Depuis le premier cas de COVID-19 diagnostiqué en Egypte mi-février, les 54 pays du continent africain sont désormais touchés par le coronavirus, avec des situations épidémiologiques qui différent d’un endroit à l’autre. Au 8 juin, près de 190 000 cas et 5175 décès étaient recensés par le Africa CDC (1). Etat d’urgence, couvre-feu, confinement… les gouvernements ont progressivement instauré à partir du mois de mars des mesures qui affectent, parfois de manière dramatique, la vie des personnes vivant avec le VIH. L’Organisation mondiale de la santé s’en inquiète ; sur le terrain, les associations s’adaptent.
« La seule activité que nous avons maintenu au siège de l’association est la distribution de substituts lactés pour les mères séropositives. Avoir du lait, c’est primordial » explique la pédiatre Dr Emma Acina, présidente de l’association Solidarité féminine de Djibouti. Des mesures de confinement y ont été édictées quelques jours après la détection du premier cas de COVID-19 le 18 mars chez un militaire d’une des cinq bases étrangères que compte ce petit pays d’Afrique de l’Est. Depuis plus de 4000 cas sont recensés et 28 décès seraient dus au coronavirus (1).
Le confinement a empêché les activités informelles qui assurent habituellement de modestes revenus journaliers à la plupart des bénéficiaires de Solidarité féminine. Première urgence : les besoins vitaux. Solidarité féminine a mis en place la distribution de kits de denrées alimentaires, via un système de coupons et de la mobilisation de boutiquiers au sein même des quartiers où vivent les personnes soutenues par l’association. 180 personnes ont bénéficié de la première distribution, puis 200. L’association envisage de maintenir ces actions au moins jusqu’au mois d’août.
En Côte d’Ivoire, le gouvernement a opté pour l’isolement de l’agglomération d’Abidjan du reste du pays et un couvre-feu. « Cela a impacté tout, au niveau du pays en général. Le pays a reçu un grand coup de fouet » décrit Philippe Njaboue de l’association Alternative basée à Abidjan. La structure a choisi de concentrer ses efforts vers son public le plus vulnérable, les travailleuses du sexe transgenres, explique-t-il. Absence de clients, manque de nourriture, logement insalubre… « Avant les travailleuses du sexe transgenres étaient sensibilisées la nuit. Avec le couvre-feu, on devait s’adapter à la nouvelle donne ». Rapidement des denrées alimentaires sont distribuées, sur des fonds propres aux membres de l’équipe associative.
L‘accès aux ARV compromis
Puis un budget alloué par un partenaire local pour lutter contre la stigmatisation des personnes LGBT a été redirigé, avec l’accord du bailleur, vers la remise de sommes d’argent à 30 travailleuses du sexe transgenres, suivies par l’association. Une aide, à hauteur de 30 000 francs CFA (45 euros) par personne, qui leur a permis de payer leur loyer ou leur hormonothérapie, d’après Philippe Njaboue. A Djibouti, Solidarité féminine a d’abord puisé dans ses économies puis « les bailleurs ont vite accepté de réallouer les fonds » à des actions adaptées au nouveau contexte.
Malgré cette bonne réactivité des financeurs et des acteurs associatifs, un autre sujet d’inquiétude apparaît : l’accès aux anti-rétroviraux et les possibles ruptures de traitements. Le 11 mai dernier, l’Organisation mondiale de la Santé publiait le résultat d’une modélisation selon laquelle « une interruption de six mois d’un traitement antirétroviral pourrait entraîner plus de 500 000 décès supplémentaires dus à des maladies liées au sida, y compris la tuberculose, en Afrique subsaharienne, en 2020-2021 » (2).
En République démocratique du Congo, dans la province du Sud-Kivu, l’inquiétude est forte. Malgré un « plaidoyer pour l’octroi des kits ARV de sécurité pour 3 mois aux PVVIH par les différents centres de traitement », l’association SOS-SIDA s’inquiète d’un « risque de rupture en ARV ». Les traitements arrivent depuis Kinshasa, dont Bukavu, la capitale du Sud-Kivu à 2000 km, est coupée depuis le mois de mars, décrit Gratien Chibungiri, coordinateur de SOS-SIDA. En République démocratique du Congo, l’épidémie de coronavirus aurait touché plus de 4000 habitants et causé à ce jour la mort de 85 personnes (2).
« La pandémie de COVID-19 peut impacter négativement la prise en charge médicale des PVVIH si les hôpitaux sont submergés par la prise en charge des malades de Coronavirus. C’est ce que nous observons depuis une semaine à Bukavu » ajoute Gratien Chibungiri.). Dans ce contexte, « les malades chroniques comme les PVVIH sont jugés non urgents » explique-t-il. D’autant qu’en 2019, l’épidémie d’Ebola qui a touché la région y a déjà fragilisé la lutte contre le VIH.
« Ce qui est problématique, c’est que les dispensaires travaillent au ralenti, il y a moins de médecins, moins d’infirmiers » décrit Dr Acina depuis Djibouti. A partir du mois de mars, les PVVIH ont toutefois pu y bénéficier de « trois mois de traitement », mais il est encore difficile pour Solidarité féminine d’évaluer les ruptures de traitement et perdus de vue qui pourraient être imputables au confinement.
A Abidjan, l’épidémie de COVID-19 a renforcé « la distribution démédicalisée d’ARV, par des pairs » développée en Côte d’Ivoire par Alternative depuis près d’un an, décrit Philippe Njaboue. « Cela nous a montré que c’est une bonne pratique ».
Garder le contact
Garder le lien : un point clé de l’accompagnement des PVVIH et un défi particulier en temps de confinement. « Des téléphones mobiles vont être remis aux relais communautaires des PVVIH afin qu’il soit possible de garder contact avec l’équipe du Centre médical, même en temps de confinement » explique Gratien Chibungiri. Le 1er juin, Bukavu a été placée en confinement suite à « une brusque flambée de l’épidémie » de COVID-19, décrit-t-il.
A Djibouti aussi, on mise sur le téléphone pour rester en contact. En parallèle à la distribution de vivres, des cartes de crédit téléphonique ont été partagées avec les bénéficiaires de Solidarité féminine pour leur permettre de communiquer avec les accompagnateurs psycho-sociaux qui sont les relais de l’association auprès des personnes vivant avec le VIH, explique Katrin Chaker, membre du bureau et responsable financière de l’organisation. « Pas mal de femmes élèvent seules leurs enfants. J’ai peur qu’elles s’épuisent, les repères sont perdus, elles reçoivent très peu d’aide » souligne Emma Acina, d’autant que la chaleur devient accablante dans ce pays de la corne de l’Afrique.
A Abidjan, bien que le gouvernement ait autorisé les réunions jusqu’à 50 personnes, les « causeries » de l’association Alternative qui réunissent en général 30 à 35 personnes ont été suspendues, « au vu de la capacité d’accueil de la salle que nous utilisons » justifie Philippe Njaboue. Face au coronavirus, l’association préfère définir ses propres règles. « On est en train de préparer la riposte avec des messages de sensibilisation sur l’existence réelle du COVID ». En Côte d’Ivoire après une première vague de panique à l’annonce des premiers cas, beaucoup de personnes doutent désormais de l’existence du virus, d’après Philippe Njaboue qui s’en inquiète. Au 8 juin, ce pays d’Afrique de l’Ouest recense 3739 cas et 36 morts dues à l’épidémie de coronavirus (4).
A Djibouti, le COVID-19 et le confinement ont suscité « beaucoup d’anxiété » a constaté Katrin Chaker. Solidarité féminine prévoit de proposer des formations pour le suivi psychologique des membres du bureau de l’association, des salariés et des accompagnateurs psycho-sociaux « pour qu’ils puissent ensuite soutenir les PVVIH ».