Les autorités sanitaires ont appelé à vacciner massivement contre la grippe certains groupes de la population, dont les personnes vivant avec le VIH. Pourquoi ? Ce vaccin présente-t-il un intérêt particulier contre la Covid-19 ? Est-il trop tard pour se faire vacciner ? Le point avec la Pr Élisabeth Bouvet, infectiologue et présidente de la commission technique des vaccinations à la Haute Autorité de santé.
Pourquoi le vaccin antigrippe est-il recommandé aux personnes vivant avec le VIH (PVVIH) ?
« Plusieurs études réalisées dans les années 2000 ont montré que chez les PVVIH présentant un faible taux de cellules immunitaires CD4, la grippe dure plus longtemps et induit plus d’hospitalisations, de complications (de nature pulmonaire) et de morts par pneumonie », éclaire la Pr Élisabeth Bouvet. Et pour cause, en l’absence de traitement le VIH détruit progressivement les cellules CD4. En cas de contamination par la grippe, le système immunitaire ne peut donc plus combattre efficacement l’infection. Certes, grâce aux traitements antirétroviraux, plus de 90 % des PVVIH ont un taux de CD4 normal. Mais, souligne la Pr Bouvet, « beaucoup de PVVIH présentent d’autres facteurs pouvant favoriser des complications en cas de grippe : une maladie cardiovasculaire, une pathologie pulmonaire chronique, un diabète, etc. ». D’où la recommandation de vacciner l’ensemble des PVVIH, quels que soient leur taux de CD4 et leur niveau de risque.
Quelle est l’efficacité de ce vaccin ?
Après l’analyse des résultats de quatre études évaluant l’action de vaccins antigrippe sur un total de 646 PVVIH, une équipe américaine, de l’Université de Caroline du Nord, a conclu que cette vaccination est efficace chez 78 % des patients [i]. « Composé de virus grippaux inactivés – et donc inoffensifs –, le vaccin antigrippe stimule la production d’anticorps capables de reconnaître de façon spécifique les souches grippales contre lesquelles il a été développé et de déclencher une réaction immunitaire si elles infectent l’organisme », explique la Pr Bouvet. Comme le virus de la grippe mute rapidement, il est nécessaire de produire un nouveau vaccin tous les ans. Ce vaccin renferme quatre souches virales identifiées comme étant celles les plus à risque de circuler lors de l’année de vaccination ciblée. Voilà pourquoi il est nécessaire de se faire vacciner contre la grippe tous les ans.
Le vaccin antigrippe présente-t-il un intérêt contre la Covid ?
En théorie, le vaccin antigrippe n’a une efficacité rigoureusement démontrée que contre la grippe. « En soi, cela est déjà une bonne raison de vacciner les PVVIH : cette vaccination permet non seulement d’éviter les complications pouvant découler de la grippe, mais aussi de prévenir l’engorgement des services d’urgences, déjà fortement sollicités par la Covid-19 », relève la Pr Bouvet. Ensuite, « le vaccin antigrippe pourrait être utile en cas de contamination simultanée par les deux virus. Sachant qu’une coïnfection peut augmenter la gravité de la grippe et/ou du Covid-19 », précise l’infectiologue. Concernant l’idée que le vaccin antigrippe pourrait protéger contre la Covid-19 même, certains chercheurs ont postulé que ce produit pourrait induire une immunité indirecte contre ce coronavirus en stimulant notamment l’immunité dite innée, capable de combattre tous les pathogènes de façon non spécifique. De plus, une étude suisso-brésilienne menée sur 92 664 cas de Covid (non encore publié) suggère que le vaccin antigrippe pourrait diminuer de 17 % le risque de décès par Covid [ii]. Cependant, d’autres recherches sont nécessaires pour confirmer ces données.
Est-il encore temps de se faire vacciner ?
« Oui », assure la Pr Bouvet. D’autant que cette année « l’épidémie de grippe devrait être plus tardive que les autres années en raison des mesures barrières adoptées contre la Covid-19 (masque, distanciation sociale, etc.), lesquelles sont également efficaces pour freiner la circulation de la grippe ». Donc, pour les PVVIH qui n’ont pas pu se procurer ce produit au début de la campagne de vaccination contre la grippe lancée le 13 octobre dernier (en raison de la rupture de stock liée à une plus forte demande), « il sera encore temps de se faire vacciner quand les 30 % de doses supplémentaires commandées par le gouvernement seront livrées aux pharmaciens ». Selon l’Assurance maladie, cette année, la campagne de vaccination antigrippe se poursuivra en France jusqu’au 31 janvier 2021.
[i] J. Atashili et al., BMC Infect Dis, sept. 2006 : https://doi.org/10.1186/1471-2334-6-138.
[ii] G. Fink et al. : https://doi.org/10.1101/2020.06.29.20142505.