La recherche sur les anticorps neutralisants à large spectre (bNAbs) a connu une ascension fulgurante ces dernières années. L’intérêt de nombreux laboratoires à travers le monde sur le sujet a en effet permis de mieux comprendre le mode d’action de ces anticorps, capables de neutraliser un large spectre de souches du VIH. Une aptitude sur laquelle les chercheurs fondent beaucoup d’espoirs afin de contrer la capacité mutationnelle du VIH, tout aussi exceptionnelle, qui lui permet généralement d’échapper au système immunitaire. Plusieurs sites vulnérables du virus ont ainsi été mis en évidence par les chercheurs et reconnus comme cibles des bNAbs. Nous savons que ces sites se concentrent au niveau de l’enveloppe du VIH, la partie exposée et conservée du virus lui servant à se fixer et à entrer dans les lymphocytes T CD4+.
Marginal chez les patients, le bNAb est reproductible ex vivo
Identifiée chez moins de 1 % des patients, la production de bNAbs est rare. De plus, ces anticorps n’apparaissent que tardivement après l’infection. Ce qui n’empêche pas les scientifiques de réussir à les produire ex vivo, en laboratoire, de façon à les inoculer aux patients en tant que traitement préventif, voire thérapeutique dans le cadre d’essais cliniques. Deux bNAbs très efficaces (3BNC117 et 10-1074) ont ainsi été utilisés, combinés, en thérapeutique chez des patients et ont permis de maintenir la suppression du virus dans le sang.
Depuis quelques années, les anticorps sont particulièrement populaires comme base des traitements. Normalement produits par l’organisme, ils paraissent moins invasifs que des molécules chimiques constituant habituellement un médicament. C’est ainsi que l’imalizumab a fait son entrée sur le marché européen en août 2018. En reconnaissant la molécule CD4 à la surface des lymphocytes, cet anticorps empêche le virus d’entrer dans les cellules. Ce traitement est même efficace chez des patients non réceptifs aux traitements classiques.
Le virus aux manettes des bNAbs ?
De récentes études suggèrent que le virus lui-même pourrait être impliqué dans la génération des bNAbs : certaines souches de VIH – retrouvées chez des personnes produisant des bNAbs – peuvent induire une réponse neutralisante similaire lorsqu’elles sont transmises. Il pourrait donc exister des conformations de protéines (notamment l’enveloppe du virus) plus à même de promouvoir la production des bNAbs. Bien qu’il ne s’agisse sûrement pas d’un phénomène universel, cette découverte prouve au moins qu’il est en théorie possible d’induire la production de bNAbs en choisissant le bon morceau de virus afin de l’utiliser dans un vaccin.
Tissus muqueux : portes d’entrée du virus
Les cellules épithéliales des muqueuses, notamment au niveau du pénis et du vagin, peuvent être traversées par le VIH et serviraient de relais aux cellules du système immunitaire qui vont propager le virus dans l’organisme. Dans un contexte où les femmes sont disproportionnellement affectées par le VIH, le rôle des facteurs biologiques interroge. Même si les raisons ne sont pas toutes connues, il existe un acteur essentiel, basé à la porte d’entrée : les bactéries. Celles-ci constituent ce que l’on appelle le microbiome et sa composition dans le vagin serait liée à une susceptibilité plus ou moins importante au VIH. Des études menées en 2016 et 2017 arrivent à une même conclusion : la présence accrue de bactéries anaérobies dans la flore vaginale augmente le risque d’infection par le VIH. Cette observation souligne l’importance d’un suivi de la flore vaginale, de façon à mieux prévenir les infections, et la nécessité de mieux comprendre comment nos modes de vie ont une influence sur le microbiome et donc sur la susceptibilité à l’infection par le VIH.
La gourmandise : péché capital des cellules réservoirs ?
Le réservoir, c’est l’obstacle numéro 1 à la guérison du VIH. En à peine quelques jours après l’infection, le virus se niche dans des cellules qui entrent ensuite en dormance, le protégeant ainsi de l’action des traitements. Mais son point faible a peut-être été identifié. Dernière découverte en date : les cellules les plus métaboliquement actives (c’est-à-dire utilisant une grande quantité de glucose pour leurs besoins énergétiques) pourraient être les cibles privilégiées du VIH et correspondraient au réservoir. Les chercheurs français à l’origine de cette découverte montrent aussi que, in vitro, une inhibition chimique du processus métabolique des cellules bloque l’infection de celles-ci et bloque aussi la réplication du virus dans les cellules déjà infectées. Ces données présentent une avancée majeure dans la compréhension de l’établissement et de la latence de l’infection par le VIH, qu’il faut cependant nuancer. Comme le soulignent les auteurs de ces travaux, les cellules étudiées sont celles du sang. Il faudra donc explorer ce qu’il en est dans les tissus, lieux privilégiés des réservoirs. Reste aussi à analyser l’impact plus général de l’inhibition des processus métaboliques chez l’humain avant de penser à cette solution comme traitement.
Les données permettant de mieux comprendre l’infection par le VIH et les moyens mis en place par le système immunitaire s’accumulent. La recherche sur les bNAbs a débuté il y a quasiment vingt ans. Et si certains mystères persistent, de nouvelles voies font leur apparition, notamment avec la découverte de la potentielle implication du virus lui-même. L’étude du rôle du microbiome et du métabolisme est quant à elle bien plus récente. Elle s’inscrit dans un intérêt plus large des chercheurs pour des contextes inflammatoires et d’infections autres que le VIH. Un intérêt qui ne peut être que bénéfique pour la lutte contre le sida et qui devrait permettre d’avancer encore plus rapidement ces prochaines années.