vih Covid-19 : pleins feux sur le Kaletra®, un antirétroviral utilisé contre le VIH

22.05.20
Hélène Ferrarini
7 min
Visuel Covid-19 : pleins feux sur le Kaletra®, un
antirétroviral utilisé contre le VIH

L’association lopinavir-ritonavir (LPV/r) – commercialisée sous le nom de Kaletra® – fait partie des traitements les plus testés dans les essais cliniques contre la Covid-19, faisant craindre une pénurie de cet antirétroviral utilisée pour le VIH. Chine, Russie, Israël, France… La mise sous les projecteurs de ce médicament au cours de ces dernières semaines a eu des effets divers.

D’après la base de données de la revue scientifique The Lancet, l’association lopinavir-ritonavir est le deuxième traitement le plus testé au monde contre la Covid-19 avec 70 essais recensés, après l’hydroxychloroquine inclue dans 224 essais cliniques [1]. Le lopinavir-ritonavir (LPV/r) se retrouve dans une trentaine d’essais chinois, dans 22 essais menés en Iran, dans moins d’une vingtaine en Europe, dont quatre en France. Certes « la proportion de patients traités au moyen de schémas incluant l’association LPV/r est relativement faible, car celle-ci doit être utilisée en deuxième intention selon les lignes directrices de l’OMS sur le traitement du VIH » souligne l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), mais cette mobilisation soudaine du lopinavir-ritonavir peut tout de même laisser craindre des pénuries.

De fait, l’annonce de l’inclusion de ce médicament dans des essais cliniques pousse certains à s’en procurer, même si le bénéfice thérapeutique du Kaletra® contre la Covid-19 n’est pas prouvé. Les premiers résultats ne permettent d’ailleurs pas d’identifier une molécule particulièrement efficace contre le nouveau coronavirus. Cela n’a pas empêché une ruée vers le Kaletra®.

Marché gris en Chine

Tout d’abord en Chine, dès janvier 2020. L’agence de presse Reuters relate dans une dépêche du 6 février la manière dont un agent commercial a commandé une version générique du Kaletra® en Inde, dont il a écoulé le stock en deux jours [2]. Il confie avoir vendu les lots de 60 pilules au prix de 600 yuans (78 euros) et avoir fait une marge de 200 à 300 yuans (26 à 40 euros). En Inde, le prix des médicaments au « marché gris », ainsi que l’on désigne des canaux de distribution légaux mais non autorisés par le fabricant, commençait alors à augmenter. Toujours d’après Reuters, des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) en Chine ont réussi à provisionner « 5400 plaquettes de Kaletra® en moins d’une semaine », et les auraient proposées gratuitement sur Weibo, l’équivalent chinois de Twitter. L’un des organisateurs de cette collecte raconte que « des centaines de messages sont arrivés, lui laissant à peine le temps de dormir et de manger durant les trois premiers jours jusqu’à ce que toutes les pilules soient envoyées ».

En Russie, c’est l’émergence d’un véritable marché noir que révèle Reuters [3]. Fin janvier, le ministère de la santé russe recommande l’association lopinavir-ritonavir dans des essais cliniques contre la Covid-19, essais non recensés à l’heure actuelle dans la base de données de The Lancet. Les chiffres de vente et le prix du médicament s’envolent, passant de 900 roubles (11 euros) à 3 800 roubles (45 euros), voire plus à la revente. Des PVVIH sont même approchées pour revendre le Kaletra® dont elles pourraient disposer.

En Russie, l’inquiétude des PVVIH

Si dans l’article sur la Chine aucune pénurie pour les personnes vivant avec le VIH n’était mentionnée par Reuters, en Russie, l’inquiétude des utilisateurs habituels de Kaletra® est palpable. « Le directeur de la H-Clinic de Saint-Pétersbourg, spécialisé dans les maladies infectieuses, raconte que sa pharmacie a reçu ces dernières semaines jusqu’à 120 appels par jour de patients atteints du VIH à la recherche du précieux médicament, dont le stock a été épuisé. Son distributeur lui a en outre signifié qu’il ne recevrait plus de livraison, l’État russe ayant réquisitionné ses stocks » écrit la journaliste de Reuters. 

L’État d’Israël a lui cassé le brevet sur le Kaletra®, qui courait dans le pays jusqu’en 2024. L’association de molécules est inclue dans un essai clinique mené à Jérusalem. « La compagnie avec le brevet et l’importateur officiel en Israël ne sont pas en capacité de fournir les stocks nécessaires pour ce médicament qui est très demandé à travers le monde en ce moment » déclarait le ministre de la justice israélien en mars 2020, ouvrant la possibilité à l’importation de la version générique du Kaletra®, une première depuis la loi de 1967 sur les brevets [4]. « Tous les pays qui autorisent l’utilisation de médicaments contre le VIH pour le traitement de la COVID-19 doivent veiller à ce que des stocks suffisants et pérennes soient disponibles » rappelle l’OMS.

En France, des tensions d’approvisionnement

En France, dès le 26 mars, l’Agence nationale pour la sécurité du médicament (ANSM) « alertée de difficultés d’accès dans les pharmacies en ville » au Kaletra® enjoint les « pharmaciens d’officine de ne délivrer ces médicaments que sur prescription médicale dans leurs indications habituelles, ceci afin de sécuriser leur accès aux patients qui en bénéficient pour leur traitement chronique ». L’ANSM demande également au laboratoire AbbVie pour le Kaletra® et Mylan pour sa version générique de « livrer dès que possible et en quantités suffisantes, les grossistes-répartiteurs et les pharmacies ». 

« Avant le lancement de Discovery, l’ANSM a prévenu qu’il pourrait y avoir de possibles tensions » relate Hélène Pollard, membre du collectif interassociatif TRT-5. « Je pense que quelques personnes ont du aller en pharmacies hospitalières au début », mais le TRT-5 n’a pas recensé de rupture de traitement dû à un manque de Kaletra®.La Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique note de son côté que « des difficultés ont concerné un temps le Kaletra® mais semblent avoir été résolues depuis lors. »

Le 30 mars 2020, AbbVie fait part à l’ANSM de « tensions d’approvisionnement » et met « à disposition à titre exceptionnel et transitoire » des spécialités équivalentes « initialement destinées à d’autres marchés ». L’ANSM n’a pas répondu à nos questions concernant l’usage effectif à ces substituts. Nous n’avons pas non plus obtenu de précisions sur le nombre d’utilisateurs du Kaletra® en France, mais différents observateurs s’accordent sur le fait que peu de PVVIH y ont aujourd’hui recours.

L’essai Discovery surestimé

La pénurie de Kaletra® semble donc avoir été évitée en France. Le fait que les essais cliniques en ont utilisé moins que prévu a peut-être joué un rôle. L’essai Discovery devait porter sur 3100 patients, dont 800 environ en France, et comparer quatre traitements composés de molécules déjà existantes. On retrouve l’association lopinavir-ritonavir dans deux des quatre options retenues, utilisé seul et en association avec un interféron bêta, une molécule permettant une meilleure résistance des cellules aux infections virales.

Finalement le programme Discovery est bien en deçà des annonces faites lors de son lancement le 22 mars. A l’heure actuelle, 750 patients sur les plus de 3000 escomptés y ont participé ; et ce uniquement en France, les autres pays européens ayant préféré rejoindre d’autres programmes d’essais. L’association lopinavir-ritonavir n’a finalement du être testée que sur 300 patients atteints de la Covid-19, dans le cadre de Discovery. Et les ruptures de stock ont plutôt concerné le remdésivir, une substance active utilisée contre Ebola, dont le CHU d’Amiens a par exemple manqué. Sur les 73 essais cliniques recensés en France par The Lancet, trois autres intègrent du lopinavir-ritonavir.

Aujourd’hui, la plupart des médicaments sont produits en Inde et en Chine. La province de Hubei, où a débuté fin 2019 l’épidémie de Covid-19, est d’ailleurs spécialisée dans la fabrication de principes actifs composant les médicaments. Nous ignorons la manière exacte dont les mesures de confinement ont pu affecter les différents maillons de la chaîne de la fabrication du lopinavir-ritonavir, une association de molécules aujourd’hui essentiellement demandée à l’international.

[1] https://covid-trials.org/

[2] https://www.reuters.com/article/us-china-health-drugs/desperate-for-coronavirus-solutions-chinese-turn-to-hiv-drugs-gray-market-and-traditional-cures-idUSKBN2000HA

[3] https://fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRL8N2C8312

[4] https://www.reuters.com/article/health-coronavirus-israel-drug/corrected-israel-oks-use-of-generic-abbvie-drug-to-treat-coronavirus-despite-patent-idUSL8N2BC5D6

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