Faut-il réformer les COREVIH, et si oui, comment ? La question est ouvertement posée par le ministère de la santé. Après la publication en juin d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), une concertation est en cours avec leurs représentants.
Fondés en 2005, les comités de coordination régionale de lutte contre les IST et le VIH (COREVIH) ont succédé aux centres d’informations et de soins de l’immunodéficiences humaine (Cisih), fondés en 1988. Parmi les membres des COREVIH, des représentants d’établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, des représentants de professionnels de santé et de l’action sociale, des représentants de patients et d’usagers du système de santé, ainsi que des personnalités qualifiées. Une représentation large, qui fait des COREVIH l’un des (rares) exemples aboutis de démocratie sanitaire en France.
Leurs missions sont au nombre de trois : la coordination de l’ensemble des acteurs régionaux de lutte contre le VIH ; l’amélioration de la qualité de la prise en charge des personnes vivant avec le VIH ; le recueil et l’analyse des données médico-épidémiologiques auprès des établissements de santé – et, depuis 2017, auprès des professionnels et des laboratoires de ville volontaires, en coordination avec Santé publique France (SpF).
Si ce maillage régional a incontestablement fait ses preuves dans la lutte contre le VIH, les COREVIH évoluent depuis 18 ans sur un terrain mouvant. Outre la création des agences régionales de santé (ARS) en 2010, puis le redécoupage des régions en 2016, la santé sexuelle fait depuis 2017 l’objet d’une stratégie nationale visant à unifier une thématique longtemps abordée de manière éclatée, entre VIH, hépatites, IST, violences sexuelles et santé reproductive. En 2017, les missions des COREVIH avaient déjà été étendues aux IST – sans moyens supplémentaires.
Par ailleurs, le paysage sanitaire français compte de nombreux types de structures spécialisées dans la santé sexuelle, dont les missions se chevauchent parfois, tels que les CeGIDD, les CPEF, les EVARS [i]. Alors que la tendance est à l’unification sous une seule bannière ‘santé sexuelle’, « la lisibilité, voire l’articulation, de ces dispositifs demeure très améliorable », écrivait le ministère en mars 2022 dans une lettre de saisine de l’Igas. Si l’objectif était d’y voir plus clair, le rapport de l’Igas laisse pourtant un goût d’inachevé.
Ne pas noyer le sujet VIH
Remis en février au ministère, mais rendu public seulement en juin, ce document de 98 pages a été, le 11 octobre, au cœur d’une réunion entre la direction générale de la santé (DGS) et le groupe d’interface national des COREVIH. Selon Eric Billaud, président du COREVIH des Pays de la Loire, « ce rapport ne va pas assez loin. On s’attendait à ce qu’il propose une vraie organisation du système, mais à part quelques recommandations, notamment sur les COREVIH, il ne résout pas grand-chose ». Il est même, selon Anne Monnet-Hoel, coordinatrice du COREVIH Arc alpin, « une source d’interrogation et d’inquiétude », notamment sur la possibilité que le champ d’action des COREVIH soit étendu au-delà du VIH et des IST.
Selon Anne Monnet-Hoel, « nous craignons que les COREVIH soient étendus à l’ensemble de la santé sexuelle et à la population générale, au risque de noyer le sujet du VIH. Or c’est aux acteurs locaux de choisir si, dans certains régions, il s’agit d’élargir le champ d’action à la population générale pour continuer à parler de VIH. Sur d’autres territoires, l’épidémie demeure très active, il y a probablement besoin de rester centré sur les populations clés ».
« A ce stade de la réflexion », l’Igas écarte pour l’instant le scénario d’une extension du champ d’action des COREVIH à la santé reproductive. « L’élargissement aux IST n’a pas encore porté partout ses fruits, et le niveau d’action des COREVIH est encore trop hétérogène pour envisager d’ores et déjà une extension de leurs compétences », explique l’inspection. Pour Catherine Aumond, vice-présidente du COREVIH Centre-Val-de-Loire et présidente d’AIDES dans cette région, « il y a un consensus fort pour dire que les COREVIH doivent rester centrés sur le VIH et les IST. La santé sexuelle en fait évidemment partie, mais pas la santé reproductive. D’autant que ce ne sont ni les mêmes professionnels de santé, ni les mêmes militants qui sont impliqués ».
Un système épidémiologique à revoir
Egalement en débat, une refonte du système de recueil et d’analyse des données épidémiologiques. Bien au-delà des COREVIH, il connait des difficultés croissantes, indique l’Igas. De 89 % en 2013, le taux de participation des laboratoires de ville au dispositif LaboVIH est passé à 60 % en 2020, tandis que seuls 42 % des cliniciens déclarent les nouveaux cas de séropositivité -bien que l’infection par le VIH demeure une ‘maladie à déclaration obligatoire’.
Or l’inspection propose ni plus ni moins de retirer cette mission épidémiologique aux COREVIH, appelés à se concentrer sur leurs deux autres missions (coordination des acteurs et amélioration du parcours de soins), pour la confier aux cellules régionales de Santé publique France placées auprès des ARS. Pour l’instant, rien n’est arbitré. D’autant que, selon les personnes présentes lors de la réunion du 11 octobre, Santé publique France se montre peu empressée d’assurer un travail jusqu’alors assuré par les COREVIH auprès des hôpitaux, ce qui exigerait des moyens régionaux supplémentaires dont elle ne dispose pas à ce jour.
Une remise en cause du mode de financement
Selon Catherine Aumond, « ce qui est certain, c’est que nous avons besoin de données fines et territorialisées pour assurer nos missions, aussi bien sur la prise en charge des patients et sur le dépistage, que pour apprécier la dynamique de l’épidémie ». Pour Eric Billaud, « l’épidémiologie est indispensable, et il y a besoin qu’elle s’exerce au plus près du terrain ». Si rien n’est joué pour l’instant, une refonte du système épidémiologique du VIH semble inéluctable. Plusieurs organismes ont d’ailleurs engagé des travaux de réflexion à ce sujet, dont l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS-MIE), le Conseil national du sida (CNRS) et Santé publique France.
La mission épidémiologique des COREVIH est actuellement assurée par les techniciens d’études cliniques (TEC), dont certains sont également en charge d’un travail de recherche auprès du CHU qui les héberge. Ce qui fait grincer les dents de certaines ARS, qui estiment que ce n’est pas le rôle du Fonds d’intervention régional (FIR) de financer la recherche. Toutefois, l’abandon par les COREVIH de leur mission épidémiologique, tel que prôné par l’Igas, reviendrait à les amputer d’une grande partie de leur budget, qui pour 70% réside dans le salaire des TEC. D’où, selon l’Igas, la nécessité de « revoir au niveau national les règles de financement des COREVIH et d’adapter les ressources humaines de ces instances à l’exercice de la mission d’animation et de coordination ». Dans un rapport publié en septembre 2021 sur leurs perspectives d’avenir, les COREVIH proposaient une clarification du financement de la mission recherche, évoquant la possibilité d’une participation de l’ANRS et de l’Inserm.
Clarifier les relations avec les ARS
Egalement un point sensible dans la vie des COREVIH, les relations avec les ARS, qu’Anne Monnet-Hoel juge « très hétérogènes » d’une région à l’autre. « Les COREVIH doivent permettre d’atteindre l’objectif zéro sida en 2023 par des actions locales, menées en fonction des réalités locales. Pour cela, ils doivent rester un outil de démocratie en santé, et ne pas devenir le bras armé des ARS », juge-t-elle.
Or si certaines ARS jouent le jeu de la démocratie sanitaire, d’autres y sont très réticentes. Ce qui donne lieu, dans certaines régions, à des relations très conflictuelles entre elles et les COREVIH. Selon l’Igas, cette situation pose la question du statut des COREVIH : « sont-ils essentiellement des instances chargées de l’expression des points de vue des différents acteurs, ou bien en charge de la déclinaison concrète de la stratégie des ARS ? ». Egalement en cause, les rapports entre le COREVIH et le CHU où il siège : dans certains cas, ce dernier ponctionne jusqu’à 30 % du budget du COREVIH pour les frais de gestion. Une situation pointée par l’Igas, qui appelle à une « enquête flash » à ce sujet.
Qu’émanera-t-il de ces débats ? Seule certitude à ce jour, la réforme annoncée des COREVIH « va se faire sur la base du rapport de l’Igas et d’une co-construction avec les acteurs. La mandature actuelle des COREVIH arrivera à échéance le 15 juillet 2024. Il faut au moins que les arbitrages ministériels soient connus d’ici la fin de l’année. Pour l’instant, nous n’avons pas de date », indique Anne Monnet-Hoel. Interrogée, la DGS n’a pas donné suite.
[i] CeGIDD : centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic ; CPEF : centres de planification et d’éducation familiale ; EVARS : espaces vie affective, relationnelle et sexuelle