Très bonne couverture de la PrEP, rapide mise sous traitement, « Au labo sans ordo »… le CoreVIH Paca-Est est engagé dans une lutte très active contre le VIH/sida. Au-delà des résultats très encourageants, le chemin est encore long avant d’atteindre l’« Objectif sida zéro », fixé en décembre 2016.
Entre 2015 et 2018, le nombre de nouveaux diagnostics par le VIH y a diminué de 40% : les Alpes-Maritimes font figure de très bon élève en matière de lutte contre le VIH/sida. Département métropolitain le plus touché, après ceux d’Île-de-France, ses progrès surpassent ceux observés dans d’autres « villes ou territoires sans sida ». Sur la même période, la baisse était de 16 % à Paris, de 31 % à Montpellier et de 34 % à Lyon. Le combat n’était pourtant pas gagné d’avance : entre 2010 et 2014, les Alpes-Maritimes ont enregistré une forte hausse du nombre de diagnostics annuels, de 54 %.
Comment expliquer des résultats aussi rapides ? Pour le Dr Pascal Pugliese, président du CoreVIH Paca-Est et médecin généraliste à l’hôpital L’Archet (CHU de Nice), « nous avons été aidés par la PrEP [prophylaxie pré-exposition], qu’on a mise en place très rapidement » – le CHU de Nice était l’un des centres participant à l’essai Ipergay. Remboursée depuis janvier 2016, la PrEP a d’emblée fait l’objet d’une promotion très active dans le département : via une convention entre le CHU et le CeGIDD [i] de Nice, une consultation PrEP en horaires décalés a été ouverte dans le centre-ville niçois, avec accompagnement communautaire, tandis que l’association Aides ouvrait sa propre consultation, dans ses locaux.
« Les médecins infectiologues ont été sensibilisés à une orientation systématique en consultation PrEP de tout HSH pris en charge pour un traitement post-exposition [TPE] », expliquent les acteurs d’« Objectif sida zéro », dans un article publié mi-décembre 2021 dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de Santé publique France. De même, des actions de communication ont été menées sur les réseaux sociaux en direction de la communauté HSH. Autre clé du succès, le TasP (Treatment as Prevention). L’accent a été mis sur une mise rapide sous traitement : entre 2016 et 2018, 82 % des personnes initiaient leur traitement au cours du mois suivant le diagnostic, contre 61 % entre 2013 et 2015.
La communauté LGBT en première ligne
Si la dynamique préventive s’est aussi rapidement enclenchée, c’est aussi en raison du fonctionnement du CoreVIH, un des rares en France dont la vice-présidence est assurée par un dirigeant d’association communautaire. En l’occurrence Erwann Le Hô, qui préside le Centre LGBTQIA+ Côte d’Azur, à Nice. Selon celui-ci, cette particularité offre « un accès direct à la communauté. Le Centre est le bras armé du CoreVIH pour ouvrir l’accès » aux HSH. Ce qui permet au CoreVIH Paca-Est d’assurer « une démocratie sanitaire plus approfondie », estime Pascal Pugliese.
Exemple, lors du lancement d’« Au labo sans ordo » en juillet 2019. Désormais généralisée à la France entière, cette opération expérimentale menée à Paris et dans les Alpes-Maritimes permet à chacun de faire un test VIH en laboratoire de ville sans ordonnance, sans rendez-vous et sans avance de frais. Afin de le faire connaître au public HSH, le Centre LGBTQIA+ en a fait la promotion lors d’une de ses fêtes de rue (une « Dolly Party ») organisée en juillet 2019.
Si la dynamique préventive s’est aussi rapidement enclenchée, c’est aussi en raison du fonctionnement du CoreVIH, un des rares en France dont la vice-présidence est assurée par un dirigeant d’association communautaire.
Avec « Au labo sans ordo », le taux de tests positifs s’avère environ 2,5 fois plus élevé que pour les tests prescrits. Il est certes moindre que dans les CeGIDD ou lors des opérations « aller vers », mais le public diffère : il est moins habitué aux tests VIH, « plus hétérosexuel et plus éloigné du système de santé », avec un plus grand retard au dépistage, explique le président du CoreVIH.
Si ces mesures de prévention et de dépistage font reculer l’épidémie, il reste beaucoup à faire. La baisse des nouveaux diagnostics concerne en premier lieu les HSH (-61 %), en particulier ceux nés en France. La tendance est moins favorable chez les personnes nées à l’étranger, HSH ou hétérosexuels –cen particulier les femmes. « Chez les HSH migrants, l’épidémie ne se calme pas. C’est un travail dans la dentelle pour toucher ces sous-populations », reconnaît Erwann Le Hô. Face à ces publics, le CoreVIH prévoit de « travailler sur le parcours de soins des personnes nées à l’étranger », notamment en accentuant le travail avec les associations d’aide aux migrants, explique Pascal Pugliese. Parmi les autres axes de travail, la formation des médecins généralistes à la primo-prescription de la PrEP, autorisée depuis juin 2021.
Face au vieillissement, inciter au respect
Au-delà des indicateurs épidémiologiques, « Objectif sida zéro » vise à mettre fin aux discriminations touchant les personnes vivant avec le VIH. Notamment en lien avec leur vieillissement, thème qui prend de l’ampleur : le CoreVIH a ainsi lancé des formations auprès de personnels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), afin d’améliorer leurs connaissances sur le VIH/sida, mais aussi de leur inculquer « la vigilance contre la sérophobie et l’homophobie », explique Pascal Pugliese. Les Ehpad sont des lieux où « on a l’impression qu’on est resté 20 ans en arrière », en matière d’acceptation de l’orientation sexuelle et des connaissances sur le VIH/sida. « Il n’est pas question pour les personnes vivant avec le VIH de perdre les acquis de la prise en charge, du seul fait qu’elles vieillissent », juge Pascal Pugliese. D’où la nécessité de préparer au mieux le personnel de ces centres à accueillir ces personnes, qu’elles soient LGBT et/ou vivant avec le VIH, et « qui ont droit à une vie sexuelle et à ne pas être considérées comme contaminantes », ajoute-t-il.
S’il reste beaucoup à faire, en termes de prévention comme de lutte contre les discriminations, l’opération « Objectif sida zéro » est sur la bonne voie. Une question se pose toutefois : peut-on réellement parvenir un jour à zéro infection par le VIH ? « Peut-être qu’on a atteint un plancher, qu’on ne pourra pas aller beaucoup plus bas, qu’on ne peut pas vraiment tendre vers zéro », admet Pascal Pugliese. Une fois la PrEP primo-prescrite par les généralistes, le dépistage accessible en laboratoire de ville sans ordonnance, que reste-t-il à faire pour diminuer encore le nombre de contaminations ?
Interrogé à ce sujet, le président du CoreVIH dit attendre beaucoup de la notification formalisée aux partenaires. De manière similaire à ce qui est fait pour le Covid-19, « il faut essayer de faire du contact tracing, afin d’inciter les partenaires de la personne infectée à se tester », éventuellement de leur proposer une mise sous PrEP. Alors que le Conseil national du sida (CNS) s’y montre favorable, la Haute autorité de santé (HAS) a mis en place un groupe de travail, dont les conclusions sont attendues en cours d’année. Quant au projet de recherche NOTIVIH, soutenu par l’ANRS, Pascal Pugliese déplore qu’il soit « bloqué » par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). « Il faut absolument accélérer », estime-t-il.
[i] Centre gratuit d’information, de diagnostic et de dépistage