Un an après le début du premier confinement, les acteurs de la lutte contre le sida font un premier bilan. Si la continuité des traitements a été assurée, à court terme les effets de la crise sur le suivi des personnes vivant avec le VIH et la prévention font craindre une hausse des contaminations.
C’était il y a un an. Le début d’une nouvelle vie. Sous cloche et confinée. Une vie bouleversée par ce coronavirus venu de Chine qui, d’un coup, aura mis pratiquement tout un pays à l’arrêt. Sauf dans les hôpitaux, bien sûr, qui, douze mois plus tard, continuent de vivre sous haute tension. « La situation est toujours très compliquée », reconnait le docteur Pascal Pugliese (CHU de Nice) et président du Corevih Paca-Est. Un médecin hospitalier qui, malgré la Covid-19, a veillé, comme beaucoup d’autres, à ne pas perdre de vue ses patients vivant avec le VIH. « Je crois que, durant cette période très difficile, la grande majorité d’entre eux ont pu continuer à prendre leurs traitements. C’est évidemment une grande satisfaction. En revanche, il est clair que cette épidémie de Covid a eu un impact négatif sur le dépistage du VIH et les actions de prévention développées au niveau communautaire », ajoute le docteur Pugliese.
« La continuité des traitements n’a pas été impactée »
Quel a été l’impact, sur le monde du VIH, de la tourmente sanitaire qui agite la France depuis maintenant 12 mois ? Cette question taraude légitimement de nombreux acteurs de la lutte contre sida qui, depuis des mois, guettent des données chiffrées permettant d’avoir une vision plus précise de la situation. Des premiers éléments ont été délivrés grâce aux études menées par le groupement d’épidémiologie Epi-Phare, mis en place par l’assurance-maladie et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Selon ces études, la crise sanitaire n’a pas véritablement affecté les recours aux soins. « La continuité des traitements n’a pas été impactée pour les personnes séropositives déjà suivies. La moindre accessibilité des services de santé a été compensée par les téléconsultations, l’envoi de prescriptions ou leur prolongation », soulignait, à l’occasion du 1er décembre, l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS).
Evidemment très mobilisés sur le front de la Covid, les infectiologues ont quand même gardé les liens avec leurs patients VIH par le biais de téléconsultations qui, pour certaines, continuent encore aujourd’hui. « Un autre élément important a été la décision de l’assurance-maladie de permettre aux personnes de retirer leurs antirétroviraux en pharmacie même avec une ordonnance périmée. Dans la très grande majorité des cas, les patients ont ainsi pu continuer à prendre leurs traitements. Et ceux qui avaient une charge virale indétectable avant la Covid sont restés stables », se félicite le docteur Pugliese.
« Certaines personnes ont été un peu perdues de vue »
Mais comme à chaque fois avec le VIH, ce sont les individus isolés ou en situation de précarité qui se sont retrouvés en situation de vulnérabilité. « Nous connaissons un certain de nombre de gens qui, faute d’avoir accès à internet dans de bonne conditions, ont eu beaucoup de mal à avoir recours aux téléconsultations durant ce premier confinement. Et certaines personnes ont alors été un peu perdues de vue », avertit Ariel Jean-Urbain Djessima-Taba, président de l’association Afrique Arc en Ciel Paris Ile de France, qui intervient principalement auprès de HSH originaires des Caraïbes et d’Afrique noire [i].
Selon le docteur Pugliese, l’épidémie de Covid va peut-être aussi retarder le diagnostic de certains problèmes de santé annexes chez les personnes vivant le VIH. « En principe, nos patients ont, une fois par an, une consultation en hôpital de jour pour réaliser un certain nombre d’examens de santé, par exemple, si cela est nécessaire, une radio pulmonaire, souligne-t-il. Et depuis le début de la crise, il n’a pas toujours été possible de maintenir ces consultations en hôpital de jour. »
Les chiffres d’Epi-Phare montrent aussi que le premier confinement a eu un effet spectaculaire sur la délivrance de la prophylaxie pré-exposition (PrEP), ce traitement préventif que peuvent prendre les personnes très exposées, soit en continu, soit avant un rapport sexuel. « Les initiations de PrEP se sont effondrées aux mois de mars, avril et mai 2020avec une chute atteignant 50 à 80 % par rapport aux mois de janvier et février 2020. Au décours du confinement, les initiations de PrEP ont repris, mais tout en restant à un niveau moindre qu’avant le début de l’épidémie », soulignait Epi-Phare en juin dernier.
Ce moindre recours à la Prep peut, en partie, s’expliquer par une baisse de l’activité sexuelle durant cette période. « Cette hypothèse est soutenue par le niveau très bas des IST observé à la fin du premier confinement parmi les participants de la cohorte ANRS Prévenir. Toutefois, les initiations de PrEP, qui étaient en hausse en janvier et en février 2020 ont été fortement affectées à l’échelle nationale et ne sont pas complètement revenues à la normale », souligne l’ANRS.
Une baisse massive du dépistage
Mais à l’évidence, c’est surtout sur le dépistage que l’impact de la crise de la Covid a été le plus important. « Une diminution massive du nombre de tests VIH réalisés en laboratoires de ville a été observée pendant mais aussi après le confinement, et sur l’ensemble de la période de début mars jusqu’au 13 septembre, environ 650 000 tests en moins ont été effectués par rapport aux chiffres attendus sur la base des données des années précédentes. En post-confinement, une remontée des recours au dépistage est observée mais les chiffres se maintiennent de façon persistante en deçà du niveau attendu », détaille ainsi Epi-Phare.
Un constat partagé par Santé Publique France (SpF) qui relève une baisse de 56% des sérologies faites dans des laboratoires privés entre février et avril 2020 par rapport à la même période en 2019. Et cette diminution n’a pas été compensée par un recours plus important aux autotests vendus en pharmacie. Leurs ventes, en officine ou en ligne, ont aussi chuté au premier semestre 2020, tout particulièrement en mars (-32 %) et en avril (-50 %).
Cette baisse du dépistage risque fort d’augmenter, dans les mois à venir, le nombre de découvertes tardives de séropositivités. « Notre plus grande inquiétude concerne les publics les plus exposés et ayant de fortes difficultés à accéder aux dépistages. Car cette crise sanitaire a eu un impact important sur le fonctionnement des CeGIDD [ii] et surtout sur le dépistage communautaire, particulièrement efficient pour atteindre les migrants, les personnes sans couverture maladie ou une partie des HSH », indique France Lert, épidémiologiste, présidente de Vers Paris sans sida.
Des lieux de sociabilité fermés
C’est ce que confirme Ariel Jean-Urbain Djessima-Taba en reconnaissant que l’activité de son association a été largement paralysée depuis un an. « Nous menons des actions de prévention et de dépistage rapide VIH et VHC dans des lieux de sociabilité et de convivialité, principalement des boites de nuit ou des salles de spectacle, explique-t-il. C’est un excellent moyen pour entrer en contact avec cette population d’HSH afro-caribéens. Certaines soirées peuvent rassembler 500 à 1000 personnes et on peut y faire jusqu’à 100 ou 150 tests ». Mais depuis un an, tous ces lieux sont restés fermés la plus grande partie du temps. « Cela a complètement cassé notre dynamique de dépistage », déplore le président d’Afrique Arc en Ciel Paris Ile de France.
Durant le premier confinement, l’association HF prévention a dû, elle aussi, stopper son action dans les lieux « extérieurs », c’est-à-dire les forêts, les parkings ou les aires d’autoroutes. « Ce sont des endroits de forte consommation sexuelles pour des HSH non identitaires, c’est-à-dire, en caricaturant un peu, des hétérosexuels mariés et pères de famille qui ne veulent pas s’afficher comme étant gays ou bi », explique Jérôme André, le directeur de l’association. « Dans ces lieux extérieurs, nous faisons du dépistage rapide ou une distribution d’autotests, poursuit-il. Durant le premier confinement, ces lieux ont continué à être fréquentés mais, par respect des règles sanitaires, nous ne pouvions intervenir sur place. On a alors profité du confinement pour élaborer un protocole Covid qui nous a permis, dès le mois de mai, de retourner faire du dépistage de terrain dans des conditions sanitaires sécurisées ».
HF prévention fait aussi du dépistage dans des milieux ouverts ciblés, comme les universités, les centres commerciaux ou les cœurs de quartiers. « Nous avons dû un peu modifier nos actions pour ne pas risquer de créer des clusters en faisant venir beaucoup de gens à un même endroit pour faire du dépistage. L’autre contrainte est que, depuis un an, les facs, elles, sont quasi vides. Après réflexion, nous avons décidé de faire de la délivrance d’autotests dans des lieux de distribution alimentaire pour les étudiants », souligne Jérôme André. « En cette période de Covid, il est crucial de continuer à mener ces actions visant à aller vers ces publics qui, spontanément, ne vont pas vers les structures classiques de dépistage », insiste France Lert.
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[i] Hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes
[ii] Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic