Comment se mettre d’accord sur un ensemble de revendications communautaires communes et consensuelles ? Pour y parvenir dans le cadre de la Déclaration communautaire de Paris, la méthode Delphi a été choisie. Elle permet d’organiser la consultation d’experts, de rassembler des avis et de mettre en évidence des convergences et des consensus.
Un comité de pilotage a commencé par élaborer une première version de la déclaration, avec des messages clés à adresser aux différents acteurs (communauté scientifique, communauté médicale, autorités et responsables politiques, organisations internationales, donateurs, laboratoires pharmaceutiques, votre propre communauté). Puis un panel d’experts a noté les propositions, avec un système d’allers-retours (via Internet) entre ces deux groupes afin de parvenir à un consensus sur les points les plus importants à mettre en avant.
Pour « recruter » ces experts, des appels à candidature ont été adressés dans différents réseaux communautaires, et l’information a été diffusée sur les réseaux sociaux. Résultats : un peu plus de 70 candidatures reçues, dont une vingtaine pour le comité de pilotage et un peu plus de 50 pour le panel d’experts.
Kenya, USA, Cameroun, France, Belgique, Russie… Les experts viennent de toutes les régions du monde et travaillent avec ou représentent les différentes populations clés (voir les témoignages des acteurs communautaires).
La déclaration sera présentée lors du symposium des acteurs communautaires qui se tiendra à la veille de l’ouverture de la Conférence de Paris, le dimanche 23 juillet. Cinq intervenants, issus des différentes communautés concernées, viendront témoigner de leurs expériences de terrain et présenter les projets qu’ils portent localement. Ce symposium marquera le lancement du processus de signature de la Déclaration que chacun pourra ratifier sur le stand « France ». Avant le rendez-vous de la 22e « grande » Conférence de l’IAS, à Amsterdam, en 2018.
Evguenia Maron & Irina Maslova, Russie-France, EECA Alliance of Sex Workers
Pourquoi avez-vous souhaité vous investir dans la Déclaration communautaire de Paris ?
À travers notre participation, nous voulons être certaines que ce qui est écrit dans la Déclaration est pertinent pour les travailleuses du sexe en Europe de l’Est et en Asie centrale. Très importante aussi, la question de savoir comment cette déclaration peut affecter les processus de financement des projets ciblant les populations clés, à savoir quelles priorités sont financées et quelle est l’efficacité des programmes mis en œuvre. Nous sommes un nouveau réseau de travailleurs du sexe russophone. L’Alliance des travailleurs du sexe de l’EECA a été créée au printemps 2017 pour promouvoir l’élaboration d’une politique de la société concernant les travailleuses du sexe, fondée sur l’humanité, la tolérance, la protection de la santé, la dignité et les droits de l’homme. Par conséquent, en ce qui concerne le réseau de personnes, il est très important pour nous de participer, car nous croyons que l’opinion des gens est plus importante que l’opinion des organisations et dans nos pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale, de nombreuses travailleuses du sexe sont exclues de ces processus importants en raison de la barrière de la langue.
Quel est selon vous l’objectif principal de la déclaration communautaire de Paris ? Qu’attendez-vous de cette initiative?
Nous aimerions appuyer l’idée qu’il ne s’agit pas uniquement des PVVIH mais aussi de populations clés. Cela doit être considéré non seulement du point de vue de l’infection par le VIH, mais aussi sous l’angle des droits de l’homme, en termes de participation significative à la résolution des problèmes liés à nos vies, aux droits humains garantis. Nous aimerions que les anciens concepts soient révisés, y compris dans les déclarations fondamentales des droits de l’homme, où la langue comporte une très grande stigmatisation, même si elle n’est pas remarquée. Nous devons comprendre que le monde change. Le même article 6 de la Convention relative aux droits de la femme (l’élimination de toutes les formes de discrimination) nécessite une révision. [Les États membres prennent toutes les mesures appropriées, y compris des mesures législatives, pour supprimer toutes les formes de traite des femmes et l’exploitation de la prostitution des femmes.] Nous souhaitons résister aux personnes en modifiant les concepts gérés par la communauté scientifique, les agences internationales et bilatérales.
Quel message souhaitez-vous faire passer dans la déclaration?
Si le principe GIPA est élargi et que cette déclaration inclut non seulement les PVVIH, mais aussi la déclaration résumée et détaillée au nom des principaux groupes concernés, c’est très important, car même une simple généralisation dans le terme KAP de tous les groupes laisse les gens « sortir de l’image ». Nous espérons que via cette déclaration, nous serons en mesure de dialoguer de plus en plus souvent, de défendre les droits et les intérêts des travailleuses du sexe. Le monde change beaucoup plus vite que les changements n’apparaissent dans les documents clés du domaine des soins, du soutien et du traitement liés au VIH. Pour rester pertinent, les déclarations doivent changer sous l’influence du temps et de nouveaux moments historiques. Au cours des dix dernières années, les lois et les politiques d’un certain nombre d’États ont changé, en pire, et les intérêts des gens ont été oubliés. Nous ne voyons pas que les questions concernant les travailleurs du sexe ont été exprimées en détail dans les principes de GIPA auparavant.
En quoi la déclaration de Paris est-elle importante au regard de la problématique dans laquelle vous vous situez ?
Le monde change beaucoup plus vite que les changements n’apparaissent dans les documents clés dans le domaine des soins, du soutien et du traitement liés au VIH. Pour rester pertinent, les déclarations doivent changer sous l’influence du temps et de nouveaux moments historiques. Il est donc important pour nous de faire passer notre message et de convaincre.
Raïssa Coulibaly, Mali-Belgique, militante pour la promotion et la protection des droits des personnes transgenres
Raïssa Coulibaly est d’origine malienne et refugiée en Belgique depuis plus d’un an. Elle est une militante pour la promotion et la protection des droits des personnes transgenres à travers le monde. Depuis plus de 7 ans elle est active au sein des mouvements LGBTIQ, plus particulièrement ceux d’Afrique. Elle a débuté par la pair-éducation pour donner plus de visibilité aux personnes transgenres, souvent oubliées dans les programmes de promotion et de protection des droits humains pour tous. ARCAD-SIDA, qui est la première association de lutte contre le VIH au Mali, lui a donné cette opportunité. Actuellement, elle est administratrice de la Rainbowhouse, une coupole associative regroupant plus d’une cinquantaine associations belges. Elle contribue à la visibilité des personnes trans d’origine africaine et intervient également auprès des demandeurs d’asile et refugiés LGBTIQ d’origine africaine.
Pourquoi avez-vous souhaité vous investir dans la Déclaration communautaire de Paris ?
Pour donner plus de visibilité à la communauté trans dans la lutte contre le VIH et les autres IST.
Quel est selon vous l’objectif principal? Qu’attendez-vous de cette initiative?
L’objectif principal pour moi est que les acteurs de lutte contre le VIH et autres IST, puissent considérer la population trans comme une population vulnérable face à cette pandémie. Je ne souhaiterais plus que les personnes trans soient sous l’acronyme HSH (Hommes ayant des relations avec d’autres Hommes) comme cela est dans beaucoup de pays notamment en Afrique et l’initiative de cette déclaration de paris permettrait aux acteurs de la lutte contre le VIH d’être sensibles aux problématiques liées à la transidentité et le VIH-SIDA.
Quel message souhaitez-vous faire passer dans la déclaration?
Il faudrait qu’on puisse considérer les personnes trans comme population clé dans la lutte contre le VIH-SIDA notamment en leur donnant les moyens pour qu’elles puissent contribuer à la lutte de cette pandémie. Il faut attendre par moyens, l’autonomie, l’indépendance, la protection des droits humains etc. A cet effet, il faut soutenir et multiplier les recherches à l’endroit des personnes transgenres dans la lutte contre le VIH-SIDA car il existe peu de données à ce sujet. Il faut également un accès universel aux soins pour éradiquer le VIH-SIDA de notre continent car si toute fois en occident, les personnes dépistées séropositives sont mises sous traitement, cela reste un grand obstacle dans d’autre partie de la planète plus particulièrement en Afrique. Les autres moyens de prévention comme la Prep doivent être aussi accessibles à toutes populations ayant un grand risque d’avoir le VIH-SIDA.
En quoi la déclaration de Paris est-elle importante au regard de la problématique dans laquelle vous vous situez ?
On ne peut éradiquer définitivement le VIH-sida tant qu’il y a certaines personnes qui sont discriminées à cause de leur identité ou de leur orientation sexuelle. La déclaration de Paris est une opportunité pour que les chercheurs, les organisations nationales et internationales, les états puissent être conscients que la lutte contre le VIH doit être une lutte inclusive. La déclaration pourrait aussi être à la base d’un plaidoyer vis à vis de tous les pays qui condamnent l’homosexualité ou la transidentité et les encourager à se doter législations qui protègent toutes les communautés indépendamment de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre.
Acceptess-T a pour objectif de renforcer l’accompagnement social global des personnes transgenres à Paris en facilitant leur accès aux droits et par extension à la prise en charge et aux soins. L’association développe depuis 2016 un projet de renforcement des parcours de santé des personnes transgenres et de leurs partenaires confrontés au VIH-sida et aux IST à partir de permanences en prévention diversifiée et en santé sexuelle où des Tests Rapides à Orientation Diagnostique (TRODs) sont réalisés et des Autotests du VIH mis gratuitement à disposition. Elle s’adresse plus spécifiquement aux femmes transgenres migrantes et primo-arrivantes, le plus souvent séropositives et éloignées du parcours de soins, ou les plus exposées au VIH dans le cadre du travail du sexe et dans un contexte de précarité, d’isolement, d’itinérance et de discriminations multiples. Fondé sur une approche « pairs-à-pairs », le projet d’Acceptess-T repose sur un travail quotidien d’interprétariat, de médiation et d’accompagnement individualisé vers toutes les instances garantes du droit commun à Paris ou en IDF, en lien avec les conditions de vie des personnes concernées (santé, séjour, logement, éducation, insertion, etc.). Il s’inscrit dans le cadre d’une offre associative développée depuis 2010 autour de services communautaires internes (auto support, sport, mobilisation, plaidoyer) et de partenariats externes durables avec les services de santé dédiés au VIH à Paris.
Pourquoi avez-vous souhaité vous investir dans la Déclaration communautaire de Paris ?
Je me sens très concernée par ce projet, et à plusieurs titres : d’abord pour avoir fait l’expérience de multiples stigmates en tant que femme transgenre, migrante, séropositive, avec un passé de travailleuse du sexe, et aussi de par mon engagement de patiente experte, fondatrice d’une association de santé communautaire où le travail de plaidoyer fait partie de mon quotidien de chef de projet en prévention diversifiée. Je trouve que cette déclaration est une belle opportunité à saisir ! Elle fait écho à mon sentiment de responsabilité, non seulement vis-à-vis des communautés trans, mais aussi à l’égard de toutes les personnes vivant avec le VIH, et également de toutes celles qui continuent à subir des discriminations et qui restent, de ce fait, plus vulnérables aux risques de contamination.
Quel est selon vous l’objectif principal ?
Pour moi, l’objectif principal de la déclaration communautaire de Paris est de réactualiser les besoins associés aux principes GIPA ; en d’autres termes, c’est garantir aux personnes vivant avec le VIH et aux communautés encore aujourd’hui les plus exposées que leur voix compte vraiment. Cela inclut par conséquent la possibilité pour elles d’exercer leurs droits, y compris leur droit à l’autodétermination, et d’être investies de responsabilités pour arriver à un tel objectif. Il faut continuer à renforcer notre participation aux décisions qui nous concernent et qui affectent directement notre qualité de vie et de soins.
Qu’attendez-vous de cette initiative ?
Je voudrais que cette déclaration insiste sur l’urgence ; cette urgence qui reste d’actualité pour les personnes vivant avec le VIH dans la violence, l’exclusion et la pénurie, cette urgence qui, en somme, continue en même temps à produire le risque d’être contaminé(e). Ceci est fondamental face aux progrès récents en matière de prévention diversifiée et de santé sexuelle, ou à la stratégie des 3×90 : ces avancées ne sont tangibles que si on tient compte de l’urgence à inclure les communautés encore aujourd’hui les plus exposées au risque de contamination, ou les plus vulnérables lorsqu’elles vivent avec le VIH. Si on veut mettre un terme à l’épidémie, plus que jamais on doit tenir compte de cette urgence.
Quel message souhaitez-vous faire passer dans la déclaration ?
Je trouve fondamental que la Déclaration intègre le vécu et les sentiments des personnes ayant survécu, toutes celles et ceux qui continuent à vivre avec le VIH, pour faire passer un message de vie et d’espoir. Il nous faut également rendre hommage à toutes les victimes de l’épidémie de ces trente dernières années pour dire à quel point leur expérience a été déterminante et pour faire entendre une histoire incarnée de cette période, car le rôle de leurs revendications d’hier reste d’actualité aujourd’hui.
En quoi la déclaration de Paris est-elle importante au regard de la problématique dans laquelle vous vous situez ?
Les discriminations multiples qui affectent encore aujourd’hui les personnes trans migrantes que je côtoie au quotidien sont autant de facteurs de vulnérabilité pour celles qui vivent avec le VIH dans une grande difficulté d’accès aux informations et aux soins, comme pour celles qui y restent très exposées pour les mêmes raisons. C’est pourquoi il faut continuer à prendre en compte leur point de vue et leur situation au travers de cette Déclaration.
Giovanna RINCON, ACCEPTESS-T
Bruce Richman, cofondateur de Prevention Access Campaign, vit avec le VIH depuis 2003
Pourquoi avez-vous souhaité vous investir dans la Déclaration communautaire de Paris ?
Il est très important pour moi de participer au comité directeur pour renforcer les partenariats avec d’autres personnes vivant avec le VIH afin de s’assurer que nous sommes tous informés de la vérité sur notre corps. La plupart des personnes vivant avec le VIH dans le monde ne savent pas que si elles ont un traitement efficace (ce qui signifie qu’elles ont une charge virale indétectable), elles ne peuvent pas transmettre le virus. Dans de nombreux cas, cette information est délibérément retenue. En tant que personne vivant avec le VIH, je suis venu reconnaître qu’il nous appartient de modifier le récit et de s’assurer que le message de maintien de la vie soit diffusé. Nous avons lancé un mouvement dirigé par des personnes vivant avec le VIH appelé « indétectable = non transmissible (U = U) », avec plus de 250 organisations de 25 pays engagés à partager le message révolutionnaire U = U avec les personnes et les champs qu’ils peuvent transformer.
Quel est selon vous l’objectif principal de la déclaration communautaire de Paris ? Qu’attendez-vous de cette initiative?
Comme je l’ai compris, l’objectif principal de la déclaration est d’assurer une implication significative des personnes vivant avec le VIH / sida dans l’établissement de l’ordre du jour et l’élaboration du récit sur tous les aspects qui ont un impact considérable sur nos vies. Pendant trop longtemps, la prise de décision et la mise en forme narrative ont été hors de nos mains, en particulier hors de celles des communautés les plus marginalisées vivant avec le VIH. Je m’attends à ce que cette initiative renforce les alliances, en forme de nouvelles, et nous mette dans une direction claire clair pour le changement dans les domaines clés. Plus précisément, j’aimerais élargir le réseau de personnes et d’organismes qui s’engagent à partager le message U = U de manière à travailler pour leurs communautés, et j’attends les témoignages qui montrent que ce message peut atteindre et aider les gens, en particulier ceux qui sont dans des environnements hostiles et ceux qui ont du mal à accéder au traitement et aux soins.
Quel message souhaitez-vous faire passer dans la déclaration ?
Je voudrais envoyer un message clair que nous devons immédiatement dire aux personnes vivant avec le VIH et à leurs fournisseurs de soins de santé que quand le VIH n’est pas détectable, il est non transmissible. Nous devons exiger un accès universel aux traitements, aux soins et aux diagnostics pour sauver des vies et pour arrêter une nouvelle transmission. U = U est une occasion sans précédent de démanteler la stigmatisation du VIH et de nous rapprocher de la fin de l’épidémie. Il n’y a pas de temps à perdre!
En quoi la déclaration de Paris est-elle importante au regard de la problématique dans laquelle vous vous situez ?
Les valeurs de la Déclaration de Paris sont ce qui mène mon travail. Il n’y a rien de plus gratifiant pour moi que de créer des alliances significatives et productives avec les personnes vivant avec le VIH du monde entier qui travaillent ensemble pour changer le récit de nos vies. Le message U = U est très inconfortable pour beaucoup dans ce domaine et il est radicalement contraire au statu quo. Nous devons continuer à développer un réseau mondial solide et coordonné de personnes vivant avec le VIH et nos alliés pour exiger la vérité, partager des ressources et nous soutenir mutuellement dans la solidarité. La Déclaration de Paris est incroyablement passionnante pour moi et pour la campagne U = U et j’ai l’honneur d’en faire partie.
Micheal Ighodaro, Etats Unis, AVAC/MSMGF/AMSHeR/ICARH/GMT+
Cette déclaration est très importante. C’est un renouvellement des principes de Denver appliqués à toutes les populations clés concernées, en tenant compte du nouvel environnement dans lequel nous vivons à l’échelle mondiale en matière de prévention du VIH. Le message est que le sida n’est pas fini ! Ces communautés particulièrement touchées doivent être en première ligne pour mettre un terme à l’épidémie. Ce message est un rappel : que nous surveillons ce qui se passe, que nous n’allons pas nous asseoir et attendre que d’autres viennent nous mobiliser. Que nous allons faire tomber les obstacles qui ont été dressés par ceux qui sont contre nous. Que le temps de nous avoir autour de la table mais de ne pas nous impliquer est terminé !