faisant la manche », note Pierre Chappard.

Un déconfinement aux faux-airs de liberté

Si le pire a été évité, le déconfinement fait craindre de nouveaux risques, dont une reprise trop rapide de la consommation. « Si vous reprenez après plus d’un mois sans avoir rien pris, vous êtes moins tolérant au produit: les effets secondaires sont plus importants, les descentes plus fortes. Il faut essayer de reprendre plus doucement », conseille Muriel Grégoire, psychiatre addictologue au Spot Longchamp et responsable du Csapa Villa Floréal d’Aix-en-Provence. Appelant à la modération, les experts craignent un retour trop rapide des anciennes habitudes : « Il pourrait y avoir un effet élastique, d’autant que le confinement a été mené de manière militaire, sur fond de menace et de culpabilisation », déplore Jean-Pierre Couteron. « Nous travaillons avec les Caarud et les Csapa pour anticiper ces effets, car il y a un vrai risque d’overdoses, avec un recours à des produits dont on ne connait pas la qualité », ajoute Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération addiction.

Autre crainte, la possibilité d’une reprise épidémique via le milieu festif. Mis à l’arrêt forcé, celui-ci pourrait repartir de plus belle, malgré les interdictions de rassemblement. « Tout le monde aura envie de relâcher la soupape. Des raves illégales à 1.000 personnes, il y en aura », avance Jesse, intervenant à l’association lyonnaise Keep Smiling, qui œuvre pour la réduction des risques en milieu festif. Face aux craintes des bénévoles de l’association, celle-ci a lancé une collecte de masques pour pouvoir intervenir si besoin.

Au-delà des risques sanitaires, les problèmes sociaux pourraient flamber. Selon Frédéric Bladou, « le plus dur à gérer, ce sera probablement les cas post-traumatiques, avec de nombreux problèmes psychologiques et psychiatriques à traiter. Que va-t-on faire pour les gens qui se sont encore plus enfoncés dans la précarité ? Ce qui risque d’arriver avec le déconfinement, ce n’est pas seulement une deuxième vague épidémique. C’est avant tout une vague psychosociale, et elle risque d’être terrible ».

Notes

[i] Csapa: centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie

[ii] Chemsex : contraction des termes anglais « chemical », le produit chimique, et « sex », cette pratique allie consommation de produits psychoactifs – parfois injectés, on parle alors de «slam» – et activités sexuelles.

[ii] Caarud: centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues

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