vih CROI 2020 : Nouveaux traitements antirétroviraux : où en est-on ?

26.03.20
Nora Yahia
11 min

Beaucoup de chemin a été parcouru en ce qui concerne les traitements antirétroviraux. De la découverte de l’AZT, en passant par la trithérapie quotidienne et jusqu’à l’allègement thérapeutique, les chercheurs n’ont cessé d’innover pour soigner les personnes vivant avec le VIH et faciliter leur quotidien. La conférence CROI a été l’occasion de faire le point sur les derniers résultats de ces thérapies innovantes.

En 1986, l’AZT devient le premier médicament permettant de lutter contre le VIH. Conçue à l’origine pour le cancer, cette molécule ralentit la progression du virus mais la bataille n’est pas encore gagnée. Les années qui suivent voient arriver de nouvelles molécules thérapeutiques agissant sur différentes étapes du cycle viral. Dix ans plus tard, l’avènement de la trithérapie permet de maîtriser la multiplication du virus, même si celui reste toujours présent dans l’organisme. Les progrès scientifiques et technologiques ont permis de diminuer le nombre de comprimés à prendre à seulement un par jour. Pour autant ces traitements doivent être pris quotidiennement et à vie pour lutter contre l’infection ; et l’observance est primordiale pour éviter les échecs thérapeutiques et l’apparition de résistance.

Les recherches de thérapies innovantes permettant de faciliter le quotidien des personnes vivant avec le VIH (PvVIH) commencent à porter leurs fruits. Plusieurs essais cliniques portant sur l’allègement thérapeutique ont été menés ces dernières années en France [i]. Cet allègement peut passer par une diminution de la dose du principe actif contenu dans le médicament (essai Darulight [ii]). Il peut également passer par une diminution du nombre de jour de prise du traitement (QUATUOR ANRS-170 [iii]). Les innovations en matière de traitement ne s’arrêtent pas là, avec l’arrivée de traitements à longue durée d’action, des anticorps neutralisants à large spectre, de nouvelles cibles thérapeutiques et de la thérapie génique.

Traitements à longue durée d’action

Récemment, de nouvelles thérapies dites « à longue durée d’action » ont fait leur entrée dans les stratégies thérapeutiques. Ces traitements pourraient permettre aux PvVIH de passer d’une prise quotidienne à une prise mensuelle. Deux essais de phase 3 ont prouvé la non infériorité de cette bithérapie [iv] injectable mensuelle par rapport à une trithérapie quotidienne par voie orale à 48 semaines [v] en traitement de maintien (ATLAS) ou initial (FLAIR). 

Les investigateurs ont noté dans l’essai ATLAS que le niveau de médicament était maintenu dans le corps pendant plus d’un mois les incitant à évaluer une administration tous les deux mois via l’essai de phase 3 ATLAS-2M. Cet essai évalue la non infériorité en traitement de maintien, de la bithérapie injectable administrée tous les deux mois par rapport à la bithérapie administré tous les mois. Les résultats présentés à la CROI cette année indiquent que cette prise pourrait devenir bimestrielle. L’essai a inclus 1045 participants donc 391 ayant participé à ATLAS. À 48 semaines, le pourcentage de participants avec une charge virale indétectable était de 94,3% dans le groupe avec prise bimestrielle et de 93,5% dans le groupe avec prise mensuelle. 

L’apparition de mutations de résistance a été observée chez certains participants, avec un nombre plus important dans le groupe bimestriel. Une analyse plus poussée a montré que certaines de ces mutations de résistance étaient présentes avant inclusion dans l’essai. Il faudra toutefois faire attention à ces problèmes de développement de résistance. 

Questionné sur leur ressenti vis-à-vis du traitement, 98% des participants ayant basculé d’une prise orale quotidienne à une injection bimestrielle préfèrent cette dernière. 94% des participants initialement sous bithérapie mensuelle préfèrent l’injection tous les deux mois.

Anticorps neutralisants à large spectre

Les anticorps neutralisants à large spectre ou bNAbs sont des anticorps capables de neutraliser plusieurs souches virales. Ces anticorps, de part leur double emploi – neutraliser directement les virus, et aider les cellules du système immunitaire à éliminer les cellules infectées – représentent des armes de choix pour lutter contre le VIH [vi]. 

Identifiés chez une faible proportion d’individus infectés, ces anticorps sont maintenant produits de manière industrielle en vue d’une utilisation en thérapie et en prévention. L’ibalizumab, un bNab ciblant la protéine d’enveloppe gp120 a reçu son autorisation de mise sur le marché par les autorités de santé américaines et européennes. De nombreux autres anticorps sont actuellement testés dans des essais cliniques. 

Plusieurs études portant sur les bNabs ont été présentées à la CROI cette année. Le Dr Peter Ruane a présenté les résultats des deux essais de phase 1 menés chez des individus sains (phase 1a) et des PvVIH sous ARV (phase 1b) pour évaluer la sureté et la pharmacocinétique de l’anticorps GS-9722 ou elipovimab. Cet anticorps a été conçu à partir de l’anticorps neutralisant à large spectre PGT-121, ciblant le motif V3 de la protéine d’enveloppe. Les scientifiques y ont apporté des modifications afin d’augmenter sa durée de demi-vie, son affinité pour les cellules effectrices et sa production. 

Les résultats présentés indiquent que l’administration de l’anticorps par voie intraveineuse est généralement sûre et bien tolérée par les participants des deux essais. Les effets indésirables recensés étaient pour la majorité de faible intensité. Néanmoins un participant PvVIH et deux participants séronégatifs ont dû stopper l’essai suite au développement d’effets indésirables de grade 2 ou 3. 

La demi-vie [vii] du composé est d’environs 26 jours, suggérant une administration possible toutes les deux semaines. Au vue des données obtenues, les investigateurs comptent poursuivre l’évaluation de leur anticorps comme traitement complémentaire à la trithérapie. 

Nouvelle cible thérapeutique

Les problèmes de résistance aux molécules antivirales sont nombreux avec le virus VIH de part sa grande variabilité. Pour lutter contre ces résistances, il devient nécessaire de développer des molécules capables de cibler de nouvelles étapes du cycle viral. 

L’industrie pharmaceutique Gilead a développé nouvel agent antiviral à longue durée d’action : la molécule GS-6207, qui cible spécifiquement la capside du VIH en agissant sur la stabilité et le transport des complexes la formant. Elle inhibe ainsi plusieurs étapes essentielles à la réplication du virus. 

Les données in vitro indiquent que cet inhibiteur de capside est cent fois plus puissant que les ARV couramment prescrits. Actif à de très faibles doses (de l’ordre du picomolaire), il présente une activité antivirale contre plusieurs souches virales résistantes à d’autres classes d’ARV. Il est également capable d’agir de manière synergique en association avec d’autres ARV, tels que le dolutégravir. 

Lors de la précédente édition de la CROI, Gilead présentait les premiers résultats de leur essai de phase 1, mené chez des volontaires sains, évaluait la pharmacocinétique et l’innocuité de la molécule. L’injection sous-cutanée du composé est bien tolérée et ce dernier reste présent dans l’organisme jusqu’à plus de 24 semaines ; supportant une administration du médicament tous les trois mois. 

Cette année, ils ont présenté les résultats de leur essai de phase 1b menés auprès de personnes vivant avec le VIH. Parmi les critères d’inclusion, les participants devaient entre autres avoir une charge virale comprise entre 5 000 et 400 000 copies/ml, ne pas avoir pris d’ARV depuis plus de 12 mois, de ne pas avoir pris d’inhibiteur de capside ou d’intégrase. L’essai évaluait l’activité antivirale du composé à différentes concentrations ainsi que sa sûreté d’administration et sa tolérance. 

Les données à dix jours post-administration sous-cutanée, montrent que le composé est capable de diminuer la charge virale des participants de manière dose-répondante : à 20mg/ml la réduction est d’un facteur 1.3 et passe à 2.3 pour un dosage à 750mg/ml. D’après les premiers éléments le composé est bien toléré, avec apparition de quelques effets indésirables modérés ; tels que les douleurs au site d’injection. 

Suite à ces résultats les investigateurs ont lancé deux essais de phase 2 chez des PvVIH ayant initiés (avec problèmes de résistance) ou non un traitement ARV. 

Thérapie génique

La thérapie génique consiste à transférer un gène produisant un composé thérapeutique dans des cellules cibles afin qu’elles produisent elles-mêmes le « médicament » de façon stable et prolongée. Pour cela, les chercheurs utilisent des vecteurs viraux pour délivrer le gène en question dans la cellule. 

Le Dr Joseph P. Casazza (National Institute of Health, USA) s’est servi de cette technique afin de faire produire des bNabs par l’organisme. Pour cet essai de phase 1 dont les résultats ont été présentés à la CROI, l’équipe de recherche a utilisé un vecteur viral dans lequel à été inséré le gène codant pour le bNabs VRC07. Le choix du vecteur s’est porté sur un Adénovirus AAV-8 (virus responsable du rhume) dont la sécurité d’utilisation chez l’homme a été montrée. Les gènes viraux ont été remplacés par celui codant pour l’anticorps en question. 

L’essai évaluait la sûreté et la pharmacocinétique de la thérapie chez huit PvVIH. Les participants ont été séparés en trois groupes afin de tester différents concentrations de vecteurs viraux. Concernant les effets indésirables répertoriés, l’apparition de réactions au site d’injection n’a été observée que pour le groupe ayant reçu la plus forte concentration. La quantité de vecteur dans le sang a rapidement diminué après injection. Tous les participants ont produit des anticorps VRC07, les quantités variant selon la dose de vecteur injectée. La production d’anticorps par l’organisme suivait une courbe bi-phasique avec un pic de production entre quatre à six semaines suivi d’une diminution entre sept et quatorze semaines puis à nouveau pic de production après 14 semaines. Trois des huit participants (un dans chaque groupe) ont vu leur taux d’anticorps chuter rapidement ; ce qui peut être expliqué en partie par la production par les individus d’anticorps anti VRC07. Les participants à l’essai vont être suivis sur cinq ans pour vérifier la production de VRC07 sur le long terme.

Les données présentées à la CROI montrent à quel point la recherche sur les traitements VIH a avancé et innové pour lutter contre le virus tout en prenant en compte la santé et le bien être des PvVIH. Les résultats de ces essais sont encourageants mais quand seront-ils disponibles pour les 38 millions de PvVIH à travers le monde ? Les essais de phase 1 présentés à la conférence doivent être réalisés à plus grande échelle (phase 3) pour confirmer les résultats obtenus avant d’effectuer une demande de mise sur le marché. Et cela risque de prendre encore quelques années. 

Pour les traitements à longue durée d’action, suite aux résultats des essais ATLAS et FLAIR, le Canada a autorisé la mise sur le marché (AMM) de la bithérapie mensuelle Cabenuva sur son territoire [i]. Alors que la demande d’AMM est actuellement en évaluation par l’agence européenne des médicaments (EMA), l’agence fédérale des médicaments (FDA) a retardé cet agrément pour le territoire américain en invoquant des préoccupations au sujet du processus de fabrication des médicaments.  

Notes

[i] http://www.anrs.fr/fr/vih-sida/recherche-clinique/les-priorites

[ii] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29860402/?from_term=darulight&from_pos=1

[iii] http://www.anrs.fr/sites/default/files/2017-10/ANRS_170_quatuor.pdf

[iv] bithérapie à base de cabotegravir et rilpivirine

[v] https://www.sidaction.org/sinformer/transversal/articles/1043-Des-resultats-prometteurs-pour-les-bitherapies-a-longue-duree-d-action

[vi] https://www.sidaction.org/sinformer/transversal/articles/829-Les-anticorps-neutralisants-a-large-spectre-la-veritable-solution-contre-le-VIH-

[vii] temps mis par une substance (molécule, médicament ou autre) pour perdre la moitié de son activité pharmacologique ou physiologique.

[viii] https://www.biospace.com/article/releases/viiv-healthcare-announces-first-global-regulatory-approval-of-cabenuva-the-first-complete-long-acting-regimen-for-the-treatment-of-hiv/

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