vih COVID : la France va-t-elle enfin s’engager dans la bataille pour lever les brevets des vaccins ?

19.01.22
Pierre Bienvault
10 min

Quatre candidats à l’élection présidentielle viennent d’interpeller le chef de l’Etat pour lui demander d’agir en faveur d’une suspension des droits de propriété intellectuelle des fabricants des vaccins anti-Covid, largement utilisés dans les pays riches. Depuis plus d’un an, de nombreuses ONG se battent pour soutenir une demande faite en ce sens par l’Inde et l’Afrique du Sud auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

La bataille pour obtenir la levée des brevets sur les vaccins contre le Covid va-t-elle s’inviter dans la campagne à l’élection présidentielle ? En tout cas, quatre candidats, tous situés à gauche, viennent d’interpeller Emmanuel Macron sur ce sujet brûlant. « La crise sanitaire majeure que nous traversons implique une réponse forte et pragmatique de la part de la communauté internationale », indique un courrier co-signé par Jean-Luc Mélenchon (LFI), Yannick Jadot (EELV), Anne Hidalgo (PS) et Philippe Poutou (NPA). Rendu public vendredi 14 janvier, ce courrier a été rédigé par l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds), une structure indépendante fondée par Pauline Londeix et Jérôme Martin, respectivement ancienne vice-présidente et ancien président d’Act Up-Paris.

Le texte demande à Emmanuel Macron d’agir en faveur de la« levée des brevets », en demandant la tenue au plus vite d’une réunion sur ce thème à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Très attendue par les ONG, cette réunion, initialement prévue en novembre 2021, a été reportée en raison de la crise sanitaire actuelle. « Aujourd’hui, malgré le Covid, on arrive à organiser de grandes manifestations sportives. Il n’est donc pas concevable qu’on ne puisse assurer rapidement la tenue d’une réunion d’une telle importance à l’OMC », estime Pauline Londeix.

Pour les militants de l’accès aux soins, cette réunion doit permettre d’avancer sur une levée des brevets protégeant les vaccins actuellement produits contre le Covid. Ces brevets assurent un monopole de fabrication et d’exploitation aux laboratoires, en particulier Pfizer et Moderna, qui aujourd’hui engrangent des bénéfices faramineux grâce à leurs vaccins à ARN messager. En décembre, plusieurs ONG, parmi lesquelles Sidaction, ont déjà interpellé le chef de l’Etat en estimant que la France, chargée de la présidence de l’Union européenne pour une durée de six mois, devait se mobiliser « pour mettre fin au blocage » de l’Europe sur ce dossier.

Au Nigéria, 2 % de la population vaccinée

L’urgence est réelle sur le front de ce coronavirus qui bouleverse la marche du monde depuis près de deux ans maintenant. Alors que les pays riches jouent une course contre la montre pour vacciner leur population avec la troisième dose (et peut-être, demain, avec la quatrième), les pays démunis semblent largement oubliés. « Les chiffres parlent d’eux-mêmes :74 % de tous les vaccins fournis l’année dernière sont allés vers des pays à hauts revenus (HIC) et à revenus intermédiaires de la tranche supérieure (UMIC), moins de 1% d’entre eux sont allés vers des pays à bas revenus. En France, 87 % de la population est pleinement vaccinée, au Nigéria ce taux est de moins de 2 %. La Suède a reçu 9 fois plus de doses du vaccin Pfizer/BioNTech que l’ensemble des pays les plus pauvres », souligne OTMeds.

En octobre 2020, l’Inde et l’Afrique du Sud, avec le soutien d’une centaine de pays pauvres ou à revenus intermédiaires, ont déposé une demande auprès de l’OMC pour obtenir la suspension des monopoles conférés par les brevets sur toutes les technologies permettant de lutter contre le Covid. Cette requête s’appuyait sur une disposition légale, prévue dans le droit l’OMC. Mais elle a très vite suscité l’opposition de l’Union européenne et de divers pays, assurant que la levée ne pouvait pas être la solution.

En mai dernier, un peu à la surprise générale, les Etats-Unis, par la voix de Joe Biden, se sont dit favorables à la levée des brevets. Une grande première de la part d’un pays d’ordinaire plutôt soucieux de protéger les droits de ses grandes entreprises pharmaceutiques. « Mais on a peu l’impression que cette prise de position de Biden relève surtout d’un « coup de com ». Si les Etats-Unis avaient eu la volonté de faire avancer le dossier à l’OMC, cela aurait forcément eu un effet », juge Nathalie Ernoult, une des responsables de la campagne pour l’accès aux médicaments essentiels à Médecins sans Frontières.

« Une déclaration de façade »

Dans la foulée du président américain, Emmanuel Macron s’est lui aussi déclaré favorable à la levée des brevets en juin lors d’une rencontre avec les ONG. « Mais là encore, on a le sentiment qu’il s’agissait d’une déclaration de façade car, depuis, on n’a pas écho d’une démarche pro-active pour porter le dossier dans les instances internationales, ni pour faire évoluer la position de l’Union européenne », déplore Mélanie Jaudon, coordinatrice du collectif d’associations TRT-5 CHV, qui regroupe 14 associations de lutte contre le VIH et les hépatites.

Une levée des brevets permettrait de contourner de manière légale le monopole des firmes pharmaceutiques sur la production des vaccins, le temps qu’une immunité collective suffisante soit obtenue à l’échelle de la planète. Mais les opposants à cette levée affirment qu’une telle mesure ne servirait à rien, les pays du sud n’ayant pas la capacité, selon eux, de fabriquer et de produire, des vaccins reposant sur la technologie assez sophistiquée de l’ARN messager. « Certains affirment aussi que les populations locales, de toute façon, ne voudraient pas se faire vacciner. Il s’agit là d’argument paternalistes voire néo-colonialiste qu’on a déjà entendu il y a 20 ans lors du débat sur l’accès aux antirétroviraux du sida », s’agace Mélanie Jaudon.

Une levée des brevets permettrait de contourner de manière légale le monopole des firmes pharmaceutiques sur la production des vaccins, le temps qu’une immunité collective suffisante soit obtenue à l’échelle de la planète

Pour les ONG, il est faux de dire que seuls Pfizer, Moderna ou d’autres grandes multinationales pharmaceutiques auraient les infrastructures ou le savoir-faire pour fabriquer des vaccins à ARN messager. Pauline Londeix s’insurge contre l’idée selon laquelle les pays du sud n’auraient pas la capacité de produire ces vaccins : « Selon un rapport de chercheurs de MSF, on recense plus de 100 producteurs à travers le monde qui seraient aujourd’hui prêts à produire ces vaccins à ARN messager : au Maroc, en Égypte, en Afrique du Sud, au Brésil, en Thaïlande, en Inde, au Bangladesh, au Sénégal ou en Israël ».

De son côté, Nathalie Ernoult évoque l’initiative lancée en 2021 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), avec différents partenaires, pour permettre la construction en Afrique du sud d’un « centre de transfert de technologie », afin de produire des vaccins à ARN messager. « L’objectif était que les industriels transfèrent leur savoir-faire pour permettre à ce Hub sud-africain de produire localement des vaccins et permettre à d’autres pays d’accéder à la maîtrise de cette technologie. Mais pour l’instant, les industriels refusent de partager leur savoir-faire. Face à ce blocage, les promoteurs du projet essaient de travailler avec des chercheurs ayant eux même travaillé sur l’ARN messager pour développer cette technologie et produire ensuite leurs propres vaccins », explique Nathalie Ernoult.

Un don de doses décevant

Pour les partisans de la levée des brevets, les autres solutions avancées notamment par l’Union européenne, en particulier le don de doses aux pays démunis, ne suffiront pas. « La France communique volontiers le mécanisme Covax. Mais celui-ci reste un échec et le don de vaccins n’est pas de nature à favoriser l’acceptabilité vaccinale dans les pays concernés. Ces pays reçoivent en majorité des vaccins proches de la péremption ou qui suscitent la défiance dans les pays riches comme les vaccins AstraZeneca », indique Pauline Londeix.

Selon les Nations Unies, en décembre, les pays défavorisés ont refusé de recevoir quelque cent millions de doses de vaccin contre le Covid car leur date de péremption était proche. « Je ne pense pas qu’il faille opposer les différentes solutions. La levée des brevets est une urgence mais il s’agit d’une mesure complémentaire au don de doses qui doit se poursuivre à condition d’être bien fait évidemment », souligne Mélanie Jaudon.

Face à cette demande de levée des brevets, certains pays relaient volontiers un autre argument favori des firmes : l’idée que les brevets protègent l’innovation et incitent les industriels à s’engager dans le développement, financièrement risqué, de produits de haute technicité. Mais pour les ONG, l’argument, là non plus, ne tient pas. « On nous rétorque que la levée des brevets fragiliserait l’investissement des industries pharmaceutiques en matière de recherche sur de nouveaux vaccins. De quelle fragilité parle-t-on quand 3 d’entre elles vont engranger 35 milliards de dollars de bénéfices cette année ? » soulignait Florence Thune, directrice générale de Sidaction dans le communiqué diffusé en décembre par les associations.

Surtout, les ONG font valoir que c’est en bonne partie avec de l’argent public que les vaccins du Covid ont pu être mis au point. « Selon des chercheurs américains, c’est cet argent public américain qui a financé à hauteur de 17,2 milliards de dollars en vingt ans des projets de recherche fondamentale qui ont permis aux labos de développer aussi vite des vaccins à ARN messager. En 2020, Pfizer a aussi reçu 350 millions d’euros de l’Allemagne et 150 millions d’euros de la Banque européenne d’investissement pour le développement du vaccin », détaille Pauline Londeix.

Et le VIH/sida ?

Reste une question : les débats actuels autour du Covid pourraient-ils, à terme, permettre des avancées pour l’accès aux médicaments du VIH-sida dans les pays du Sud ? Avant d’aborder cette question, on peut d’abord constater l’expérience, acquise grâce au VIH, est aujourd’hui cruciale dans les discussions autour des brevets du Covid. Il y a 20 ans, c’est cette même mobilisation contre les droits de propriétés intellectuelles des grandes firmes qui a abouti, en 2001, à la célèbre déclaration de Doha : ce texte reconnaissait la nécessité pour les pays en développement de lutter contre le sida, le paludisme ou la tuberculose, avant d’ouvrir la voie à la production de médicaments génériques aujourd’hui toujours très utilisés dans tous ces pays. 

« Il est très difficile de dire si la levée des brevets, telle qu’on l’envisage pour les vaccins Covid, aurait un fort impact pour les médicaments du sida. Cela pourrait sans doute être intéressant pour des molécules très innovantes et très coûteuses, permettant par exemple une seule prise par mois pour les patients », indique Pauline Londeix. « Davantage que pour les médicaments, cette levée des brevets pourrait être très utile si on arrivait à développer un jour un vaccin contre le VIH », estime pour sa part Nathalie Ernoult.

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