vih Décès de Sandrine Musso, l’anthropologie en deuil

30.08.21
Cécile Josselin
6 min
Visuel Décès de Sandrine Musso, l’anthropologie en deuil

Anthropologue de la santé spécialisée dans la lutte contre le VIH chez les migrants et maîtresse de conférence à l’Université d’Aix-Marseille, Sandrine Musso nous a quittés le 7 août dernier à l’âge de 48 ans. Emportée trop tôt par un cancer foudroyant, elle restera à jamais présente dans le cœur de beaucoup de personnes.

Entourée d’un groupe d’amis très soudés qui l’ont accompagnée durant toute sa maladie et qu’elle avait baptisé le GOT (groupe d’organisation thérapeutique) [i], Sandrine Musso est jusqu’à la fin restée dans une posture d’anthropologue de la santé. Un métier dans lequel elle s’était pleinement investie et où elle était unanimement reconnue pour ses qualités intellectuelles, sa rigueur scientifique mais aussi pour son profond humanisme.

« Alors que le cancer épuisait ses dernières forces, elle continuait encore à travailler sur le catalogue de l’exposition du Mucem [ii]: « VIH Sida l’épidémie n’est pas finie » et à coordonner le dernier numéro : « Face au VIH/sida » de « L’année du Maghreb » », se souvient avec admiration son collègue et ami Christophe Broqua.

Brillante intellectuelle, politologue de formation, elle avait après l’IEP d’Aix-Marseille fait un DEA de Science politique comparative puis un autre d’anthropologie à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) de Paris.

Pour autant ce n’est pas dans les livres que Sandrine souhaitait recueillir l’essentiel de son expertise mais auprès des gens eux-mêmes. C’est la raison pour laquelle elle s’engagea parallèlement à sa thèse d’anthropologie de la santé à l’EHESS dans l’action associative, en allant sur le terrain recueillir avec avidité et une profonde empathie les témoignages d’intellectuels comme des personnes les plus en marge de la société. Profondément généreuse et chaleureuse par nature, elle traitait chacun avec le même égard, évitant toute posture en surplomb, ce qui n’est pas si fréquent dans le milieu universitaire de l’aveu même de ses collègues et amis. « Elle était toujours très attentive à ce que la parole des personnes concernées et des personnes les plus discriminées soient toujours prises en compte » se souvient aussi Carine Favier, membre comme elle du bureau du CNS (Conseil national du Sida)

Une jeune femme rayonnante, toujours souriante

Régulièrement sollicitée par des associations de femmes et de malades, elle n’hésitait jamais à apporter sa contribution, fut-ce le soir ou le week-end. « Elle était capable d’aller à n’importe quelle heure de la nuit faire des tournées et écouter des gens », se souvient par exemple Carine Favier.

Ses parents s’étant mariés à Bamako et elle même étant née à Madagascar, elle avait acquis très tôt une sensibilité pour les questions liées à l’exil.

Parallèlement à la préparation de sa thèse [iii] auquel elle a consacré de nombreuses années, faute de financements suffisants, elle s’est beaucoup engagée dans le milieu associatif. D’abord à l’Arcat-Sida où elle participa dans les années 90-95 à une recherche action en tant qu’enquêtrice auprès de la population arabo-musulmane, puis à Sida info service en tant qu’écoutante. « Elle avait même trouvé le moyen de trouver un job alimentaire de vendeuse dans la première boutique de capotes de la capitale », se souvient dans un sourire une de ses amies. « Très active à Amades [iv] à partir du milieu des années 2000, elle a fondé avec une autre chercheuse une revue qui est aujourd’hui reconnue au niveau international », se souvient encore Alice Desclaux, amie et consoeur de Sandrine.

En 2008, elle soutient à 35 ans sa thèse d’anthropologie à l’EHESS, sous la direction de Jean-Pierre Dozon qui encore aujourd’hui ne tarit pas d’éloges à son sujet.

Déjà reconnue par ses pairs pour son expertise sur le VIH, elle est nommée l’année suivante au CNS, où elle est restée jusqu’à sa mort. Elle y a notamment travaillé sur la question de l’éradication de l’hépatite C en prison et sur la question des jeunes face à la santé sexuelle. « Sur ces sujets, son regard d’anthropologue était indispensable », tient à noter Christine Rouzioux, professeure de virologie, comme elle membre du CNS. « Elle était très active et intervenait très régulièrement aux séances plénières, ajoute Michel Celse, conseiller expert au CNS.

Recrutée deux ans plus tard comme ATER [v], puis maître de conférence à l’Université d’Aix-Marseille, au sein du centre Norbert Elias, elle a un temps dirigé le parcours santé du master d’anthropologie. « Elle s’est beaucoup battue pour que sa spécialité subsiste. C’est une discipline qui demandait une défense au quotidien, rappelle son amie et collègue Alice Desclaux.

Une anthropologue de terrain 

Tout en poursuivant son engagement associatif et en élevant ses deux filles, cette marseillaise de coeur s’est penchée sur le cas des étrangers malades, puis a travaillé sur d’autres formes de précarité et d’exclusion, comme les mineurs migrants non accompagnés, le milieu LGBT, la condition des femmes vulnérables et l’effondrement d’immeubles de la rue d’Aubagne à Marseille, mais sa première spécialité, celle qui avait amorcé sa vocation restait le VIH couplé aux questions de migrations. « La lutte contre le Sida lui allait comme un gant car cela a été dès le départ une lutte politique très marquée par les questions de discrimination » analyse Carine Favier.

À la fin de sa vie, elle a beaucoup contribué à la préparation de l’exposition du MUCEM de Marseille : « VIH Sida. L’épidémie n’est pas finie » qui s’ouvrira le 15 décembre 2021, où elle a eu un rôle moteur pour en faire un processus participatif.

Aimée de tous, elle avait su réunir autour d’elle un réseau d’amis, qui se sont spontanément regroupés en collectif pour prendre soin d’elle et de sa fille cadette durant sa maladie. S’occupant d’abord des questions purement matérielles, ils l’ont soutenue moralement jusqu’au bout, rendant de cette manière hommage avant l’heure à ce qui caractérisait le plus Sandrine : la mise en commun de la volonté et de l’intelligence de chacun au service du collectif.  

Notes

[i] Notion anthropologique étudiée par l’anthropologue canadien John M. Janzen dans le cadre rural de la région du Bas-Zaïre.

[ii] Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée

[iii] « Sida et minorités postcoloniales : histoire sociale, usages et enjeux de la cible des « migrants » dans les politiques du sida en France »

[iv] une association d’anthropologie médicale et de la santé

[v] Attaché temporaire d’enseignement et de recherche

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