En Guyane et à Mayotte, l’état d’urgence sanitaire a été levée le 16 septembre, plus de deux mois après l’Hexagone. Confinées en même temps que le territoire national, ces deux régions d’outre-mer ont connu une explosion de l’épidémie de COVID-19 plus tardive, prolongeant de plusieurs mois les restrictions dans un semi-confinement couplé de couvre-feux. Ne pouvant maintenir leurs activités habituelles, les associations ont du se réorganiser pour accompagner les personnes vivants avec le VIH. Aujourd’hui, elles alertent sur la crise sociale qui fragilise plus que jamais la lutte contre le VIH/SIDA.
En Guyane et à Mayotte, l’épidémie de COVID-19 est arrivée dans un contexte social très précaire et une situation sanitaire fragile, alors que ces territoires sont marqués par une forte croissance démographique et des sous-effectifs médicaux chroniques. « Le gros problème de Mayotte a été exacerbé : la précarité sociale. Je ne devrais même plus parler de précarité, mais de pauvreté » insiste Moncef Mouhoudoire, directeur de l’association Nariké M’sada, acteur historique de la lutte contre le VIH/SIDA sur l’île.
A Mayotte, 77 % des 270 000 habitants vivent sous le seuil de pauvreté et près d’un tiers des logements ne disposent pas d’eau courante [i]. « Sur les 325 personnes vivant avec le VIH suivies par le centre hospitalier de Mayotte, nous avons identifié une centaine de personnes extrêmement précaires pour lesquelles il fallait rapidement trouver des solutions » explique-t-il. Vente à la sauvette, petits boulots… avec le confinement, l’économie informelle a été stoppée nette. Or à Mayotte et en Guyane, ces activités permettent à des milliers de personnes de survivre au jour le jour. « La crise n’a pas été sanitaire, elle a été sociale » insiste Dr Maxime Jean, infectiologue et vice-président du COREVIH Océan indien.
« Pendant la COVID-19, les personnes vivant avec le VIH ont mis leur pathologie au second plan, la priorité étant de manger, de se loger » décrit Hervé Bredon, directeur de l’association Entr’aides basée à Cayenne. La structure, fondée dans les années 1980, comptait déjà parmi ses activités la distribution de colis alimentaires. Durant le confinement, « on ne pouvait plus recevoir nos usagers et on a gardé un lien téléphonique : le principal sujet des appels concernait le maintien de l’aide alimentaire, devenue primordiale. Parce que sans manger, les personnes ne prennent pas leurs médicaments » relate-t-il. En 2017 en Guyane, la moitié de la population estimée à 280 000 habitants vivait sous le seuil de pauvreté [ii].
Urgence sociale
L’absence de transport en commun et l’arrêt des taxis collectifs ont poussé les militants associatifs à privilégier la distribution de colis alimentaires à domicile. Cela leur a permis de prendre conscience des conditions dans lesquelles vivent les personnes qu’ils accompagnent. « C’est une chose de voir les gens à l’extérieur, au local associatif, et dans leur cadre de vie. Il y a une misère dont on ne se doute pas » insiste Moncef Mouhoudoire de Nariké M’sada. « Certes tout est améliorable, mais la prise en charge médicale est bonne ; là où le bât blesse, c’est dans la prise en charge sociale, qui impacte de fait la prise en charge médicale » résume-t-il, en mentionnant les arrêts de traitement « pour cause de ventre vide ».
Pour l’association mahoraise, la crise du COVID-19 a fait naître une « certitude » : « Il faut que nous nous occupions aussi de la prise en charge sociale » explique Moncef Mouhoudoire, qui souligne le besoin d’une étude poussée sur les conditions de vie des personnes vivant avec le VIH à Mayotte. Dans l’archipel de l’Océan indien, devenu département français en 2011, l’épidémie reste mal connue. « En métropole, il y a beaucoup de modélisations, ici ce sont surtout des perceptions » résume Dr. Maxime Jean, vice-président du COREVIH Océan indien.
En Guyane, la prise de conscience de l’ampleur de l’épidémie de VIH dans les années 2000 avait poussé les acteurs associatifs et institutionnels à se structurer, développant notamment des compétences en médiation sociale. Aux dires concordants de plusieurs structures, la crise du COVID-19 y a renforcé la coordination interassociative, orientée vers la prévention globale. De même, des modes de fonctionnement se sont assouplis, concernant la prescription de la PrEP par exemple, et des blocages quant aux consultations en télémédecine ont été levés.
Dépistages en berne
« Ce sera à long terme que l’on pourra évaluer les ruptures de traitement » souligne Agnès Nawang, présidente de Aides en Guyane. L’association qu’elle préside intervient dans l’Ouest de la Guyane, le long du fleuve Maroni qui marque la frontière avec le Suriname. La circulation transfrontalière mais aussi celles des personnes vivant le long des berges du fleuve se rendant habituellement en pirogue à Saint-Laurent du Maroni, où se trouve le centre hospitalier de l’ouest de la Guyane, a été entravée et « les rendez-vous médicaux ont été annulés » s’inquiète la présidente de Aides Guyane.
« Certes la COVID est là, mais je trouve qu’elle prend le pas sur toutes les autres pathologies, le VIH, les hépatites virales… On en oublie que les personnes qui vivent avec le VIH ont besoin d’être accompagnées, de voir le médecin, d’avoir d’une bonne prise en charge. » Le manque d’infectiologues et le turn-over des soignants au centre hospitalier de Saint-Laurent du Maroni complique le suivi médical des 600 personnes qui y composent la file active. « La pandémie de COVID a mis en évidence beaucoup de lacunes du système de santé en Guyane » commente Hervé Bredon d’Entr’aides.
La crise du COVID-19 a également fortement enrayé les dépistages. Or la Guyane est encore loin de « la proposition d’un dépistage de l’infection par le VIH à l’ensemble de la population générale, répétée tous les ans » recommandé par la Haute autorité en santé [iii] et qu’à Mayotte, « un certain nombre de dépistages sont très tardifs, ce qui est le reflet d’une politique qui n’est pas optimale » décrit le Dr. Maxime Jean.
Certes, à Mayotte, Nariké M’sada a reçu plus de sollicitations qu’attendues pour effectuer des TRODs durant le confinement. Et en Guyane, des militants de Aides ont fait la promotion de l’autotest et en ont distribué une centaine via un drive. « C’est très important pour la suite de l’utilisation de l’autotest sur notre bassin de vie » souligne Agnès Nawang. Mais globalement le nombre de dépistages réalisés en 2020 sera certainement en recul par rapport à l’année passée. Alors que les associations reprennent progressivement leurs actions habituelles, Agnès Nawang confie avoir » peur d’un rebond de personnes contaminées par le VIH ».