Depuis les premières vaccinations de décembre 2020, les vaccins contre la COVID-19 se multiplient. Malgré des initiatives internationales visant à permettre un accès équitable au vaccin, la répartition des doses reste aujourd’hui très inégalitaire.
Depuis décembre 2020, un constat s’impose : les campagnes de vaccination ont principalement été lancées dans les pays riches ayant les moyens de se procurer des doses auprès des firmes pharmaceutiques et dans les pays ayant eu la capacité de développer leur propre vaccin (Russie, Chine, Inde…).
Selon un bilan dressé par l’Agence-France-Presse samedi 20 février, sur les 200 millions de doses de vaccins anti-Covid administrés à ce jour dans au moins 107 pays ou territoires, « plus de neuf doses sur dix (92%) ont été administrées dans des pays à revenu’élevé’ ou’intermédiaire de la tranche supérieure’ [i]. » De fait, si le Royaume-Uni se targue d’avoir administré au moins une dose à 25 % de sa population, Israël à plus de 49 %, les Etats-Unis à 13 %, de nombreux pays n’ont pas encore reçu la moindre goutte de sérum. « Parmi les 29 pays à’faible’ revenu, seuls la Guinée et le Rwanda ont commencé à vacciner » souligne l’AFP, le 20 février.
Dès décembre 2020, l’ONG Oxfam alertait sur le fait que « près de 70 pays pauvres ne pourront vacciner qu’un.e habitant.e sur dix contre la COVID-19 l’année prochaine [2021, ndlr] alors qu’à l’opposé les pays riches ont acheté assez de doses pour vacciner l’ensemble de leur population près de trois fois avant la fin 2021 ». Le 18 janvier dernier, c’était au tour du directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus de tirer la sonnette d’alarme :« Le monde est au bord d’un échec moral catastrophique ». Il fustigeait alors l’égoïsme des pays riches dans leur course aux vaccins. « Même si les vaccins apportent de l’espoir à certains, ils deviennent une brique de plus dans le mur de l’inégalité entre les nantis et les plus pauvres du monde.»
COVAX, pour assurer un accès équitable aux vaccin
Pourtant, dès le mois d’avril 2020, une initiative était lancée pour permettre un accès équitable aux moyens de lutte contre la Covid-19. Sous l’égide de l’OMS, du président français, du président de la Commission européenne et de la fondation Bill et Melinda Gates, l’accélérateur ACT 5 (Access to COVID-19 Tools) réunissait un ensemble d’acteurs pour oeuvrer à un accès équitable et innovant aux diagnostics, aux traitements et aux vaccins.
Ce programme baptisé COVAX, pour Covid-19 Vaccine Global Access (accès mondial au vaccin contre le Covid-19) doit permettre un partage équitable des doses de vaccin entre les près de 200 pays participants. Un mécanisme de financement est mis en place par l’OMS et l’Alliance mondiale pour les vaccins (Gavi) : les fonds versés par les pays riches sont destinés à l’achat de doses qui seront partagées avec les 92 pays à revenus faibles ou intermédiaires. Ce système de répartition est censé permettre l’achat de 2 milliards de doses de vaccin et la vaccination de 20 % des populations des pays participant d’ici la fin 2021.
Malheureusement, cette initiative a rapidement montré ses limites. Jusqu’au G7 du vendredi 19 février, la levée de fonds était insuffisante. Au cours de cette réunion internationale, les annonces de soutien ont fait figure de sursaut pour COVAX dont le budget a nettement augmenté. Les Etats-Unis, qui ont rejoint tardivement ce programme avec l’arrivée au pouvoir du président Joe Biden en janvier 2021, ont ainsi promis de lui allouer 4 milliards de dollars sur deux ans.
Ces soutiens arrivent alors que les pays riches ont contourné le mécanisme de solidarité en s’assurant des livraisons de vaccins par des accords bilatéraux avec les firmes pharmaceutiques. Plus d’une quarantaine d’accords de ce type ont été signés en 2020, au détriment du bon fonctionnement du programme COVAX. Les données actualisées par l’AFP révèlent que 45 % des injections à travers le monde ont eu lieu dans les pays du G7 (Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni, Allemagne, France, Italie, Japon), alors qu’ils ne représentent que 10 % de la population mondiale.
Les fabricants de vaccins ont en effet privilégié la validation de leurs produits par les pays à haut revenu plutôt que de soumettre en priorité leurs données à l’OMS pour une habilitation mondiale, procédure indispensable pour entrer dans le programme COVAX, qui s’en est trouvé ralenti. COVAX a toutefois annoncé le 3 février la distribution d’ici juin 2021 de 337 millions de doses des vaccins Pfizer-BioNTech et AstraZeneca-Oxford à 17 pays, sélectionnés parmi les 72 ayant fait part de leur intérêt pour recevoir le sérum. Sur la liste des premiers bénéficiaires du programme de solidarité internationale : l’Inde, le Pakistan, le Nigeria, l’Indonésie, le Bangladesh, le Brésil…
Un nouvelle géopolitique, celle des vaccins
Dans ce contexte, l’Union africaine – dont nombre de pays membres dépendent du programme COVAX pour leur accès aux vaccins – a précommandé, le 13 janvier 2021, 270 millions de doses. 50 millions de celles-ci devraient lui être livrées d’ici juin alors que le continent africain compte 1,3 milliards d’habitants. Lors de dernier G7, le président français Emmanuel Macron a plaidé pour que l’Europe et les Etats-Unis envoient «le plus vite possible » 13 millions de doses de vaccins en Afrique pour y vacciner les 6,5 millions de soignants du continent. « Cela représente 0,43% des doses que nous avons commandées », a-t-il fait valoir.
Plus tôt en février lors de la conférence sur la sécurité de Munich, le président de la République avait par ailleurs plaidé : « Si nous annonçons des milliards aujourd’hui pour donner des doses dans 6 mois, dans un an, nos amis africains iront acheter des doses aux Chinois, aux Russes ». Se dessine en effet aujourd’hui une nouvelle géopolitique autour de l’accès vaccin, support aux renforcements de liens diplomatiques.
La Russie, la Chine, l’Inde fournissent ainsi des vaccins à des pays voisins ou amis. L’Inde, surnommée la « pharmacie du monde » pour ses usines de médicaments, a ainsi livré gratuitement des doses au Bangladesh, au Bhoutan, au Népal, en Birmanie… L’Algérie a acheté des doses du vaccin russe Spoutnik-V, également retenu par la Guinée. L’Egypte et le Maroc, dont des habitants ont participé à des phases tests du vaccin chinois Sinopharm, doivent en recevoir des doses en échange. Ces relations bilatérales devraient permettre à certains pays à revenus limités ou intermédiaires d’accéder aux vaccins, sans pour autant assurer une répartition équitable du vaccin à l’échelle mondiale.
L’Inde et l’Afrique du Sud ont demandé en octobre 2020 à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) de renoncer à certains droits de propriété intellectuelle pour les médicaments, vaccins, diagnostics et autres technologies de lutte contre la pandémie de Covid-19. Cette demande a été soutenue par une centaine de pays, des ONG et récemment reprise par une tribune de personnalités de la gauche française et internationale publiée par Libération, appelant à « lever les brevets sur les vaccins et les futurs traitements contre le Covid». Mais ce recours à des licences libres est rejeté par les États-Unis, l’Union européenne, la Suisse ou encore le Royaume-Uni.
La nouvelle directrice de l’OMC, Okonjo-Iweala Ngozi qui, jusqu’à fin 2020 présidait l’Alliance mondiale pour les vaccins (Gavi), ne tranche pas en affirmant : « Nous pouvons accorder des licences de fabrication à des pays afin qu’ils puissent disposer d’un approvisionnement adéquat tout en veillant à ce que les questions de propriété intellectuelle soient prises en compte ».
Si une levée des droits de propriété intellectuelle avait lieu pour les vaccins, se poserait la question des capacités de production. Sur le continent africain, l’Afrique du Sud et le Maroc disposeraient aujourd’hui des moyens de fabriquer ces vaccins. Une fois la production et l’approvisionnement assurés, se poseront également les questions du coût et de la logistique du déploiement des vaccins et de leurs injections. Le jour où le vaccin contre la COVID-19 « n’appartiendra à personne» et sera un « bien public mondial», comme l’annonçait en mai dernier le président français Emmanuel Macron, est loin d’être arrivé.
[i] (au sens de la Banque mondiale, qui ne concentrent qu’une grosse moitié de la population mondiale (53%)