Transversal Mag : Certaines rumeurs ont fait un lien, pendant cette pandémie, entre la Covid-19 et le VIH. En quoi ces deux virus sont-ils différents ?
Asier Sáez-Cirión : La confusion entre les deux virus est née après qu’une étude, non relue par les chercheurs, a été publiée sur le site BioRxiv, un site dépôt de prépublication dédié aux sciences biologiques. Cette étude, largement critiquée pour ses approximations, précisait que l’on retrouvait certains éléments génétiques du VIH dans le nouveau coronavirus. En soit, cela ne veut rien dire. En effet, notre code génétique se basant sur des répétitions de quatre lettres, le nombre de combinaisons reste limité : nous trouvons fréquemment de tous petits fragments qui coïncident dans le génome de tous les organismes.
TM : Et au niveau médical ?
ASC : Sur un plan physiopathologique, les deux virus ne fonctionnent pas de la même manière, le nouveau coronavirus ciblant d’autres types de cellules que le VIH. Si constate parfois des réactions immunitaires violentes dans les deux cas d’infection – l’orage cytokinique que l’on commence à comprendre pour la Covid-19 et la primo-infection pour le VIH – et une lymphopénie [2], l’infection au SARS-Cov-2 ne fait qu’induire cette réaction mais ne cible pas les cellules de l’immunité comme c’est le cas pour le VIH. Les mécanismes des deux virus sont très différents.
TM : En quoi la recherche sur le VIH, qui travaille activement depuis 40 ans, a permis de faire avancer la recherche sur le nouveau coronavirus ?
ASC : La recherche sur le VIH nous a fait comprendre que l’on ne pouvait pas aborder cette nouvelle épidémie sans adopter une réponse globale, une réponse qui inclut les chercheurs, les cliniciens et les patients. En ce sens, tous les réseaux mis en place préalablement pour lutter contre le VIH ont permis de mettre en place, très rapidement, des protocoles de recherche, de collecter des échantillons, d’établir le premier séquençage du virus. Un autre apport de la recherche autour du VIH tient à l’expérience acquise par les plateformes des laboratoires, hospitaliers comme privés, qui, en extrapolant depuis le VIH, ont su s’adapter rapidement. Ce qui a facilité l’identification des anticorps spécifiques au nouveau coronavirus, permis d’établir des outils de dépistage et d’identifier des cibles thérapeutiques potentielles.
TM : Depuis le début, la recherche s’est intéressée aux antirétroviraux (ARV), le Kaletra® notamment, comme solution thérapeutique contre la Covid-19. Quels sont les premiers retours des essais en cours ?
ASC : Pour le moment, aucune molécule, qu’il s’agisse d’ARV ou non, n’a montré d’efficacité clinique particulièrement probante dans un essai contrôlé. Malgré tout, il est légitime de s’intéresser aux ARV, notamment parce qu’ils ciblent certaines protéines qui, même si elles sont différentes, favorisent l’activité du virus par des mécanismes proches et, dans certains cas, pourraient avoir un effet anti-inflammatoire. Cependant, aucun médicament, notamment le Kaletra®, ne semble vouloir lutter efficacement contre la Covid-19.
TM : Faut-il craindre pour les Personnes qui vivent avec le VIH (PVVIH) co-infectées avec le nouveau coronavirus ?
Aujourd’hui, contrairement au début de l’épidémie, nous commençons à avoir quelques informations à ce sujet. Pour les PVVIH sous traitements, présentant une charge virale contrôlée, il n’existe à ce jour pas de surrisque documenté. En revanche, nous avons de grandes inquiétudes pour les PVVIH qui vivent dans les parties du monde où l’accès aux ARV n’est pas, ou mal, assuré : sans contrôle efficace du virus et si le système immunitaire est affaibli, la co-infection avec le nouveau coronavirus peut être plus critique.
[1] La Covid-19 est la maladie provoquée par l’infection au coronavirus SARS-CoV-2
[2] diminution de globules blancs dans le sang