vih COVID-19 : pourquoi un vaccin est-il disponible si rapidement ?

05.01.21
Kheira Bettayeb
7 min
Visuel COVID-19 :
pourquoi un vaccin est-il disponible si rapidement ?

Fin décembre 2020, deux premiers vaccins anti-Covid ont été autorisés. Jamais un vaccin n’a été développé aussi rapidement. Comment cela est-il possible ? Quelle différence avec le VIH ? Les réponses de Jean-Daniel Lelièvre, chercheur spécialiste de la vaccination et chef de service des maladies infectieuses de l’Hôpital Henri-Mondor à Créteil.

Transversal : Selon le Leem, le syndicat des entreprises pharmaceutiques, « en temps normal, le développement d’un vaccin nécessite de sept à dix ans en moyenne »… Comment expliquer la mise au point si rapide des vaccins anti-Covid ?

Jean-Daniel Lelièvre : En cas de pandémie, les laboratoires pharmaceutiques accélèrent le processus de développement des vaccins, en menant en parallèle les différentes phases d’évaluation du produit. Ces phases, comme les essais cliniques de phase II et III [i], se succèdent habituellement. Par ailleurs, les laboratoires ont également pu commencer à produire industriellement leur vaccin avant l’obtention même de son autorisation. Résultat, le délai de mise à disposition du produit peut être réduit à 18 – 24 mois. Ce fut le cas, par exemple, pour le vaccin développé pour contrer l’épidémie d’Ebola qui avait débuté en août 2018 en République démocratique du Congo.

T. : Mais dans le cas du Covid-19, cela a pris encore moins de temps : moins de 12 mois…

J.-D. L. : Effectivement. Cela s’explique par les impacts sanitaires, sociétaux et économiques de cette pandémie, qui ont incité les sociétés pharmaceutiques à travailler encore plus vite. Il faut dire que, jamais depuis un siècle, une maladie n’avait mené au confinement de populations entières et n’avait mis à l’arrêt l’économie de tant de pays…

T. : Le développement éclair du vaccin anti-Covid ne s’explique-t-il pas également, en partie, par les investissements faramineux engagés ?

J.-D. L. : Non. Même s’il y avait eu 10 fois moins de moyens financiers mis sur la table et 20 fois moins d’équipes à travailler sur le développement de ce produit, le vaccin anti-Covid aurait pu être développé rapidement. Pour faire un parallèle, la recherche d’un vaccin anti-VIH bénéficie également de financements conséquents. Mais ils sont repartis entre la recherche fondamentale, qui vise à mieux comprendre les interactions entre le virus et le système immunitaire – un préambule nécessaire pour le développement d’un vaccin contre le VIH – et les essais chez des patients.

T. : En ce sens, pourquoi n’existe-t-il toujours pas de vaccin anti-VIH, près de 40 ans après la découverte de ce virus ?

J.-D. L. : Parce que d’un point de vue scientifique et technique, la mise au point de ce produit est éminemment plus complexe… En fait, le développement du vaccin contre la Covid-19 ne présentait pas de difficultés particulières. Le virus impliqué, le SARS-CoV-2 [ii], n’était pas complètement inconnu : il appartient à une famille de virus étudiée depuis plusieurs années, les coronavirus, dont fait partie le SARS-CoV (ou SARS-CoV-1) responsable de l’épidémie de SARS de 2002-2004. Ensuite, d’un point de vue technique, le vaccin anti-Covid repose sur le même principe que les vaccins traditionnels.

T. : C’est-à-dire ?

J.-D. L. : Comme les vaccins anti-rougeole, anti-rubéole ou encore anti-hépatite B, les vaccins anti-Covid développés visent à stimuler la production d’anticorps capables de neutraliser le pathogène ciblé. Cela, via l’injection dans le corps de ce même pathogène inactivé ou de l’un de ses éléments : une protéine – la protéine membranaire « spike » – ou de l’ARN messager par exemple. Le développement du vaccin anti-Covid relève de techniques plutôt classiques. Rien à voir avec le vaccin anti-VIH.

T. : Qu’est-ce qui complique la recherche de ce vaccin ?

J.-D. L. : Deux caractéristiques propres au VIH. Tout d’abord, si pour le SARS-CoV-2 et les autres pathogènes pour lesquels il existe un vaccin (rougeole, etc.), notre corps est capable de produire des anticorps permettant de neutraliser naturellement ces infections, le VIH ne stimule pas de réponse immunitaire suffisante lorsqu’il nous infecte : voilà pourquoi personne n’en guérit. Les chercheurs ne savent pas quelle réaction immunitaire induire. Aussi doivent-ils trouver une parade pour amener notre immunité à mobiliser ses troupes et parvenir à combattre tout de même efficacement le VIH. Ce qui demande du temps…

T. : Quelle est la seconde caractéristique du VIH qui pose problème ?

J.-D. L. : Contrairement au SARS-CoV-2 – qui a un génome relativement stable –, le VIH mute sans cesse. Et pour cause : l’enzyme nécessaire à sa réplication, la transcriptase inverse, qui transforme son matériel génétique en ADN, introduit beaucoup d’erreurs dans son génome. Résultat : les anticorps développés pour se défendre contre une des formes du VIH peuvent ne pas être efficaces contre une autre souche. Le schéma de vaccination classique consistant à induire la production d’anticorps contre une ou quelques souches d’un virus ne peut pas être efficace contre le VIH. D’où la nécessité de trouver une « astuce » pour arriver à un vaccin capable d’immuniser contre de nombreuses souches en même temps. Ce qui requiert, là aussi, du temps.

T. : Quelles pistes explorées ?

J.-D. L. : Il en existe plusieurs. La plus ambitieuse – mais aussi la moins avancée – vise à induire des anticorps capables de neutraliser non pas une seule souche de virus mais plusieurs. C’est ce que les chercheurs appellent des « anticorps neutralisants à large spectre » ou bNAbs [iii]. Ceux-ci sont produits naturellement par 1% des personnes infectées par le VIH. Mais hélas ces bNAbs naturels ne confèrent pas une protection suffisante contre le virus. En revanche, certains développés en laboratoire se sont avérés efficaces contre 95% des souches virales testées ! D’où l’idée de tenter de stimuler la production de ces bNAbs. Cela reste malheureusement complexe pour l’instant.

T. : Pourquoi ?

J.-D. L. : Contrairement à une vaccination classique, qui requière une à trois injections avec le même vaccin, les chercheurs pensent qu’obtenir des bNAbs nécessitera plusieurs injections d’un antigène [iv] à chaque fois un peu modifié.

T. : Quid de la piste la plus avancée ?

J.-D. L. : Elle vise à développer un « vaccin mosaïque » qui, comme son nom l’indique, renfermerait un assemblage de gènes issus de différentes souches du VIH. Un produit de ce type, développé par des chercheurs américains de l’Ecole de médecine d’Harvard et l’industrie pharmaceutique Janssen, est testé actuellement chez des patients, dans deux grandes études cliniques : l’essai de phase IIb Imbokodo, qui a commencé en novembre 2017 et porte sur 2 600 femmes dans le sud de l’Afrique, et l’essaide phase III Mosaico, lancé en juillet 2019 chez 3 800 hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, en Amérique du Nord et du Sud et en Europe.

T. : A quand les premiers résultats de ces deux essais ?

J.-D. L. : Ils devraient être communiqués lors du Congrès HIV R4P [v], qui se tiendra virtuellement les 27 et 28 janvier et 3 et 4 février 2021. Si les premiers résultats sont concluants, un vaccin anti-VIH pourrait être disponible d’ici quelques années.

Notes

[i] Ces études visent à évaluer l’efficacité d’un traitement sur, respectivement, quelques centaines de patients puis sur plusieurs milliers ;

[ii] Pour « severe acute respiratory syndrome coronavirus-2 » : coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère de type 2 ;

[iii] Pour « broadly neutralizing antibodies » : anticorps neutralisants à large spectre ;

[iv] Un antigène désigne toute substance étrangère à l’organisme, capable de déclencher une réponse immunitaire visant à l’éliminer ;

[v] Pour « HIV Research For Prevention » : recherche sur le VIH pour la prévention.

Agissez
Pour lutter contre le VIH/sida
Je donne
45€

Pour informer
24 personnes
sur le dépistage.

Faire un don
hearts

Pour contribuer à lutter contre le VIH

Nos actus

Toutes les actus
Restez informés En vous inscrivant à la newsletter
Vous acceptez que cette adresse de messagerie soit utilisée par Sidaction uniquement pour vous envoyer nos lettres d’information et nos appels à la générosité. En savoir plus sur la gestion de vos données et vos droits.
Partagez,
likez,
tweetez
Et plus si affinités