vih COVID-19 : un impact mitigé sur la santé des PVVIH, mais significatif sur la prévention

26.09.21
Sonia Belli
8 min

La pandémie de Covid-19 pourrait bien avoir de sérieuses conséquences sur l’épidémie de VIH/sida : si la qualité de la prise en charge médicale des personnes vivant avec le virus a été maintenue, le recours aux tests de dépistage et à la prophylaxie pré-exposition (PrEP), en très forte baisse pendant le premier confinement, ne repart pas à la hausse.

Le 8 septembre 2021, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme dressait un amer constat : la pandémie de Covid-19 a eu, à l’échelle mondiale, « un impact dévastateur » sur la lutte contre le VIH/sida, avec notamment des baisses significatives du recours aux services de dépistage et de prévention pour les populations-clés et vulnérables.

Moins de deux semaines plus tard, le 20 septembre, un autre rapport [i], publié par le groupe Indicateurs de l’Action coordonnée 47 de l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS), confirmait ces tendances en France : si les services hospitaliers ont su maintenir la prise en charge et le traitement des patients déjà suivis, garantissant un effet préventif élevé et stable, « les autres piliers de la prévention combinée sont fortement ébranlés ».

L’effet anxiogène de la pandémie de Covid-19

C’est un fait assuré, la crise du Covid-19 et ses confinements successifs, en particulier le premier, ont mis à mal la santé mentale de beaucoup de Français et eu des conséquences directes sur leur quotidien. Une déflagration qui a été ressentie encore plus fortement par les personnes vivant avec le VIH/sida et plus généralement par toutes celles souffrant de maladies chroniques, inquiètes de savoir comment se poursuivraient leur prise en charge et leurs traitements.

« Beaucoup craignaient de ne pas être prioritaires, de sentir une différence de prise en charge, se souvient Philippe Delpierre, co-fondateur de La Ligne C, une ligne téléphonique d’écoute et d’information sur le Covid-19 pour les patients chroniques, créée lors du premier confinement. Mais la teneur essentielle des appels portait sur la pertinence de continuer les traitements, car les patients avaient l’impression que le temps était figé, comme si tout s’était arrêté ».

Pour d’autres patients au contraire, la crise sanitaire a eu l’effet d’un saut dans le passé, avec la réactivation de l’idée d’un virus qui isole, dont on ne sait pas si on le transmet ou non, et la résurgence d’un vocabulaire anxiogène rappelant l’apparition du VIH/sida il y a 40 ans. « Sur le plan de l’angoisse du rejet, cela a un peu fait écho à ce qu’a signifié l’épidémie de VIH à ses débuts. Nous avons un petit peu vu les mêmes processus de désignation des responsables, des coupables se mettre en place », analyse Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste, responsable de l’ESPAS, une unité de soutien psychologique pour les personnes touchées par le VIH/sida.

Faut-il en conclure que la crise sanitaire a eu un impact spécifique sur les patients séropositifs ? « Pour certains, oui, en fonction de déterminants personnels subjectifs, mais pour une partie non négligeable pas tant que cela, considère le docteur Alexandre Aslan, médecin sexologue, psychothérapeute-psychanalyste à l’hôpital Saint Louis et en cabinet à ParisOn ne peut pas vraiment les différencier de la population générale en ce qui concerne les conséquences psychiques majeures qu’a entraîné l’épidémie ». Un point de vue que partage Serge Hefez : « Les personnes porteuses du VIH/sida, souvent dans des situations de plus grande fragilité sociale et psychique, ont plus de probabilité d’être affectées, notamment en termes d’isolement, d’angoisse et d’anxiété, mais il est évidemment que la crise sanitaire a eu un impact sur tout le monde ». 

Une baisse du dépistage et du recours à la PrEP

Depuis quelques mois, cet impact commence justement à être mesuré. Une étude [ii] présentée en octobre 2020 lors de l’e-congrès de la Société Française de Lutte contre le Sida (SFLS) par EPI-PHARE [iii] fait notamment le point sur l’utilisation des anti-rétroviraux, de la PrEP et sur le recours aux tests VIH en laboratoire, sur une période allant du premier confinement au 13 septembre 2020.

Il en ressort que les délivrances de PrEP ont fortement chuté pendant le premier confinement, avec une baisse de 36 %, soit 27 435 délivrances en moins par rapport à l’attendu (sur la base de 2018 et 2019). L’étude note également une baisse de 47 % des instaurations de PrEP en 2020, par rapport à 2019. Le nombre de tests de dépistage a lui plongé : – 50 % pendant le premier confinement, soit – 646 827 tests par rapport à l’attendu (sur la base de 2018 et 2019). Si le recours à la PrEP et les dépistages ont repris avec la réouverture des lieux publics, les chiffres rapportés pour le reste de l’année 2020 et début 2021 plafonnent toujours en-deçà des niveaux attendus.

Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ces phénomènes. Avec les mesures sanitaires, même au-delà du premier confinement, le niveau d’exposition a probablement baissé. La PrEP, généralement délivrée par des médecins spécialistes des maladies infectieuses, très sollicités par la prise en charge du Covid-19, a pu être moins facile d’accès. La baisse du dépistage est quant à elle très certainement une conséquence directe de l’affluence accrue dans les laboratoires, en raison de l’augmentation des tests Covid-19. 

« On peut effectivement penser que pendant la première période de confinement, les expositions au risque ont beaucoup baissé, car cela a fortement impacté les interactions sociales, avec notamment tous les lieux festifs fermés. Mais que le risque soit resté aussi bas sur une durée d’un an est peu probable. Ces chiffres doivent bien sûr être étayés par d’autres sources de données, mais ils suggèrent que la couverture préventive s’est réduite du fait de l’épidémie, de la même manière que le recours au dépistage, ce qui a probablement eu un impact sur le délai de diagnostic. Ainsi, pendant cette période, les nouvelles infections ont vraisemblablement été moins bien évitées et moins bien détectées », avance Rosemary Dray-Spira, épidémiologiste à l’Inserm et directrice adjointe d’EPI-PHARE.

L’émergence de nouveaux comportements

Doit-on y voir le signe d’un relâchement et d’une baisse véritable de la protection ? Une chose est sûre, la crise sanitaire a entraîné des changements de comportements. Passée la phase de sidération en début de pandémie, le docteur Alexandre Aslan a constaté chez ses patients des phénomènes d’adaptation. « Certaines personnes, qui faisaient des rencontres dans la vraie vie, n’ont logiquement pas pu en faire lorsque tout était fermé, et cela a amené un regain des rencontres via les applications. Ce sont des gens qui n’auraient pas forcément rencontré leurs nouveaux partenaires de cette façon. Donc d’autres phénomènes en ont découlé, comme éventuellement la prise de produits pour faciliter ou s’adapter à ce type de rencontres plus directes. C’est particulièrement vrai pour certains qui ont eu davantage de difficultés à cette adaptation, explique-t-il. Cela induit ce que nous sommes en train de constater maintenant et qui est très intéressant : est-ce que l’on va retourner vers des rencontres un peu plus directes, dans la vraie vie ? Ou est-ce que ce qui a été capté va rester cristallisé ? C’est une question très importante pour nous. Car avec les rencontres en ligne, les phénomènes tels que le chemsex se sont vraiment accélérés. C’est en tout cas l’impression subjective que nous en avons dans notre centre ».

Serge Hefez s’interroge lui aussi sur ces nouveaux comportements : « Il y a eu beaucoup moins d’activité sexuelle pendant le gros de la pandémie, mais nous sentons que quelque chose reprend de ce côté-là, notamment autour des applications de rencontres. En tout cas, il sera intéressant de voir s’il est confirmé qu’il n’y a pas de reprise des tests et de la PrEP. Si c’est vraiment le cas, il faudra mettre les gens en garde parce qu’ils ont peut-être perdu ce réflexe-là. Une chose est certaine, le VIH est un peu passé à la trappe pendant toute cette période ».

Notes

[i] https://www.anrs.fr/sites/default/files/2021-09/Rapport_situationVIH_sept21_def.pdf

[ii] https://www.epi-phare.fr/app/uploads/2020/10/epi-phare_sfls_2020-10-08.pdf

[iii] Groupement d’intérêt scientifique constitué par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et la Caisse nationale de l’Assurance Maladie (Cnam)

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